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Cinéma

« Quel brouillard va contre le vent ? » : le brouillard dans les films d’horreur

« Cette nuit-là dans l’obscurité et les hurlements de la tempête mon souhait fut exaucé. J’ai su que le père Noël ne viendrait pas cette année-là. Un esprit très ancien venu des ténèbres l’avait remplacé. Cette créature était l’ombre du père Noël. Il se nommait Krampus. »

Quoi de tel pour punir ceux qui ne respectent pas les traditions de Noël qu’un monstre capable de déchaîner ses foudres ? Dans Krampus réalisé en 2005, lorsque la créature mythologique est invoquée, elle fait son apparition dans une tempête de neige et un brouillard épais. Le brouillard dans lequel émerge Krampus le rend difficile à distinguer et permet d’installer l’angoisse lorsque nous voyons son ombre se découper dans la brume. Krampus n’est pas le seul film à mettre en scène le brouillard : ce phénomène est utilisé dans de nombreux films d’horreur, afin de proposer une ambiance visuelle angoissante grâce à la fumée mais également de créer un sentiment d’enfermement. Pourquoi est-ce que le brouillard est associé aux films d’horreur et, plus généralement, à l’épouvante ?

©Krampus, Michael Dougherty, 2015

Lorsque le brouillard apparaît…

Dans Krampus, le brouillard vient marquer une rupture entre la situation initiale et le moment où l’horreur commence à s’installer, il est donc porteur d’une symbolique angoissante. The Fog, réalisé par John Carpenter en 1980, utilisait le même mécanisme. La situation météorologique initiale du film proposait un ciel dégagé et clair. La nuit, le brouillard se déploie, apportant avec lui d’étranges revenants qui viennent s’y dissimuler. Dans ces deux films, le brouillard n’a rien d’un phénomène naturel. En ces périodes hivernales, tout en n’étant pas courant, le brouillard est pourtant familier de tous. Son utilisation dans le film d’horreur permet donc au spectateur d’être impliqué. Dans ces deux films, son apparition ne crée donc pas instantanément de l’horreur mais un effet d’étrangeté. Bien vite, les personnages se rendent compte que son émergence est liée à un phénomène souvent surnaturel. Les marins de The Fog doutent de la radio qui leur annonce l’arrivée du brouillard car le ciel semble dégagé. Son apparition montre que ce dernier ne suit pas les conditions climatiques desquelles il est habituellement issu, comme le souligne un personnage « Quel brouillard va contre le vent ? ». L’adaptation du jeu vidéo Silent Hill de 2006 utilisait également le brouillard pour concevoir une distinction entre le monde « réel » et l’arrivée dans la ville fantôme éponyme.        

La présence du brouillard fait naître l’épouvante et instaure ainsi une ambiance visuelle intéressante grâce à des couleurs froides et la forte présence de blancs et de gris. La ville fantôme de Silent Hill est rendue identifiable grâce à cette épaisse brume et ses couleurs désaturées, où tout semble au premier abord blafard et blême. Du côté de Krampus, le brouillard se colore de teintes bleutées, à l’instar de The Fog. Ces bleus semblent artificiels, de sorte à souligner l’origine surnaturelle du brouillard. Le choix du moment de la journée est également essentiel dans l’esthétique du brouillard : Silent Hill choisit de particulièrement mettre en scène le brouillard durant la journée pour créer une ambiance fantomatique, alors que Krampus et The Fog se déroulent de nuit, ce qui permet ainsi de créer une atmosphère plus lugubre. Ce phénomène permet donc de jouer avec les lumières et les formes par la matière qu’il semble prendre dans le cadre. L’aspect « cotonneux » du brouillard permet un rendu intéressant. Toujours dans Krampus, le brouillard donne lieu à des jeux de lumière, grâce aux lampes torches et aux phares de voiture qui viennent créer des faisceaux lumineux venant découper l’épaisse brume.  Le brouillard, qui n’est pas tangible, permet un dérèglement de la vision. En mettant en scène quelque chose qui n’est pas évanescent, ces films apportent une lourdeur à ces brumes fantastiques capables de dissimuler des monstres.

©The Fog, John Carpenter, 1980

Des horizons fermés : le cloisonnement de l’espace par le brouillard        

Le brouillard, tout en permettant de développer une ambiance visuelle reconnaissable et angoissante, enferme les personnages qui sont dans cet espace resserré, confrontés à des phénomènes surnaturels d’où les monstres surgissent. Il vient poser un rideau épais sur le paysage, rapproche le ciel du sol, englobe, étouffe : le brouillard cloisonne l’espace et enferme. A l’écran, les horizons disparaissent et créent donc un univers fermé sans être entièrement délimité : ce qu’on ne voit pas peut être infini sans qu’on en ait la certitude. Le brouillard de Krampus est accompagné d’une tempête de neige, qui permet de confiner les protagonistes dans un lieu. C’est cet effet qui est recherché pour la création du monde de Silent Hill, afin de signifier l’enfermement des personnages, pris au piège dans la ville fantôme dont on ne peut échapper. Dans ce film, le brouillard est diffus et reste éloigné du personnage, tout en permettant au champ de se resserrer autour de lui. A l’inverse, le brouillard de The Fog se déplace car il contient la menace, et peut donc piéger les personnages en son sein lorsque celui de Silent Hill fait office de murs les enfermant. Le brouillard de The Fog se rapproche, et c’est ce qui le rend menaçant : puisqu’il s’infiltre de partout et qu’aucune porte, ni mur ne peut l’arrêter, son caractère immatériel est mis en avant pour le rendre inarrêtable. Il permet également de souligner l’emprisonnement des personnages puisque ce dernier encercle les maisons avant d’attaquer ceux qui s’y trouvent. Le brouillard, qui n’est pourtant pas tangible, devient les frontières d’un monde fantastique.

©Silent Hill, Christophe Gans, 2006

Cet isolement provoqué par le brouillard rend les personnages vulnérables et en proie aux monstres qui peuvent s’y dissimuler. Aérien et semblant pourtant épais, il permet de jouer avec les formes, l’invisible et le visible. Dans le film d’horreur, il instaure l’angoisse car, grâce à sa capacité à englober et encercler les personnages, la menace peut provenir de n’importe où. De ce brouillard peuvent émerger des formes indistinctes, des ombres s’y découpent furtivement puis disparaissent. Krampus, en mettant en scène un monstre, se sert de ce brouillard pour le dissimuler tout en provoquant l’angoisse car l’ombre qui se détache n’est pas humanoïde, le brouillard la rend d’autant plus méconnaissable. Les créatures de The Fog, quant à eux, ressemblent à des êtres humains. Cependant, leur caractère monstrueux est souligné grâce à leur déshumanisation : ce sont d’abord des bras, désarticulés du corps qui leur est rattaché grâce à la brume qui les sépare, qui émergent du brouillard. L’horreur est contenue dans cette alternance entre ce qui est soudain rendu visible puis qui s’efface. Le spectateur, tout comme le protagoniste, est en proie à l’incertitude : l’effroi de ce que l’on ne connaît pas, de ce qui peut émerger, rend floue la frontière entre le réel et l’imaginaire. En créant une ambiance si particulière, la disparition du brouillard questionne sur la tangibilité de ce qu’on pense y avoir aperçu et sur la réalité des événements : « Puis tout a disparu. C’est le souvenir d’un cauchemar »[1]. Que reste-il de la brume qui semblait si vaporeuse et pourtant si matérielle quelques instants plus tôt ?

« La réalité, c’est ce qui reste quand le brouillard se lève. »[2]

[1] John Carpenter, The Fog

[2] Fabrice Colin, La fin du monde