Catégories
Cinéma

LE VOYAGE DE CHIHIRO

Le voyage de Chihiro (2001) est un film d’animation du Studio Ghibli réalisé par Hayao Miyazaki, figure fondatrice du studio d’animation japonais créé en 1985. Le film en est un des plus gros succès et marque, avec Princesse Mononoke (1997), l’avènement de Ghibli en Occident, où Miyazaki était jusqu’alors inconnu. Le long-métrage reçoit 14 récompenses, dont l’Ours d’Or et l’Oscar du meilleur film d’animation en 2002.

Avec Mon Voisin Totoro, Le voyage de Chihiro est probablement l’un des films les plus populaires du studio et dont l’esthétique, les symboles et les personnages sont les plus ancrés dans la culture actuelle de l’animation. Les deux abordent de nombreux thèmes communs, que l’on retrouve, en réalité, dans la plupart des films de Miyazaki. Les réalisations du Studio Ghibli sont très axées sur la spiritualité, les mythes et les voyages initiatiques, ce qui explique en partie la richesse visuelle, symbolique et morale des œuvres.

Chihiro est très vite séparée de ses parents qui se permettent de manger le banquet des invités de Yubaba, Le voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki, 2001

Le film se construit autour d’un voyage initiatique: Chihiro doit trouver un moyen de libérer ses parents de la malédiction qui a été jetée sur eux à cause de leur avarice. Encore jeune fille, elle se retrouve dans un monde dont elle ne connaît rien et qui ne veut pas d’elle. De blasée, boudeuse et renfrognée, Chihiro grandit tout au long du film pour devenir une jeune fille curieuse et courageuse. Bien que toujours enfant (le scénario se déroule sur quelques jours seulement), elle a atteint la maturité dont elle aura besoin pour affronter le monde réel : avec force et dignité. Tous les personnages qu’elle rencontre lors de son voyage l’aident à avancer, même s’ils lui barrent la route. Elle se retrouve seule face à ses devoirs et sa dévotion lui permet de surmonter bien des épreuves.

Haku prend la forme d’un dragon quand il est sous sa forme d’esprit de rivière, Le voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki, 2001

Cependant, c’est Haku, l’esprit de la rivière dans laquelle elle a failli se noyer étant enfant, qui l’aide à devenir cette jeune fille courageuse et accomplie. Dragon solitaire et puissant, il l’aide à tout faire pour libérer ses parents et sortir du monde des esprits dans lequel ils se sont tous retrouvés prisonniers. Il lui sauve la vie tout comme Chihiro sauvera la sienne. Elle l’aide à retrouver son prénom, symbole essentiel de l’identité, que Yubaba (la sorcière qui dirige le palais des bains où notre héroïne trouve du travail) subtilise à ses employés pour les garder à jamais sous son emprise (« Chihiro » devient « Sen » après avoir signé son contrat avec elle).La quête de son identité lors de ce voyage passe autant par le prénom que par le réel déplacement. Elle doit se retrouver pour pouvoir évoluer. 

Le Sans-Visage est une figure emblématique du long-métrage, Le voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki, 2001

Ce qui distingue ce film de la plupart des films d’animations occidentaux relève probablement de l’esthétique et de la manière de raconter les histoires. Miyazaki n’hésite pas à incorporer de l’horreur avec le « Sans Visage », cet esprit obsédé par Chihiro qui sème le chaos dans les bains en mangeant de nombreux employés, le corps complètement déformé avec d’immenses pattes de crapaud et une énorme bouche monstrueuse. Mais au-delà de ça, Le voyage de Chihiro raconte surtout des valeurs comme l’intégrité, la solidarité, la témérité, la persévérance et l’amour. C’est grâce à sa détermination et son travail acharné que Chihiro se sort d’un monde qui fait tout pour la garder prisonnière de ses murs.

Yubaba est l’un des personnages qui ajoute ce côté horrifique au film, Le voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki, 2001

Le discours est également assez engagé en matière d’écologie. Les rivières et leurs esprits sont pollués et en plus de libérer Haku, Chihiro soigne un esprit devenu putride à cause de la pollution. La nature a une grande importance et Miyazaki critique régulièrement le Japon moderne de l’industrialisation, comme on a pu notamment le voir dans Princesse Mononoke, en prônant un retour aux choses plus essentielles, aux traditions, à la spiritualité et à la contemplation.

Le Studio Ghibli a eu recours à des effets spéciaux pour rendre les mouvements les plus fluides possibles, Le voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki, 2001

C’est en effet un film très contemplatif, parsemé de nombreux moments de silence essentiels à l’admiration des paysages et des états intérieurs des personnages. La beauté de l’animation s’y prête particulièrement avec des textures, couleurs et ambiances très marquantes. Ces silences permettent une réelle perception de l’évolution individuelle des personnages, dont les expressions et les mots sont toujours parfaitement justes. La complexité psychologique et morale de cette œuvre est ce qui lui donne cet aspect si captivant et mystérieux, presque de l’ordre du sacré. Cette grande profondeur d’analyse et de symbolisme, mêlée à un onirisme très caractéristique, est ce qui rend l’univers de Miyazaki si particulier.

Au final, les images se suffisent presque à elles-mêmes mais la musique de Joe Hisaishi  élève l’expérience du film à un niveau encore supérieur qui fait de l’œuvre du Studio Ghibli un des films d’animation les plus marquants de la décennie.