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Récit d’un Louvre vide – Partie I

Récit illustré des élèves de l’Ecole du Louvre.

Illustration par SEM @sem_artiste

Lors de mon arrivée à l’Ecole du Louvre je m’étais fixé plusieurs objectifs pour ma scolarité. L’un d’entre eux était de me rendre au Louvre au moins une fois dans ma vie un mardi, soit le seul jour de fermeture de la semaine.  Aujourd’hui en arrivant devant cette pyramide de verre qui m’est si familière, je ne sais comment expliquer cette vague d’émotions qui me traverse. C’est un mélange à la fois de curiosité, de nervosité mais surtout, d’empressement ; je trépigne d’impatience. J’ai également une sensation excitante et nouvelle, l’impression d’être un intrus dans cette institution qui vit, en dépit du bouleversement considérable de la pandémie de Covid-19. Les employés du musée se déplacent autour de moi, ils travaillent, anticipent la réouverture : ce musée respire et nous, amoureux des arts, sommes son oxygène. 

Ce qui est invisible pour la majorité du reste du monde, m’est exceptionnellement accessible. Je souris derrière mon masque, je ne suis plus jalouse de Beyoncé et Jay-Z.

J’ai cours, je me dépêche. Le protocole est strict mais c’est compréhensible, un semblant de normalité paraît  se rétablir lorsque je franchis le pas des vestiaires pour y déposer mes affaires. Vite, je me dirige vers la cour Marly pour y rejoindre mes camarades de classe. Je croise le regard de Salomé, je n’y vois pas de nostalgie, tout est comme avant. Nous sommes à la maison. 

Illustration par Nouvelleumah @nouvelleumah

J’ai rejoint Lise pour notre cours de sculpture aujourd’hui, dans le musée vide, grande première un peu excitante. Quand nous arrivons dans le département des sculptures françaises, c’est par les grandes cours qui sont vides de leurs visiteurs et silencieuses, comme à leur habitude en quelque sorte puisqu’on n’y entend jamais grand monde. C’est lorsque l’on arrive dans les salles qui donnent sur la rue de Rivoli qu’une ambiance un peu lugubre s’installe : les lumières sont éteintes, personne ne déambule entre les statues qui se dressent sur leurs piédestaux ; elles aussi paraissent encore plus immobiles qu’à leur habitude. Les salles se sont réveillées peu de temps après avec les lumières, allumées par nos accompagnatrices pour la durée du cours.

Les deux heures étaient rythmées par des bruits de travaux qui résonnaient dans les cours puisque le musée continue sa vie sans nous. C’était surprenant les premières fois, mais aussi moins divertissant que le brouhaha habituel des touristes qui résonne dans toutes les langues ou les groupes d’enfants qui s’agitent dans les salles. Le cours passe plus lentement, au gré des aller-retours du personnel dans les salles et de nos accompagnatrices, mais le temps vient quand même de retourner aux vestiaires et repartir par les escaliers de la fourmilière.

Les seules personnes qui dérogent à ce personnel vêtu de noir et de badges sont les autres élèves de l’Ecole qui assistent à leurs cours, comme Romane que j’ai croisée dans les escalators, en chemin vers les objets d’art.

Illustration Fred Spirin @fred.spirin.illustrator

Tandis que je prenais les escalators pour monter à la Mezzanine Sully, j’ai croisé Salomé qui sortait de son cours de sculpture et qui dévalait les escaliers en sens inverse. Je me dirige maintenant vers le département des objets d’art. Le musée est silencieux et on peut entendre les pas de chacun d’entre nous toutes les fois que nos pieds tapent contre le marbre du sol. Nous traversons le pavillon de l’horloge dans un calme  presque troublant, et nous empruntons les escaliers qui mènent au premier étage.

Nous arrivons enfin. Le sol tantôt de marbre devient de bois et le plancher crisse à chacun de nos pas. L’atmosphère froide et silencieuse des couloirs du musée devient chaude et rassurante au moment où nous entrons dans la salle Louis XIV. Le bois du sol, le cramoisi des murs et des rideaux, et les tentures des Gobelins qui réchauffent les parois me procurent une sensation de bien-être ; comme un chez-moi. Nous traversons une à une les salles remplies de mobilier de marqueterie jusqu’à arriver dans le Cabinet Turc. Nous y sommes seuls, l’espace est à nous. Il n’y a jamais foule dans le département, mais se savoir dans un musée fermé procure une sensation nouvelle, l’atmosphère est différente, nous sommes dans la confidence d’un Louvre qui vit sans ses visiteurs. Un instant je me perds dans mes pensées et je m’apprête à m’installer sur l’un des fauteuils qui entourent le guéridon en porcelaine de Madame du Barry. Je reprends mes esprits. Je m’assois sur le plancher pour suivre le cours passionnant de Monsieur B. Il est maintenant 16h, c’est l’heure de partir. Je prend mes affaires et je me dépêche d’y aller, j’ai un train à prendre. En empruntant les escaliers pour descendre, je croise Joanna, qui elle monte, pour se rendre à son cours de peinture.

C’est un sentiment nouveau de gravir les escalators éteints du musée du Louvre fermé alors que notre cours est au département des peintures flamandes, au troisième étage. Le Louvre vide est une vision étrange à laquelle on s’habitue rapidement. J’avais l’impression d’avoir toujours connu le silence, les salles vides, un cours tranquille ; pourtant je restais émerveillée. Étant particulièrement intéressée par la peinture flamande, j’ai beaucoup apprécié cette proximité avec les oeuvres, ainsi que la chance que j’avais de les voir à ce moment précis. Notre vigile en profitait pour suivre le cours, il posait plus de questions que les élèves ! Au retour, il nous a permis de passer par la Grande Galerie, où le groupe de Garance avait cours.

Illustration par Fred Spirin @fred.spirin.illustrator

Après avoir parcouru diverses salles je me dirige vers la galerie italienne. Sur mon chemin j’emprunte l’escalier de la Samothrace : moi qui m’attendais à le voir vide, je suis étonnée de constater que plusieurs personnes sont déguisées sur les marches, en train de chanter. J’assiste en direct à une performance qui est photographiée. J’esquisse un sourire en me disant que nous ne sommes pas les seuls à pouvoir profiter de l’accès restreint au musée. 

Après cette brève entrevue, je me poste à l’entrée de la galerie et je ressens de l’émotion, je ne bouge plus et je reste là à contempler cet immense couloir baigné de lumière d’habitude si fréquenté. Il me semble infini. Je n’ose pas m’y avancer pour ne pas perturber le calme et l’ordre qui y règnent. En m’approchant je me sens intimidée, j’ai l’impression d’être regardée par tous ces chefs-d’œuvre, moi, qui me sens toute petite vis à vis d’eux. Je reviens un instant à la réalité et je me rends compte que le musée est tout de même habité. En effet, le Louvre profite de cette accalmie pour faire quelques travaux de restauration, des chariots passent, les gens travaillent. Puis je croise d’autre groupes de l’école, assis de part et d’autre de la galerie, nous sommes en petit comité. Je prends conscience que même si le musée est fermé, il vit et je m’en réjouis. Après m’être attardée sur les œuvres d’Andrea Mantegna, Giovanni Bellini et Léonard de Vinci, il est temps de m’en aller, je regarde une dernière fois derrière moi pour imprimer ce souvenir dans ma tête. Sur mon retour je suis ravie de croiser Sarah au niveau de la statue de la Samothrace.

Illustration par S.D.

Le bruissement des pas d’un groupe d’élève trouble la léthargie silencieuse des murs du Louvre ; le bâtiment tout entier semblait s’être assoupi depuis la tombée du voile noir de la nuit. Je me détourne de la Samothrace pour saluer Garance qui descend l’escalier monumental avec ses camarades. Puis les murmures et les rires s’effacent, et je suis de nouveau engloutie dans le calme sacerdotal des grands espaces où l’on n’ose chuchoter, par peur de rompre une harmonie fragile, ou de troubler quelque présence séculaire. La Victoire dressée sur sa proue me domine, impassible ; je la contemple une dernière fois dans son écrin, cet autel moderne à la gloire de l’Histoire, avant de descendre les marches qui mènent à la sortie. Plus personne à cette heure-ci, en ces temps-là ; le temple dépouillé de ses fidèles cherche à poursuivre sa mission en repoussant les barrières physiques de ses murs opaques et de ses portes closes. Dans le hall, centre névralgique du musée, une équipe de tournage s’affaire sous les yeux de quelques vigiles ; elle, et d’autres, exportent la culture hors de son lieu de résidence. Tandis que conservateurs, restaurateurs, installateurs, techniciens, font vivre le Louvre dans l’attente impatiente du public. Je quitte son giron et sa lumière chaleureuse pour le froid mordant de la cour Napoléon, et presse le pas vers la Seine, laissant derrière moi la pyramide aux milles facettes qui brille comme un phare dans la nuit.