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Dune (2021) : Premiers pas sur Arrakis

En 10191, la globalisation a dépassé les limites de la Terre pour atteindre une échelle galactique. L’Imperium s’étend d’un bout à l’autre de l’univers et son économie dépend de l’épice, énergie prélevée sur la planète Arrakis aussi appelée Dune. Cette planète désertique abrite les Fremens, population autochtone qui a vu son territoire colonisé au nom de l’extraction de l’épice qu’ils utilisent à des fins rituéliques. Source de conflits au sein de l’Imperium, l’épice est un vecteur de richesse pour ceux qui en assurent le stockage. Ainsi, quand l’Empereur décide de démettre le Baron Harkonnen de ses fonctions sur Arrakis au profit du Duc Atreides, un sabotage sur fond de guerre interne menace d’éclater à tout instant.

C’est sur ce contexte socio-économico-politique que s’ouvre et se développe le premier volet du Dune de Denis Villeneuve, adaptation de l’œuvre littéraire dantesque de Frank Herbert. Cette première partie, centrée sur la destinée du personnage de Paul Atreides (Timothée Chalamet), fils du Duc Leto Atreides (Oscar Isaac) et de Dame Jessica (Rebecca Ferguson), explore les tourments de l’adolescent qui prend conscience des responsabilités qui l’incombent et qui s’avèrent dépasser la simple succession à son père.

Paul Atreides (Timothée Chalamet) touche pour la première fois le sable d’Arrakis mêlé à l’épice, une richesse convoitée car à portée de main dans un désert aux multiples dangers. ©Dune, 2021, Denis Villeneuve

Avec Dune, Denis Villeneuve a pris la décision de s’engager dans l’œuvre d’une vie. Le film n’était pas encore sorti en salles que le réalisateur déclarait que rien ne l’empêcherait d’adapter l’univers initié par Frank Herbert et développé par Brian Herbert et Kevin J. Anderson. Ce premier volet est donc à prendre comme une introduction à une saga littéraire tentaculaire, qui se compose de vingt-deux volumes rédigés au cours de ces 56 dernières années. 

Alors, que penser de notre arrivée sur Dune

En parvenant à rendre claire une intrigue mêlant différentes planètes, familles et organisations, Denis Villeneuve rassure ses spectateurs dès les premières minutes du film. Nous ne sommes jamais perdus et le point de vue de Paul Atreides assure un support de compréhension supplémentaire. Le jeune homme est encore au stade où il étudie et prend connaissance de ce qui l’entoure, ainsi, les dialogues en double énonciation ne semblent jamais forcés car ils ont une visée pédagogique. 

L’identité visuelle de chaque planète offre aussi un repère supplémentaire. Arrakis est caractérisée par ses étendues de sable et son architecture empruntant aux pays du Moyen-Orient; Caladan, la planète Atreides, prend des allures de paysages romantiques à la Caspar David Friedrich et Gidei Prime, terre des Harkonnen, nous rappelle que les méchants du futur vivent tous dans des donjons SM éclairés avec un seul allogène. Les décors viennent ainsi compléter la mentalité des personnages avec une représentation qui exacerbe un manichéisme manquant de finesse.

Paul Atreides (Timothée Chalamet) sur sa planète Caladan, ©Dune, 2021, Denis Villeneuve

Les âges de la vie, 1834, Caspar David Friedrich

Cette facilité d’écriture s’ajoute à un développement parfois superficiel de certains personnages; bien que le Baron Harkonnen (Stellan Skarsgard) parvienne à se rendre terrifiant, il est difficile de le voir autrement que comme un être cruel et sadique. Autre exemple, le bras droit du Duc Atreides, Gurney Halleck (Josh Brolin) s’ancre dans la tradition du blockbuster hollywoodien à l’humour forcé, dont les répliques ne font jamais mouche, tant l’atmosphère développée par Denis Villeneuve entre en opposition avec son caractère. Toutefois il ne faut pas perdre de vue que le réalisateur compte étendre son propos sur plusieurs films, ce qui nous laissera la possibilité d’entrevoir les multiples facettes des protagonistes. De plus, ces lacunes sont rattrapées par l’existence de personnages tels que Jessica Atreides, dont la complexité est portée et magnifiée par le jeu de Rebecca Ferguson. Elle y est une mère aimante mais tiraillée par son lien au Bene Gesserit, organisation religieuse puissante. 

Dame Jessica (Rebecca Ferguson) lors de son arrivée sur Arrakis. Sa toilette convoque de nombreuses références orientales. ©Dune, 2021, Denis Villeneuve

Ainsi l’un des points forts de Dune réside dans l’importance accordée aux relations qu’entretient Paul Atreides avec son entourage; le scénario prenant le temps de développer l’affection portée à ses parents et son maître d’armes Duncan Jones (Jason Momoa). Le thème de la filiation et de l’héritage qui en résulte ancre donc Paul dans la lignée des protagonistes de récits initiatiques, dont le destin est comparable à celui d’un prophète. 

Le désert de Dune se rapproche de celui de la tentation du Christ tant il prête à la méditation, à la contemplation et à l’introspection. Le paysage est traité par Denis Villeneuve et Greig Fraser (directeur de la photographie qui a aussi travaillé sur le Marie-Madeleine de Garth Davis) comme un espace de réflexion philosophique infini, il n’écrase pas les personnages, il les enveloppe et les transporte en même temps que les spectateurs. 

On regrette cependant que le film se laisse par moment étouffer par une bande originale souvent efficace mais assourdissante par son omniprésence. Hans Zimmer parvient certes à faire de son travail une extension des personnages (notons la cornemuse des Atréides présente de façon extra et intradiégétique) mais quand la musique se coupe brusquement au cours d’une scène de combat, le contraste est tel que nous sommes déstabilisés mais soulagés pour nos esgourdes. 


Nous pouvons donc dire que Dune promet de belles choses pour le cinéma de science-fiction et pourra certainement égaliser ses prédécesseurs. Le premier volet est généreux pour un prologue mais dépend indéniablement de ses suites à paraître. En tous cas, nous sommes curieux de voir ce que Denis Villeneuve a réservé à Paul Atréides et Chani (Zendaya), jeune fremen sur qui le réalisateur dit vouloir se centrer.