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Je verrai toujours vos visages, ou réparer les âmes autrement 

« La justice restaurative, c’est tout ce que notre société déteste », c’est à dire la  patience, l’écoute, l’empathie. Cette réplique du film est très marquante de par sa simplicité, mais surtout sa vérité.

Car c’est en déployant cette simple phrase prononcée par le personnage de Judith, qui interprète l’une des médiatrices, que l’on comprend toute la portée de ce film, mais aussi l’importance de ce sujet. 

Je verrai toujours vos visages raconte deux histoires en parallèle : l’une concerne un groupe de personnes ayant subi un braquage et l’autre une jeune femme ayant subi des viols incestueux durant son enfance, interprétée par une Adèle Exarchopoulos irréprochable. Le spectateur suit alors trois médiateur.ices chargé.e.s de mettre en place un dispositif permettant un dialogue entre les victimes et les agresseurs. Vous remarquerez qu’il n’a pas été question de mettre le terme « agresseurs » en écriture non genrée, tous les personnages du film ayant commis des actes répréhensibles étant des hommes, ce qui se veut refléter avec réalisme les faits et les statistiques. 

Remettre notre système judiciaire en question

On oppose généralement la justice punitive, c’est à dire notre système carcéral actuel, à la justice restaurative, qui paraît pour beaucoup, complètement utopiste ou déconnectée de la réalité. Mais cette même réalité, c’est celle des centres de détention surchargés, de la très grande violence symbolique et sociale que représente une incarcération et l’isolement impliqué, et du lien rompu avec l’extérieur, sans la moindre opportunité pour essayer de faire mieux. 

La justice restaurative, quant à elle, est décrite ainsi : « les mesures qui visent à rétablir le lien social et à prévenir au mieux la récidive ». Rétablir le lien social ; vaste programme. Et c’est pourtant ce que montre très bien le film : la colère, la peur, l’appréhension, la rancoeur, l’incompréhension mutuelle, et parfois, au bout du compte, une forme de réparation. C’est éprouvant, mais tellement important. 

Le film comporte tout de même quelques maladresses, notamment dans l’écriture de certains dialogues, mais a le mérite, l’audace et le courage de mettre en lumière un sujet très (trop) rarement abordé. Ce film est une première pierre posée dans le monde du cinéma et de l’art pour nous permettre, a minima, de nous interroger sur notre système juridique et carcéral, et pourquoi pas, d’enclencher des discussions, des débats, des réflexions sur ce sujet.

Vers un futur plus juste ?

Pour terminer, il peut être intéressant de citer Lauren Bastide, qui dans Future.es, comment le féminisme peut sauver le monde, consacre un chapitre entier de son livre à la justice « réparative » et au féminisme anti-carcéral. Elle écrit :  « Quoi qu’il en soit, on sait qu’un passage en prison, pour un homme, c’est souvent la violence, la radicalisation, l’humiliation et l’écrasement, et c’est à cette institution que l’on confie le soin de réhabiliter. ». Elle montre ainsi que la justice punitive est un outil (parmi tant d’autres) de domination qui permet d’instaurer un ordre social bien particulier : sexiste, raciste et classiste. 

« On érige les agresseurs en individus problématiques, sans morale, en omettant toujours de s’interroger sur les structures systémiques qui les ont poussés à commettre ces actes. On fait peser sur la menace d’une humiliation publique et de l’isolement absolu. La possibilité du pardon existe pas dans le droit français. […] On les condamne au déni, au mensonge à l’attaque en diffamation contre leurs victimes. Et surtout, on fait d’eux des auteurs isolés, alors qu’ils agissent toujours en s’appuyant sur un système bien huilé. »

Je verrai toujours vos visages mérite d’être vu par tou.te.s car il engage une réflexion nécessaire sur nos institutions et leur fonctionnement injuste et caractéristiques de notre système social et carcéral, qui ne laisse aucune place à la patience, à l’écoute et à l’empathie. 

Juliette Gamet