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Persepolis, un appel à la liberté tristement d’actualité

« Vous dites que nos cagoules sont trop courtes, que nos pantalons sont indécents, que nous nous maquillons etc, etc. En tant qu’étudiante en art, une bonne partie de mon temps se passe à l’atelier, j’ai besoin de liberté de geste afin de pouvoir dessiner. Une cagoule plus longue me rend la tâche encore plus difficile. En ce qui concerne les pantalons, vous leur reprochez d’être larges. Sachant que ces pantalons sont actuellement en vogue -je pose la question – la religion défend-elle notre intégrité physique ou s’oppose-t-elle simplement à la mode ? Vous n’hésitez pas à nous faire des remarques. Les frères ici présents ont toutes sortes et formes de coiffures et d’habillements. Parfois, ils mettent des vêtements tellement serrés qu’on arrive même à voir leurs dessous. Comment se fait-il que moi, en tant que femme, je ne puisse rien éprouver en regardant ces messieurs moulés de partout mais qu’eux puissent s’exciter sur nos quelques centimètres de moins ? »

En 2007 sortait sur grand écran l’adaptation de la bande dessinée autobiographique de Marjane Satrapi, Persepolis. Au vu des récents évènements en Iran, notamment le décès de Masha Amini, âgée de 22 ans, suite à son arrestation le 13 septembre 2022 pour « port de vêtements non appropriés » ainsi que les issues des nombreuses manifestations en réaction à son décès, Persepolis m’est revenu à la mémoire. Le revoir dans ce contexte lui donne un goût tristement actuel, en constatant que les femmes subissent encore aujourd’hui en Iran la même pression politique et religieuse qu’elles subissaient dans les années d’enfance et d’adolescence de Marjane Satrapi. 

Le film retrace en effet l’enfance de l’autrice à Téhéran, au milieu d’un contexte politico-religieux particulièrement violent durant les années suivant la révolution islamique d’Iran. En suivant le point de vue de l’enfant, nous vivons à travers son regard la mise en place de la république islamique et la permanente menace que représente l’Etat, pour elle comme pour ses proches. Ce regard enfantin est dépeint avec cet humour noir omniprésent dans les dialogues, notamment lors d’une scène ou les écolières jouent aux « martyrs » dans la cour de l’école. Ainsi, tant l’incompréhension innocente des jeunes filles à l’école face au port du voile après que celui-ci a été rendu obligatoire, que la colère et la souffrance de la mère de la surnommée « Marji » face au regard des hommes sur sa manière de le porter laissent percevoir le désarroi dans lequel ont été plongées des milliers de femmes dès 1979 en voyant leurs droits réprimés. 

La question de la religion, au centre de ce contexte politique, est poétiquement représentée par la dessinatrice qui nous plonge dans ses conversations d’enfant avec Dieu, comme elle se le représente, en une figure réconfortante et compréhensive auprès de laquelle elle se réfugie souvent pour trouver des réponses à ses questions et à son trouble face à la situation politique du pays. Cette figure divine, Marji va cependant finir par la déconstruire et se révolter contre elle après la mort de son oncle en prison, ayant été fait prisonnier politique. Sa colère, cette scène de rébellion contre celui à qui elle accordait la plus sincère des confiances est un reflet de l’incompréhension face à la justification religieuse donnée par le gouvernement de certaines de ses mesures prises depuis l’instauration de la république islamique, qui pour certain.e.s, croyant.e.s, religieux.ses, ou non, n’a pas ou plus de sens. 

« Je veux plus jamais te revoir. Va t’en ! » – Persepolis, Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud, 2007

C’est ainsi que dans une magnifique esthétique sombre et rigide, renforcée par des animations en noir et blanc jusqu’à la scène de fin où la jeune femme part pour Paris, que le film d’animation nous fait sentir l’angoisse d’une enfance et d’une adolescence enfermées dans les codes répressifs du régime en place, à laquelle il ne semble rester qu’une échappatoire sécurisée : l’exil. 

Marjane Satrapi nous fait réaliser en une heure et demi le poids de l’exil et le prix de la liberté. « Je n’ai jamais revu ma grand-mère – écrit l’autrice pour la dernière phrase de son long métrage lors de son départ définitif de Téhéran, laissant derrière elle ses parents, sa grand-mère et ses amis – la liberté a toujours un prix ».  Pour certaines, encore aujourd’hui, la vie en est le prix. 

Zoé Vezyroglou

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