Les fish plates : une intéressante production céramique antique
Parmi les nombreuses productions céramiques du monde grec ancien et parmi celles qui nous sont aujourd’hui parvenues en nombre plus restreint, il existe une catégorie de récipients en terre cuite particulière qu’on appelle fish plates, ou plats à poissons en français. Cette production est caractérisée par sa forme ronde, son épaisseur et surtout son décor de poissons réalisé en figures rouges.
Cette production nait d’abord à Athènes au cours du Ve s. avant notre ère, et s’exporte ensuite avec les artisans en Grande Grèce, spécifiquement dans le sud de l’Italie ; sur le nombre d’exemplaires conservés de plats à poissons, la grande majorité nous provient d’Italie du Sud (Campanie, Apulie et région de Paestum, la Lucanie cependant était exclue de la production). En Italie du Sud, la production s’est essentiellement concentrée tout au long du IVe s. avant notre ère. Le lien entre la Grèce continentale et la « Grande Grèce » s’est fait dès le VIIIe s. avec des vagues de colonisation successives qui ont amené à une conquête des territoires sicilien et italien méridional, ainsi qu’à un métissage des populations et des cultures.
La forme est caractérisée par sa rondeur et sa lèvre épaisse tournée vers le bas, décorée souvent de motifs végétaux ou décoratifs de l’art grec ancien comme des vagues ou des méandres. Le plat était posé sur un pied assez haut et épais, pour assurer sa stabilité. Sur le plat du récipient on trouve des figurations d’animaux marins, la plupart du temps des poissons dont les espèces sont reconnaissables ; ces animaux sont disposés en ronde autour d’un creux, plus ou moins profond, situé au centre du plat. Le décor était réalisé pour les productions athéniennes en véritable figure rouge, c’est-à-dire qu’on dessinait les contours et les détails des figures au pinceau couvert d’un vernis noir, le même utilisé pour peindre tout le fond du vase. En Italie méridionale, des détails sont rajoutés avec d’autres couleurs comme le blanc, le rose, le jaune ou le vernis rouge dilué. L’utilisation de la technique des figures rouges – et de la polychromie dans le sud de l’Italie – permettait aux artistes de représenter les animaux avec plus de précision et de détails.
Plusieurs questions se posent quant au décor et à la fonction de ces plats. Il faut tout d’abord rappeler que, les exemplaires de céramiques qui nous sont aujourd’hui parvenus n’étaient pas forcément ceux utilisés au quotidien : ils ont la plupart du temps été retrouvés en contexte funéraire ou votif et n’ont parfois même jamais servi leur véritable fonction. Pour les plats à poissons, on peut supposer qu’ils étaient utilisés lors des cérémonies de banquets, monnaie courante dans la haute société grecque antique, pour servir le poisson. Le creux central, si la profondeur le permettait, était sûrement utilisé pour accompagner le poisson d’une sauce.
Quand on s’intéresse de plus près aux poissons représentés, il apparait que les espèces sont identifiables : on retrouve les poissons typiques de la Méditerranée, comestibles ou non, parfois même des espèces dangereuses pour l’homme. On pense notamment aux poissons torpilles, aux perches, aux poissons-globes ou encore aux pieuvres et aux calamars. Ces plats sont un beau témoignage des habitudes culinaires antiques, puisqu’on sait que le poisson est répandu dans le régime méditerranéen. Il faut cependant garder à l’esprit que la Méditerranée est moins peuplée de poissons que les autres mers ou océans, et que le poisson était peut-être réservé à des personnes de classes sociales supérieures. L’utilisation de ces plats dans le contexte du symposium, le banquet grec, irait alors dans le sens de cette hypothèse.
Au fil des découvertes de ces plats et des recherches faites sur cette typologie de récipients céramiques, d’autres hypothèses sont apparues sur la fonction de ces plats. Il est important de souligner que leur contexte archéologique, souvent funéraire, ne permet pas une interprétation définie : on peut penser à leur fonction de service citée précédemment, mais les exemplaires funéraires peuvent avoir été choisis spécifiquement pour leur iconographie et la symbolique liée aux espèces de poissons représentées. Les défauts de fabrication réfutent parfois l’hypothèse du service, et on pense qu’ils ont pu servir à différents jeux qui étaient pratiqués au cours du banquet. Enfin, en fonction des dimensions des plats retrouvés et de leur contexte, la fonction pouvait être simplement votive dans des sanctuaires de dieux liés au monde marin ou pour rappeler par l’offrande certains rituels religieux qui impliquaient la consommation du poisson.
En somme, cette production est emblématique des problématiques qui entourent l’étude de la céramique grecque antique de manière plus générale : les exemplaires qui sont visibles dans les musées aujourd’hui étaient les plus beaux et ne servaient donc pas forcément au quotidien – on leur préférait des exemplaires plus simples ou dans des matériaux aujourd’hui disparus, comme le bois. Leur fonction n’est pas certaine et était sûrement multiple, liée à la personne l’ayant commandé ou qui l’utilisait à un moment précis. Enfin, un dernier problème qui n’est pourtant pas des moindres est celui des ateliers de production : la différence de style entre les plats attiques et ceux d’Italie méridionale est visible, mais au sein même de ces régions il est nécessaire de mener des études plus approfondies pour déterminer la provenance du plat – on peut se baser sur le style, les composants de la terre utilisée, le lieu de découverte et très rarement sur des signatures de peintres.