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De l’importance de créer son propre musée

Alors que s’ouvre encore une période incertaine de la crise sanitaire et que les professeurs s’agitent maintenant derrière leurs caméras et sur nos écrans d’ordinateur plutôt que devant nos yeux dans les salles de cours, je pense à mon musée personnel. On réalise véritablement l’importance d’avoir un chez-soi qui nous corresponde et qui incarne notre idée du confort, de notre espace privé idéal lorsque l’idée de devoir y passer à nouveau d’interminables journées sans perspectives futures pointe le bout de son nez. Certes, l’herbe est toujours plus verte ailleurs mais ma situation pourrait être bien pire et c’est pour cette raison que je choisis aujourd’hui de vous raconter mon « musée personnel », ma collection d’œuvres cartonnées et de bibelots variés dont je suis la conservatrice en chef, la régie et la muséographe. 

L’image qui illustre certainement le plus de la façon dont je m’imagine cette démarche est celle d’André Malraux debout au milieu de photographies d’œuvres d’art, établissant ainsi les supports de son Musée Imaginaire. Cet essai m’intéresse aussi particulièrement pour deux points : l’évocation de la reproductibilité de l’art (à l’ère de la photographie pour Malraux, et d’autant plus aujourd’hui) et la mise en rapport d’œuvres totalement déconnectées autrement. Ces deux démarches sont précisément représentatives de mon « musée personnel », qui est donc constitué de reproductions d’œuvres d’art. Les œuvres d’origine sont de dimensions, d’époques et de matériaux drastiquement différents mais leurs reproductions adoptent en grande majorité un format de carte postale sur papier cartonné, parfois mat et parfois glacé. Quelques reproductions tridimensionnelles occupent les étagères, et non plus la surface plane des murs, de mon espace d’exposition.

© Salomé Legrand

Cette salle d’exposition aux dimensions réduites me permet donc, au-delà du simple fait de réunir des œuvres, de faire un corpus de peintures et sculptures essentiellement qui ne seraient jamais visibles côte à côte : un simple exemple est la Salomé d’Henri Regnault (conservée au Metropolitan Museum de New York) accrochée juste à la gauche de la Madeleine pénitente du Greco (conservée au Musée des beaux-arts de Budapest). Cette collection méticuleusement assemblée sert aussi d’album souvenir de mes visites passées, de mes voyages ou de ceux des œuvres-mêmes. A l’image d’une playlist attentivement créée, cette photothèque cartonnée est porteuse de sentiments et convoque des sensations plus que des mots lorsque l’on s’en rapproche, qu’on en observe les détails.

Comme un musée peut être dédié à un artiste et en illustrer les différentes productions mais aussi les influences extérieures et les expériences qui ont forgé son parcours, cet accrochage restreint représente une partie de moi, une évolution de mon parcours avec l’art et de mes goûts. Entre les reproductions de qualité variable se glissent des prospectus découpés, des tickets d’entrée aux couleurs passées ou à l’encre effacée qui complètent ce cheminement à travers le vaste monde de l’art qui est le centre de ma vie depuis bientôt quatre années. Sans en faire son domaine d’étude ou son métier, je me plais à croire que l’art (sous toutes ses formes, musicale comme picturale, cinématographique ou littéraire) se doit presque d’occuper une place importante dans notre vie pour nous permettre l’expression de choses indicibles et partager une partie de nous-même à l’extérieur, à notre entourage par une carte glissée ici ou un livre abandonné là.

Je souhaiterais maintenant évoquer deux questions qui m’ont paru cruciales : quel statut prennent les reproductions d’œuvres d’art, qui montrent ces chefs-d’œuvre qui nous sont chers dans une qualité moindre, un matériau bon marché et un format de poche ? Elles ne sont pas reconnues au statut d’œuvre communément admis et établi, mais elles le deviennent pourtant pour nous en matérialisant le sujet réel dans notre galerie scrupuleusement assemblée. Il en va de même pour ces souvenirs, ces bibelots qui sont au final des objets sans réel intérêt ou statut artistique mais qui véhiculent un souvenir, une émotion et à ce titre font partie de ce « musée du souvenir » des murs de notre espace. Cependant, tous les objets rapportant un souvenir seraient alors des œuvres d’art et s’engage alors une réflexion plus générale et complexe (que vous pouvez toutefois poursuivre chez vous à loisir, pendant ces longues soirées d’hiver que nous traversons).

En débutant cet article je dois avouer ne pas savoir dans quoi m’être réellement lancée, j’ai surtout voulu suivre ma pensée et me réapproprier cet espace qui est à la fois le mien mais qui ne m’appartient pas réellement, en prévision de temps plus pessimistes. Je voulais sans doute aussi faire de ce texte une ode aux étudiant·es qui vont encore une fois être confronté·es à des situations difficiles dans des logements exigus, et les inciter à y voir leurs propres musées imaginaires

Et surtout prenez soin de vous.