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Cinéma

Holiday ou la lutte des classes distillée dans la comédie du remariage

Holiday de G. Cukor (1938) est une comédie américaine qui rassemble Katharine Hepburn et Cary Grant en têtes d’affiche. Ce long-métrage est la deuxième adaptation cinématographique d’une pièce de Broadway.

Lors d’un séjour à la montagne, Johnny Case (Cary Grant) rencontre Julia Seton (Doris Nolan). Le coup de foudre est mutuel et le jeune couple décide de se fiancer sur le champ. Vient ensuite la rencontre inévitable avec la belle-famille… Johnny découvre que sa fiancée est la fille du banquier le plus puissant de New-York. Difficile alors pour lui de faire bonne impression avec ses origines plus modestes. Fort heureusement, sa belle-sœur Linda (Katharine Hepburn) et son beau-frère Ned (Lew Ayres) vont le prendre en sympathie. 

Ce film est ce qu’on appelle une « comédie du remariage », genre à part entière, très populaire entre les années 1930 et 1940. L’expression a été théorisée par le philosophe Stanley Cavell. Ce type de scénario apparaît au milieu des années 1930, après la mise en place du Code Hays ; c’est un code d’auto-censure pratiqué par les réalisateurs et scénaristes hollywoodiens afin que leurs films soient distribués même dans les États les plus conservateurs. Ce code interdisait tout érotisme, la représentation de la violence, la consommation d’alcool et stupéfiants, les relations interraciales etc…

Johnny ( Cary Grant) et Linda (Katherine Hepburn) © Holiday (1938), George Cukor

Ces contraintes limitant les intrigues, les scénaristes ont dû faire preuve d’ingéniosité pour se renouveler. Les comédies du remariage mettent généralement en scène un couple déjà marié ou sur le point de se marier. Le couple se sépare ou ne s’entend plus pour une raison ou une autre avant de se retrouver (se remarier donc). New-York – Miami (It happened one night, 1934), autre très bonne comédie de G. Cukor, est considéré comme la première occurrence du genre.

Cukor intègre souvent dans ses films une portée critique, pourtant il réussit à en adoucir la gravité par l’humour. Ici, il glisse un commentaire social de la haute bourgeoisie américaine, faite d’hypocrisies et de relations artificielles rarement désintéressées. Certains personnages sont même moqués en étant gratifiés d’un salut nazi dans leur dos, ce qui permet au réalisateur de critiquer le régime hitlerien alors en place.

Les personnages de Linda, Ned et Johnny remettent en cause les conventions. La jeune femme passe pour le membre bizarre et déjantée de sa famille, elle-même en vient à se considérer comme la brebis galeuse. Elle n’est pas adaptée à leur moule rigide et sa franchise dérange dans ce monde de faux semblants. Ned apparaît comme le raté alcoolique aux yeux de son père. A travers sa frustration de ne pas avoir poursuivi son ambition de devenir musicien, son personnage illustre le poids des attentes familiales et du père trop autoritaire et étouffant. L’alcoolisme de Ned a aussi pu être interprété comme le refoulement de sa sexualité queer. Johnny, quant à lui, incarne le rêve américain méritocratique de l’ouvrier devenu bourgeois à la sueur de son front. Pourtant il ne s’y conforme pas et désire plus que tout prendre de longues vacances, une sorte de retraite anticipée, et voyager en se contentant du nécessaire. L’argent n’a que peu de valeur à ses yeux. Lui non plus ne trouve pas sa place dans la haute-société new-yorkaise.

Partie avec spoilers

Enfin Johnny se rend compte qu’il s’est empressé de se fiancer à une femme qu’il ne connaît que trop peu et qui ne partage pas sa vision de la vie. Julia ne veut pas renoncer à la vie mondaine ni au confort que lui procure la grande fortune familiale. Cependant, Linda est séduite par Johnny et ses rêves d’aventures et de voyages. Plutôt que de se fiancer, le protagoniste décide de partir seul en voyage … et est rejoint à temps par Linda lui dévoilant ses sentiments. Tout est bien qui finit bien !

Holiday est un film très sympathique et drôle. Son happy ending laisse le spectateur joyeux malgré une amertume sous-jacente. Le personnage de Ned reste condamné à vivre par procuration à travers le bonheur de sa sœur Linda. Les bribes de lutte des classes que disperse Cukor ne sont résolues que superficiellement par la séparation du couple initial. Cependant la mélancolie en est assez subtile pour que le visionnage soit léger et agréable. Finalement c’est la joie de vivre épanouie qui l’emporte.