Les Prédateurs (The Hunger, 1983) de Tony Scott : un échec critique devenu culte
Premier film ambitieux du réalisateur américain, Les Prédateurs revisite la figure du vampire. Genre prolifique, presque aussi vieux que le cinéma lui-même, il n’est pas facile de se démarquer parmi les monuments (et les navets) du film de vampire. Porté par un casting prestigieux – surtout quand on sait que c’est un premier long-métrage – le film nous envoûte et nous vampirise presque. Le cinéaste adapte le roman états-unien de Whitley Strieber publié trois ans plus tôt.
En 1983, le succès n’est pourtant pas au rendez-vous. Le public et la critique sont très mitigés lors de sa sortie en salle. Le film obtient une aura culte seulement des années après sa publication VHS puis DVD. C’est seulement avec son deuxième film, Top Gun (1986), que la carrière de T. Scott décolle, en même temps que celle de Tom Cruise.
La première chose qui frappe avant même d’avoir vu Les Prédateurs, c’est son casting. Catherine Deneuve et David Bowie nous entraînent dans leurs frasques nocturnes bientôt épaulés par Susan Sarandon. De nos jours, c’est une association qui semble prestigieuse et enviable. Et plus personne ne se souvient que ces acteurs étaient alors au creux de la vague, moins populaires qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Un autre reproche que l’on fait à ce premier long métrage, c’est son esthétique jugée trop léchée. Tony Scott a effectivement débuté sa carrière dans la publicité et cela se remarque au soin qu’il apporte à chaque plan. Ses visuels, peut-être trop saturés pour le public de 1983, traversent le temps sans accrocs. La lumière vaporeuse, parfois ponctuée de néons froids, amène une esthétique vintage plaisante.
L’ambiance gothico-new-yorkaise éthérée fascine dès les premières minutes. L’hypnotique ouverture du film est grandiloquente. Dans une boîte de nuit, le chanteur Peter Murphy (du groupe Bauhaus) pousse des râles dans une cage à néons sur les mélodies aiguës de la musique. Commence alors la chanson Bela Lugosi’s Dead, choix aussi juste que cynique. Bela Lugosi a incarné Dracula de nombreuses fois au cinéma depuis les années 1930. Quoi de mieux pour se placer dans cette longue tradition cinématographique. Mais ici, pas de Dracula ténébreux en costume trois-pièces ; John (David Bowie) et Miriam Blaylock (Catherine Deneuve) ressemblent à un couple de trentenaires branchés. Ils passent inaperçus dans la foule new-yorkaise où ils chassent leurs proies.
Partie avec spoilers
Le couple de vampires semble aussi à l’aise en discothèque New Wave qu’en professeurs de musique classique. La musique prime dans leur relation amoureuse : de leur rencontre au XVIIème siècle, dans leur quotidien de professeurs et même lorsqu’ils chassent. Le film donne un rôle à part entière à la musique : participant à la séduction des victimes (Bauhaus), pourvoyant aux revenus du couple (Schubert) puis envoûtant la nouvelle amante de Miriam (Delibes).
La bande son, ponctuée de souffles inquiétants et de bruits stridents, annonce le malaise grandissant entre les personnages.
Le film est construit en deux temps autour des deux duos qui se (dé)forment : d’abord le couple vieillissant Bowie-Deneuve puis la naissance de la relation Deneuve-Sarandon. L’histoire est dirigée par les amours de Miriam, en effet c’est au gré de l’intérêt qu’elle leur accorde que ses amant.e.s sont attiré.e.s, vampirisé.e.s puis sont plus ou moins mis au placard… Plus que le vampirisme, la malédiction du personnage de Deneuve réside là, dans les fluctuations de ses sentiments. C’est son amour qui maintient en vie ceux qu’elle vampirise. Elle est donc condamnée à les voir périr dès que son amour pour eux faiblit. A l’inverse du roman, Tony Scott choisit d’ailleurs de concrétiser la malédiction par la vengeance des anciens amants de Miriam.
Contrairement à la déclaration d’amour de John (« Forever and ever »), nous sommes mis en garde dès l’affiche que « Nothing human loves forever » (littéralement « Rien d’humain n’aime pour toujours »). Effectivement, peu de temps après Miriam succombe au charme de Sarah Roberts (Susan Sarandon) qu’elle ne tarde pas à vampiriser. S’ensuit une relation saphique qui n’a rien de novateur puisque la littérature vampire s’ouvre elle-même sur un couple lesbien dans Carmilla (Sheridan Le Fanu, 1872).
Le cinéaste ne tombe pas dans une sur-objectification des corps, présente dans le genre vampirique qui se prête à l’érotisme. Les nombreux voiles et rideaux qui ponctuent l’écran, floutent les corps tout en laissant un peu de place à la scopophilie (plaisir de regarder, parfois associé à du voyeurisme notamment au cinéma). D’ailleurs lorsqu’un personnage est érotisé voire objectifié, il ne s’agit jamais de Miriam mais de son amant.e – victime qui lui offre sa vulnérabilité. Le cinéaste explore ainsi la séduction provoquée par le vampire indépendamment du genre de ses victimes.
Si personne ne peut résister à l’attraction vampirique, la volonté de Sarah (Susan Sarandon) de rester humaine est plus forte, pour un temps. Mais elle cède aussi à la soif du pouvoir et de la jeunesse pour finalement constituer son propre « harem ». Elle atteint la quête d’immortalité déjà amorcée par son personnage de chercheuse en génétique. Le film dépeint très bien cette période où la soif de jeunesse et le culte de l’apparence règnent.
Cette fin peut laisser perplexe car elle remet en question ce que le film a tenté de construire : l’immortalité invincible de Miriam, le refus de Sarah de devenir vampire… Cette conclusion du film est le fruit d’une réécriture quelque peu malheureuse en cours de tournage.
La faiblesse du « flashback égyptien » est le bémol du film. S’il apporte un élément de compréhension à l’histoire, son aspect cheap gâche l’effet. Le montage saccadé de la séquence n’apporte rien à celle-ci. Tous ces éléments, patinés de l’aura d’ovni kitsch que lui a conféré le temps, font de ce film un must see (de préférence sur écran de cinéma).
Ophélie Oms