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Tribune : La publicité, cet abus de position dominante

La publicité a un coût et permet à ceux qui en ont les moyens de maintenir leur domination sur un secteur. C’est en quelque sorte un abus de position dominante sur ses concurrents mais aussi sur les consommateurs. Cet outil au service de certains est délétère pour les sociétés démocratiques. Voyons en quoi son interdiction est indispensable.

De manière très simple, la publicité a pour objectif de faire connaître le produit pour le faire adopter durablement par l’acheteur, créer une image de marque, maintenir la notoriété, fidéliser la clientèle, rappeler, persuader, informer. C’est avant tout une stratégie de communication pour influencer ceux qui la regardent, ou plutôt ceux qui y sont exposés. Ainsi, des entreprises, bien que cela s’applique également aux stratégies de communication institutionnelles ou politiques, dépensent de l’argent pour manipuler les consommateurs.

La question de l’efficacité de la publicité n’est plus à poser. Rien que par les sommes qu’engouffre et qu’engendre ce secteur économique, il relèverait de l’absurde qu’il soit inefficace, d’autant que des entreprises, personnes morales qui ont pour objectif de produire des bénéfices, n’iraient pas gaspiller de l’argent dans un domaine qui ne le leur rend pas. L’agent économique est rationnel. Mais c’est en termes de santé publique que la preuve est des plus édifiantes. Nombreuses publicités sont interdites lors de certains créneaux horaires ou dans certains lieux. Par exemple, les publicités pour de l’alcool sont strictement encadrées depuis la loi Evin de 1991 afin de lutter contre l’alcoolisme. C’est également une solution populaire en ce qui concerne la lutte contre la malbouffe ou la protection des enfants.

La publicité consiste finalement en deux choses. La première est de faire en sorte que pour combler un besoin, le consommateur choisisse un produit en particulier, et pas un autre. Deuxièmement, la publicité crée un besoin chez le consommateur, que celui-ci n’avait pas avant. C’est bien ce deuxième aspect qui est le plus pervers. Le pouvoir d’influence de la publicité sur les consommateurs est très fort, notamment depuis le développement d’internet, des réseaux sociaux et des placements de produits. La publicité gagne du terrain jusqu’à devenir anodine ou même une solution pour le consommateur qui, en l’échange de la gratuité de jeux ou d’applications se voit gratifié d’encarts publicitaires. La publicité vous poursuit même désormais, grâce aux cookies ; vous ne pouvez plus échapper au ciblage. Internet est l’espace public où nous sommes le plus épiés et traqués. La stratégie publicitaire est désormais complète. Les publicités qui vous sont imposées vous plaisent, vous attirent, vous tentent et vous attrapent. Manipulation réussie.

La publicité crée le besoin pour ce qui n’est pas essentiel. Et elle y arrive très bien. Les grandes enseignes dépassent à travers la publicité le simple objectif de vendre un produit : c’est la marque, des idées et des valeurs qui sont mises en avant. Notamment celles du capitalisme, puisqu’il en est un rouage essentiel. Un individu au sein du société est en permanence l’objet de manipulation. A savoir laquelle est la plus efficace. Ainsi, mieux vaut avoir recours aux influenceurs – le terme, accablant, est sans équivoque – ou aux placements de produits dans les films hollywoodiens pour tirer son épingle du jeu. Mais au milieu, cet individu, encore une fois, perd son libre arbitre et se laisse dicter ses choix par des sociétés aux services d’intérêts qui ne le desservent pas. A travers la radio, les journaux, le mécénat, la télévision ou internet, la publicité sert de support à une propagande toujours plus virulente d’une société productiviste, dans l’intérêt des possédants. Pourtant, une des plus grandes forces des populations passe à travers la conscientisation de son pouvoir en tant que consommateur. Si la carte de vote apparaît inefficace pour changer les choses, essayons avec une carte de crédit ?

Le plus grand danger pour les sociétés actuelles n’est plus l’autoritarisme tel qu’il fut au siècle dernier. Mais c’est bel et bien une dictature du plaisir, où l’inconscience prend le pas sur le reste, et l’intérêt de tous est remplacé par celui de certains, de la plus subtile des manières, sans coup de force, simplement en créant le besoin puis en le contentant. L’addiction naît et lie, tel les citoyens du meilleur des mondes d’Aldous Huxley choisissant eux-mêmes le bonheur imbécile plutôt qu’une liberté anxiogène.

Imaginons dès lors de ce qu’il serait possible de faire avec les milliards de la publicité, si l’on dépassait ce système, abrogeant cette arme de l’idéologie capitaliste. Voulons-nous réellement d’un monde où Raid Shadow Legend inonderait nos oreilles à chaque film que nous voyons, où nous visiterions le Château de Versailles Bouygues et où trônerait au cœur de Paris la Tour Eiffel LVMH ? L’interdiction de la publicité est une mesure de santé publique, une mesure écologique et une mesure démocratique.

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