L’Ukraine peut-elle rejoindre l’Union européenne ?
Il a n’a fallu que quatre jours de guerre à l’Ukraine pour officiellement déposer sa candidature pour intégrer l’Union européenne, le 28 février dernier. L’invasion russe a précipité la décision du président ukrainien Zelensky d’interpeller Bruxelles, qui a reconnu ladite candidature le 23 juin. Mais entrer dans l’Union européenne est un processus extrêmement long. Le ministre des affaires européennes Clément Beaune a estimé qu’elle prendra entre quinze et vingt ans. Au-delà de la question du temps que l’acceptation d’une telle candidature prendra, l’Ukraine a-t-elle les épaules économiques, politiques et sociétales pour prétendre entrer dans la maison des Vingt-Sept ?
De l’État de droit à la stabilité de la démocratie
En demandant de rejoindre l’Union européenne, l’Ukraine a rejoint la longue file d’attente des États officiellement reconnus candidats, composée de l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, la Moldavie et la Turquie. Cette dernière attend d’ailleurs depuis trente-cinq ans. C’est l’article 49 du traité sur l’Union européenne (TUE) qui fixe les conditions pour qu’un État puisse prétendre y entrer. Il existe ainsi trois critères : le premier est politique (il faut un État de droit), le second économique (le système économique du pays candidat doit être viable et capable d’encaisser la concurrence) et le dernier consiste en une concordance entre les intérêts du pays candidat et ceux de l’Union européenne. Ce dernier critère marche aussi dans le sens inverse : l’Union européenne doit elle aussi trouver un intérêt à voir son territoire élargi. Pour finir, l’État candidat doit également accepter de transposer dans son droit interne l’ensemble du droit européen.
Si nous mettons la guerre à part, l’Ukraine remplit-elle les critères précités ? D’un point de vue politique, l’Ukraine s’est, depuis une quinzaine d’année, mise en marche vers une amélioration drastique de ses institutions, mais beaucoup de points de tensions restent à écarter pour le pays. D’un point de vue strictement gouvernemental, l’Ukraine, en tant qu’ex-pays de l’URSS, demeure un État relativement agité. Suite à la dislocation de l’URSS en 1991 est survenue la « révolution orange » de 2004, année au cours de laquelle le président sortant est battu par Victor Ianoukovitch dans un scrutin que beaucoup d’ukrainiens jugent truqué. La confusion est telle que la Cour suprême du pays annule les élections pour en réorganiser de nouvelles, qui donnent lieu à la réélection du président sortant. Si dans ce même contexte, les diplomates ukrainiens posent les premières pierres de la coopération européenne et ukrainienne, les bases institutionnelles du pays demeurent fragiles. La suite est plus connue, Ianoukovitch accède au pouvoir en 2010, appuyé par une certaine bienveillance du voisin russe. Ces ingérences déstabilisent un pays déjà en proie à de nombreuses tensions et Ianoukovitch est chassé du pouvoir en 2014. Le fait que l’ONG Transparency international classe l’Ukraine au 122ème rang mondial sur 180 en terme de fluidité des institutions montre que le pays est toujours considéré comme un des pays les plus corrompus d’Europe. Toutefois, l’Ukraine a déclaré une autre guerre, celle contre les oligarques, et notamment contre le système judiciaire où deux mille juges ont démissionné à la suite des annonce du gouvernement de renforcer la politique anti-corruption. Le pouvoir démesuré des oligarques en Ukraine a mené les pays occidentaux à conditionner le versement d’aides à la reconstruction future du pays à un renforcement de la lutte contre la corruption.
De la stabilité économique à la protection des minorités
Forte d’une quarantaine de millions d’habitants (les chiffres varient à cause de la situation territoriale du pays), l’Ukraine dispose, avant-guerre, d’un bilan économique relativement intéressant pour son entrée dans l’Union européenne. Sa dette publique était assez faible comparée à celle des autres pays européen, et sa balance commerciale était à l’équilibre, c’est-à dire que ses importations (ce que le pays achète) étaient égales à ses exportations (ce que le pays vend). On le voit avec la guerre et les pénuries qu’elle engendre, le pays dispose d’un réservoir naturel important, allant des mines de manganèse, de titane et de fer, à une surface agricole par deux fois plus grande que celle de la France (qu’on considère pourtant comme le grenier à blé de l’Europe) : la bande jaune sur son drapeau représente d’ailleurs un champs de céréales.
Toutefois, l’Union européenne est aussi soucieuse de la préservation de l’État de droit que de la protection de la société civile. Pour preuve, les tensions récentes entre la Commission européenne et la Pologne à propos de la volonté polonaise de resserrer l’étau sur l’accès aux femmes à l’avortement, dans un pays déjà peu favorables aux immigrés et à la communauté LGBT. L’Ukraine n’est pas en reste sur ces points d’amélioration, classée parmi les derniers pays d’Europe en la matière, au même titre que la Russie, la Pologne ou la Turquie. Près des deux tiers de la population ukrainienne sont de confession chrétienne orthodoxe. Ainsi, les élites religieuses sont très présentes sur la scène médiatique. Le patriarche de Kiev, considéré comme le chef de l’Église orthodoxe dans le pays, a récemment déclaré que l’épidémie de coronavirus était due au « péché des hommes, mais surtout [au] mariage gay » dans un pays où il est très compliqué pour les membres de cette communauté de déclarer publiquement leur identité.
Alors que l’homosexualité est dépénalisée depuis la chute de l’URSS, Volodymyr Zelensky a récemment déclaré être en faveur d’une ouverture plus franche une fois la guerre finie. Il s’engagerait à entamer une procédure législative pour autoriser le mariage entre couple du même sexe. Avant lui, Petro Porochenko s’est employé à réduire les discriminations notamment professionnelles envers les membres de la communauté LGBT. Le chemin vers l’égalité est encore long sur ce point, alors qu’en pleine guerre, la loi n’autorise pas de manière uniforme les homosexuels à rejoindre l’armée, et encore moins le partenaire à pouvoir récupérer le corps du défunt en cas de décès. Le chemin vers l’adhésion de l’Ukraine sera long mais il n’est pas présomptueux d’affirmer qu’il semble déjà bien entamé.
Sources
https://www.senat.fr/rap/r09-448/r09-4488.html
https://www.arte.tv/fr/videos/109952-000-A/la-corruption-en-ukraine-un-obstacle-a-l-adhesion-a-l-ue/
https://news.un.org/fr/story/2022/05/1120912
https://www.vie-publique.fr/fiches/20366-quelles-sont-les-conditions-et-les-modalites-dadhesion-lue