Catégories
Jeux vidéo

Deliver Us The Moon – Thriller sélénique

En 2030, l’humanité sombra dans une crise énergétique sans précédent. Afin de trouver des sources d’énergies nouvelles hors de notre planète, la World Space Agency fut créée. Sa mission fut couverte de succès avec la découverte d’helium-3 en abondance sur la Lune. Puisée sur notre satellite et transférée sur Terre par un système de transmission d’énergie par micro-onde, cette nouvelle ressource offrit un nouvel espoir à l’humanité. Mais en 2054 la liaison fut rompue. Plus aucune énergie n’était transmise et les communications coupées laissèrent les survivants terriens sans espoir ni réponse. Nous sommes en 2059, et face à une fin inéluctable, un groupuscule d’anciens de la WSA, dissoute en 2055, ont réussi à trouver assez de moyens et d’énergie pour un dernier voyage lunaire. Vous voilà seul, dans le vaisseau de la dernière chance, en partance pour un trajet de 384 400 kilomètres, avec sur vos épaules le poids de la survie de l’humanité.

Si avec ce pitch je n’ai pas attisé votre curiosité, je ne sais plus quoi faire. Reste à savoir si Deliver Us The Moon est un bon jeu. Et comme toujours ici, si je vous en parle, c’est que selon moi, la réponse est oui.

Gravité sans pesanteur

Deliver Us The Moon c’est d’abord un kickstarter lancé en février 2016 qui manque de peu de tourner en eau de boudin avec un objectif minimal atteint in extremis sur son dernier jour avec à peine 3700 euros de plus que les 100000 souhaités pour valider le projet. Il s’en est fallu de peu pour que le studio néerlandais Keoken Interactive ne remette dans des cartons les premières bribes du jeu destinées à motiver le financement participatif. Sortie de manière épisodique sous le nom Deliver Us The Moon: Fortuna en 2018, cette première version du jeu est finalement retirée du marché pour ressortir un an plus tard, avec une finition plus qualitative, et portée par l’éditeur Wired Productions. Cette deuxième tentative est la bonne, et sous le nom définitif Deliver Us The Moon, le jeu sort en 5 épisodes regroupés dans un jeu complet pour qui en fait l’acquisition ce jour.

Au moins il n’y a pas besoin de faire la poussière

Qualifié de jeux d’aventure avec des puzzles, Deliver Us The Moon s’apparente parfois plus à un walking simulator, à la recherche de documents écrits ou sonores pour répondre aux nombreuses questions soulevées par son intrigue. Car si son propos initial, une apocalypse énergétique sur Terre, pourrait s’apparenter à une utilisation de la science-fiction comme allégorie des angoissantes thématiques de notre époque, le cœur du jeu et son propos sont centrés bien au-delà de notre atmosphère. Pourquoi la communication avec les colonies lunaires a-t-elle été brutalement perdue en 2054 ? Pourquoi plus aucune source d’énergie n’est transmise par le MPT pour éviter à l’humanité un destin tragique dont elle s’est déjà dérobée une première fois ? Et beaucoup d’autres questions qui s’imposent à nous, une fois le pied posé sur notre satellite naturel.

Seul, dans un vaisseau, en direction d’une colonie qui n’a pas donné de nouvelles depuis 4 ans, Deliver Us The Moon aurait tout à fait pu partir vers le survival horror spatial façon Dead Space, mais il n’en est rien. Sans révéler son intrigue, et les rebondissements narratifs qu’il réserve, le jeu n’est pas pensé pour faire peur ni même sursauter. Ce n’est pas pour autant qu’il n’offre pas quelques décharges d’adrénaline. Et si vous avez tendance à mélanger les touches de votre clavier ou transpirer jusqu’à en faire glisser votre manette au sol en situation critique, soyez rassuré, Deliver Us The Moon est assez généreux en laissant souvent assez de temps pour se ressaisir et ne pas finir froid et raide sur un astre sans vie ou à la dérive dans le vide spatial.

Hormis ces rares phases d’urgence, le jeu nous fait avancer de salle en salle, d’installation en installation, à la recherche de documents et d’informations sur les évènements qui ont provoqué le blackout de 2054 mais aussi de moyens de poursuivre notre périple malgré des portes formées ou des moyens de transports hors service. Que ce soit par la gestion de batteries (vides ou pleines), un peu d’infiltration entre des systèmes de défenses automatisés, via la recherche de codes pour ouvrir certaines portes closes, Deliver Us The Moon ne s’abandonne jamais à un remplissage factice ou des lenteurs trop contemplatives qui nuiraient à son rythme global. Chacune de ses zones, chacune de ses pièces regorgent d’éléments narratifs, ou de mécaniques de jeu justifiant leur présence et leur accessibilité et c’est avec un certain plaisir immersif teinté de curiosité que l’on avance au fil de ses chapitres. On peut cependant, légitimement critiquer la simplicité de ses énigmes, et les quelques répétitions de mécaniques au fil des chapitres mais ces quelques défauts sont pardonnés tant le cœur du jeu est ailleurs.

Alone in the Dark Side of the Moon

Alors que la gravité est 6 fois plus faible sur la Lune que sur Terre, c’est avec un poids énorme que l’on parcourt les couloirs et les locaux des colonies de la WSA. Le tutoriel du jeu nous fait quitter une humanité mourante pour tenter de savoir ce qu’il est advenu de ses colons lunaires et réactiver le MPT. Nous incarnons littéralement le dernier espoir des fragiles survivants d’une apocalypse énergétique, mais peut-être aussi celui de ses émigrés spatiaux. Il y a quelque chose de terrible lorsque notre planète apparaît au hublot de notre navette, seul que nous sommes, dans un vaisseau entouré de vide, nous éloignant d’un drame pour probablement en rejoindre un autre.

Au poids de la situation s’ajoute celui de nos pas, lents, lourds dans les locaux lunaires de la WSA, et c’est avec cette lenteur, imposée par notre combinaison, que nous découvrons petit à petit les événements de l’an 2054. Au fil des notes, des e-mails, des journaux de bord vocaux, des salles où le temps semble s’être arrêté, des enregistrements holographiques, se dessinent devant nous l’histoire d’un drame aux conséquences cataclysmiques. Au fur et à mesure de notre avancée, les données recueillies se placent dans une narration à échelle humaine mais dont la chaîne de causalité s’étend à notre espèce… sur deux astres.

Il y a de la tristesse et de l’inéluctabilité dans ce récit passé qui se déroule sous nos yeux. Et la solitude de notre aventure, nous rend vite indispensable ce pauvre ASE (petit robot volant, au design rappelant Wheatley de Portal 2, mais en muet) comme seul témoin de nos découvertes, et seule présence sur qui nous appuyer quand le poids des événements passés qui nous sont contés devient trop lourd.

Wilson ?

Porté par un sound design maîtrisé, Deliver Us The Moon profite aussi de la bande son de Sander van Zanten, qui potentialise l’expérience de jeu et l’immersion. Il y a du Subnautica, du Philip Glass, et même du Hans Zimmer version Interstellar dans l’ambiance musicale du jeu (cette dernière inspiration est reconnue et sans équivoque avec le morceau Go Gentle Into the Night, référence directe au poème de Dylan Thomas, Do not go gentle into that good night, mentionné et récité dans le film de Christopher Nolan). Discrète, elle porte une ambiance qui est clairement la plus grande réussite du jeu, tout en sachant s’effacer quand les évènements l’imposent. Pour rester côté sonore, Deliver Us The Moon possède un doublage français de grande qualité, indispensable à sa narration.

Si la technique peut parfois paraître maladroite, elle s’en tire avec les honneurs au regard du contexte et du budget du titre. Le premier jeu de KeokeN Interactive sait pallier ses limites en ne se prenant jamais pour ce qu’il n’est pas. Il maîtrise son espace et sa physique, son aménagement, son rythme, son ambiance, sa narration et son propos. Il offre 6h d’aventure agréable sans jamais réinventer son genre ou se poser en parangon de son propos. Deliver Us The Moon est de ces jeux dont on n’attend pas beaucoup et qui en profite pour s’imposer en bonne surprise. L’attente n’est désormais plus la même pour Deliver Us Mars, sa suite, sortie ce 2 février. Mais au regard du premier jeu de la licence, c’est sans trop d’hésitation que je vais me plonger dans le nouveau titre de KeokeN Interactive.

Deliver Us The Moon est accessible sur PC, PS4/5, Xbox

Deliver Us Mars est accessible sur PC, PS4/5, Xbox

Valentin C