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Art of Rally – L’ABS Corpus

Gran Turismo 7, Forza Horizon 5, F1 2022, Dirt 5, Dirt Rally 2, et bientôt (?) le retour de Forza Motorsport, la liste des possibilités est longue pour les amateurs de jeux de course en quête de sensations fortes sur le bitume et/ou les routes de terres cabossées. Mais pendant que les gros studios bataillent à pleine vitesse, en virage serré, à coup de graphismes toujours plus photoréalistes, certains trésors plus discrets surgissent des stands pour notre plus grand plaisir. Et c’est le cas de Art of Rally, sortie en 2020.

Drift to Survive

Pour comprendre la philosophie de jeu qui se dégage d’Art of Rally, il est important de revenir au précédent et premier jeu de Dune Casu, créateur du studio Funselektor. Tout démarre d’une gamejam (évenement où des programmeurs se retrouvent pour créer, seuls ou en équipe des jeux en un temps imparti, souvent 48/72h), durant laquelle Dune crée un petit jeu de voiture dont le gameplay est centré sur le drift (type de dérapage contrôlé, provoqué en donnant trop de puissance aux roues arrières afin de diminuer leur adhérence). Quelques mois plus tard, diplôme de programmeur en main mais toujours sans emploi, Dune décide, avec l’accord de ses parents, de consacrer son temps à peaufiner son prototype pour en faire un jeu complet. De ce travail nait Absolute Drift, un excellent et atypique jeu de voiture qui gagne rapidement en popularité avec l’aide de quelques youtubeurs célèbres. Simple mais terriblement addictif manette en main, Absolute Drift n’a pas volé son succès et permet à Dune Casu de démarrer un nouveau projet. Face aux prix de l’immobilier, ce n’est pas pour un appartement que Dune quitte le domicile familial mais pour un van qu’il a nouvellement acheté et qu’il aménage pour en faire un studio de développement mobile. Durant un long road-trip qui le fait voyager du Canada, aux Etats-Unis, et au Mexique, il puise dans les décors et paysages, qu’il voit défiler, l’inspiration pour son nouveau jeu. Cette muse visuelle et son amour pour les courses automobiles, réelles et en jeu vidéo, l’amènent à créer Art of Rally. Afin d’améliorer son jeu, il forme autour de lui une petite équipe (9 personnes) pour l’aider à gérer tous les aspects de la création (aussi bien la programmation, la production, la musique et le sound design, la traduction, la communication, les phases de test…). Et c’est ainsi que Art of Rally sort sur PC en 2020, 5 ans après Absolute Drift, puis l’année suivante sur les consoles Xbox et Playstation.

Quoi de mieux qu’un contre braquage réussi, sous les cerisiers japonais baignés par la lueur de l’aube. Screenshot par Valentin. C

Notre père qui est essieu

Art of Rally est un jeu de course de rallye, au style plutot minimaliste. La caméra est en hauteur, les voitures sont à la fois simplistes mais ornées de détails qui les rendent caractéristiques, les spectateurs sont de simples parallélépipèdes rectangles verticaux et les débris prennent la forme de petits triangles noirs projetés par nos roues arrières. Mais derrière cette apparente simplicité se cache une direction artistique parfaitement maitrisée. Les couleurs sont éclatantes, rappelant le pastel qui faisait toute l’identité visuelle de The Witness (dont Dune Casu reconnaît l’inspiration). C’est au milieu d’une peinture mobile que nous dérapons en quête du meilleur chrono. Les décors s’enchainent, des forêts de pins, la neige et le verglas finlandais, les cerisiers et les torii du Japon, la savane kenyane, autant de dépaysement qui nous font voyager à chaque nouvelle destination. Art of Rally nous propose, depuis sa dernière extension, 7 destinations différentes (la Finlande, la Sardaigne, l’Allemagne, le Japon, la Norvège, le Kenya et l’Indonésie), pour un total de 84 circuits différents (42 classiques et 42 en miroir). Coté mode de jeu, nous avons la possibilité de faire du contre la montre, de créer notre propre rallye personnalisé, de participer à des évènements en ligne, d’explorer librement chaque circuit et d’engager un mode carrière. Et il m’apparait important de m’attarder sur les deux derniers. L’exploration libre n’usurpe pas son nom, car loin d’être un simple mode sans chronomètre, elle nous permet de sortir de la route pour explorer la carte de chaque circuit dans son intégralité (tant que la voiture peut y accéder, ce n’est pas un sous marin non plus). Cela nous permet de réaliser que Funselektor n’a pas cherché à se concentrer uniquement sur ce qui allait attirer notre attention en pleine course. À l’inverse des sandwichs industriels dont la tranche visible, richement garnie, cache en réalité un cœur où ne règnent que le vide et la mie, Art of Rally étire son attention du détail et du décor bien au delà des bordures de ses routes. Ce mode d’exploration est aussi l’occasion de trouver différents objets (cassette audio, zone de photographie, lettres du mot RALLY, et même la réplique du van dans lequel Dune Casu a développé le jeu) pour débloquer quelques bonus et surtout la meilleure musique du jeu.

Mise en abîme totale. Screenshot par Valentin. C

Le mode carrière est un énorme chapitre dithyrambique dans la lettre d’amour qu’est le jeu envers le monde du rallye sportif. Rangé par groupe de voiture et par année, le mode carrière nous fait démarrer en 1967 avec des voitures dites de groupe 2 selon la classification officielle de la Fédération Internationale de l’Automobile. Chaque groupe s’étalant sur 5 ans (de 1967 à 1971 pour le groupe 2), chaque année contenant un ou plusieurs rallyes, eux mêmes découpés en étapes, il y a matière à s’occuper avant d’en voir le bout. Il nous faut remporter le championnat de chaque année pour pouvoir débloquer le suivant, avec comme seul filet de sécurité des « redémarrages » qui permettent de recommencer une course à zéro, mais dont le nombre s’amenuise très vite au fil de l’avancée dans le jeu. Chaque nouveau groupe s’ouvre sur un petit texte qui nous permet d’effleurer l’évolution de ce sport au fil des années. Pour ce qui est des voitures, Funselektor n’a évidemment pas pu se payer les licences, mais les voitures emblématiques de l’histoire du rallye sont bien présentes, sous d’autres noms. Vous pouvez retrouver les vrais noms des voitures juste ici. Ces attentions simples au premier abord, rendent communicative la passion que Dune porte pour le sport automobile et nous donne une réelle impression de revenir dans le passé pour voyager, progressivement, au fil du temps, témoin de la mutation constante du monde du rallye.

Sainte Bernadette Subaru

Si la direction artistique du jeu peut rappeler l’époque où nous jouions avec des petites voitures le long des circuits improvisés sur le sol de notre chambre, n’allez pas croire qu’il s’agit d’un jeu d’arcade qui vous aidera à l’excès dans la maitrise de votre véhicule. Dans Art of Rally chaque voiture se conduit différemment, chaque véhicule répond à sa manière face à votre gestion des freinages, des virages, des sous virages, du drift. N’espérez pas un indicateur ou un graphique pour vous dire laquelle freine le mieux, a la meilleure accélération, la meilleure stabilité. C’est à vous de trouver le véhicule qui vous convient, et parfois cela prend du temps. À mesure que les groupes avancent, les véhicules disponibles sont de plus en plus puissants, et l’attention qu’il faut porter à votre conduite suit la même courbe. Aucun flashback salvateur n’est possible comme dans les Forza ou F1 2022. Si vous sortez complètement de la piste, le jeu vous remettra sur la route mais au prix d’une pénalité de 5 secondes. Si vous tapez un arbre c’est à vous de faire machine arrière pour vous remettre dans le bon chemin. Si vos roues ne sont pas correctement alignées lors d’un saut vous n’avez plus qu’à prier pour que l’atterrissage ne vous envoie pas valdinguer contre une maison ou un camion. Une différence majeure par rapport aux autres jeux de rallye, et de course d’une manière générale, est l’absence totale d’indication du chemin. Une des particularités des jeux de rallye vient des informations transmises par le copilote. Concentré sur notre conduite, il ou elle est notre seul moyen de pouvoir faire preuve d’anticipation. Sa voix nous annonce un virage en épingle ou à 90°, qui arrive à 50 ou 100 mètres, un dos d’âne qui va mettre nos amortisseurs à rude épreuve… Mais dans Art of Rally il n’y a aucun copilote, et comme si ça ne suffisait pas, il n’y a aucune carte du circuit non plus. Ce sont nos yeux, fixés sur la route, et uniquement eux qui nous permettent d’anticiper notre prochain freinage ou drift. Quand à cela s’ajoute des éléments météorologiques comme un épais brouillard altérant notre visibilité, cela pousse notre concentration à son maximum. Pour couronner le tout, le droit à l’erreur est limité durant chacune des courses. L’IA peut être réglée sur différents modes de difficulté pour vous offrir un peu plus de marge d’erreur mais aucune victoire ne peut être acquise sans trouver le juste milieu dans la prise de risque que l’on juge nécessaire au volant. Sans être un jeu d’arcade dépourvu de défi, Art of Rally n’est pas pour autant un jeu de simulation pure qui n’est agréable que pour les acharnés et les puristes du genre. Pas dépourvu d’humour, les fins de sessions qui affichent les temps et les raisons des retards nous font parfois réaliser que nous devons notre victoire à un manque de caféine ou toute autre mésaventure improbable chez nos adversaires. Ces détails et ce peaufinage font d’Art of Rally bien plus qu’un simple jeu de course indépendant.

Dans le fond, ne sommes-nous pas tous un peu Takumi Fujowira ?

Prince Rally, oui c’est bien lui

En comprenant ce qui fait que nous jouons à des jeux de rallye, Dune Casu a réussi à créer un titre qui, sans bénéficier des moyens financiers et humains des gros studios, les dépassent en de nombreux points. En optant pour une direction artistique colorée, vivante, portée par une excellente gestion de luminosité, et une caméra verticale à la mobilité fluide, il offre à son jeu une identité visuelle remarquable sans avoir à se soucier de la course au photoréalisme qui anime les gros noms du genre. Avec une bande son synthwave, le compositeur Tatreal nous offre une ambiance immersive qui nous met directement et sans artifice dans des conditions de conduite optimale. Dès les premiers instants nous sentons l’adrénaline monter, l’envie de faire le meilleur temps. Nous tenons notre manette avec la même fermeté que nous appliquerions sur le cuir d’un volant. Et lorsque le compte à rebours du départ s’efface et que la voiture démarre, c’est le début d’un défi en différé avec chacun de nos concurrents.

Le cœur du rallye c’est la sensation durant un drift, un virage que l’on veut prendre en dérapage contrôlé, avant de réaccélérer une fois dans l’axe de la route, c’est un saut à plusieurs mètres de hauteur, juste avant un autre virage qui nous impose une gestion de placement de nos roues à l’atterrissage. L’âme du rallye c’est de jouer avec les quelques centimètres qui nous séparent d’un rocher, d’un arbre, d’une maison ou de tout autre obstacle fixe, pour gagner le centième de secondes qui fera la différence. C’est l’amour du risque (sans Jonathan ni Jennifer – seuls les vieux auront cette référence) dans chaque trajectoire. Seul sur la route, sans personne à doubler, sans personne en train de nous prendre l’aspiration, sans adversaire pour nous mettre sous pression avec un coup de volant un peu brutal ou un freinage tardif. Il n’y a que nous, la route, et à l’arrivée notre temps. Ce n’est qu’à la toute fin que l’on sait ce que l’on vaut par rapport aux autres et si notre gestion du risque était la bonne stratégie. Aucun classement temporaire, aucune repère visuel pour savoir si on peut se permettre d’assurer tranquillement la dernière épingle, ou s’il faut tout tenter pour rattraper notre dixième de retard. Après avoir franchi la ligne d’arrivée, il nous reste encore à voir notre temps à par rapport aux autres avant de relâcher la pression, juste avant que la prochaine étape ne démarre. Tous ces éléments, Art of Rally nous les offre au fil de ses courses, allant parfois jusqu’à nous amener dans « la zone », où plus aucune pensée parasite ne vient surcharger notre esprit pour que seule demeure le mélange de la sensation de conduite et l’anticipation du prochain virage. Tout cela porté par la musique de Tatreal (dont le meilleur morceau, dur à débloquer est un hommage à Initial D), fait que le temps d’une course tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.

Comme une impression de… Déjà-vu. Screenshot par Valentin. C

Art of Rally est accessible sur Steam, Xbox Series S et X, Playstation 4 et 5, et Switch.

Valentin. C