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Marie Curie, première professeure de la Sorbonne en 1906

Il est couramment admis que Marie Curie se place de manière plébiscitaire au panthéon des grandes personnalités de l’Histoire de France. Double lauréate de prix Nobel, d’abord le Nobel de Physique en 1903 avec son mari Pierre Curie (mais aussi Henri Becquerel, chose moins connue) puis le Nobel de Chimie en 1911. Cette première décennie du vingtième siècle est décisive pour la native de Pologne née à Varsovie sous le nom de Maria Salomea Skłodowska car c’est suite à cette reconnaissance intellectuelle que les portes des grandes universités lui seront ouvertes et particulièrement la Sorbonne, dont Marie Curie reprendra la chaise professorale de son époux, mort accidentellement en 1906, devenant ainsi, il y a un peu plus d’un siècle, la première femme professeure de la Sorbonne. Retour sur une vie non moins atypique.

De Varsovie à la Sorbonne

Né dans un royaume de Pologne faisant face à une politique de russification entreprise par l’empire russe voisin, Marie Curie se distingue très tôt et de manière régulières dans les études où elle excelle particulièrement en mathématique. Elle intègre l’Université volante, un ensemble d’enseignements pluridisciplinaires dispensés secrètement pour contrer l’endoctrinement de la population polonaise par le régime du tsar Alexandre II. Par la suite, elle part pour Paris terminer ses études, la Pologne ne pouvant lui offrir un tel pont d’or. Elle y rencontre Pierre Curie au moment où celui-ci soutenait sa thèse et elle l’épouse en 1895.

Très vite le couple devient un tandem de travail très efficace. Dans un laboratoire de fortune installé dans une pièce miteuse de l’École municipale de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris où Pierre travaillait, ils s’adonnent avec un acharnement tranquille à leurs travaux pendant des années, dans une ambiance mêlant enthousiasme et simplicité. Ils découvrent le polonium et le radium, grâce aux travaux d’Henri Becquerel qui servit de base à leur découverte et tous trois reçoivent donc le prix Nobel de Physique en 1903. Il est impensable aujourd’hui dans l’histoire intellectuelle de Marie Curie, de la dissocier de son mari et principal collègue Pierre Curie. Ce dernier devient professeur à la Sorbonne en 1905 mais l’année d’après, il décède accidentellement renversé par une voiture. C’est donc son épouse qui est choisie pour lui succéder à cette chaire de la Sorbonne.

La Sorbonne et la poursuite d’une carrière semée d’embûches

A la mort de Pierre Curie, la direction de la Sorbonne est face à un dilemme bien en rapport avec son temps. Le cours que Pierre Curie a dirigé pendant dix-huit mois avait été mis en place sur mesure pour lui et le seul éminent scientifique capable de pouvoir poursuivre ce cours n’est autre que son épouse Marie. Évidemment le poids de l’époque joue dans la mesure où, certes, il a été possible d’offrir à une femme de poursuivre et terminer ses études supérieures mais il ne semble pas totalement raisonnable d’aller jusqu’à lui confier une chaire aussi prestigieuse, quand bien même Marie Curie dirige déjà depuis quelques années des cours à l’École normale supérieure des jeunes filles.

Et pourtant, le cours de Pierre Curie ne peut être poursuivi par personne d’autre que la cheffe des travaux de son laboratoire. Marie Curie est au sommet de sa carrière, ses compétences n’étant un secret pour personne et surtout une grande partie de la communauté scientifique est bouleversée par la mort tragique de Pierre Curie et considère qu’il semble juste de confier le poste à son épouse. Le très fin député de la Loire Aristide Briand, alors ministre de l’instruction publique appuie donc la nomination de Marie Curie qui devient donc la première femme à donner un cours à la Sorbonne le 19 avril 1906. Il n’y a alors pas que des étudiants étonnés dans l’amphithéâtre mais aussi des journalistes et le Tout-Paris qui accueille Marie Curie, encore en deuil, par des applaudissements prononcés ; elle sera effectivement nommée professeure deux ans plus tard. La tradition est rompue et une nouvelle étape est franchie pour le droit des femmes dans un vingtième siècle aussi riche que décisif.

Marie Curie continuera sa carrière, recevant un second prix Nobel en 1911, cette fois-ci de Chimie, pour l’approfondissement de ses travaux sur le polonium, qui a été nommé en hommage à ses origines. Elle est favorite pour plus d’un d’être élue à l’Académie des sciences cette même année, dans la droite lignée de sa nomination à la Sorbonne. Mais l’époque ne sera pas encore prête d’aller plus loin, et elle n’intégrera l’Académie qu’en 1922 sans pour autant y briguer un siège, se contentant d’une place externe. Pendant la guerre, elle aide les médecins sur le front grâce à des prémices de la technologie radiographique, leur permettant de localiser les impacts d’obus dans les organismes pour les retirer.

Atteinte d’une leucémie en raison de l’exposition pendant toute sa carrière à des substances nocives, Marie Curie s’éteint en 1934 âgée de soixante-six ans. Elle entre au Panthéon soixante ans plus tard avec son mari en 1995 sur décision de François Mitterand et en présence du président polonais Lech Walesa.