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Lucie Lefèvre, étudiante en M1 : « J’avais hâte de partir en Estonie pour me débarrasser de cette obligation qu’était l’Erasmus. »

L’échange universitaire à l’étranger est devenu un passage obligé pour beaucoup d’étudiants du supérieur. Les écoles louent les bienfaits de cette expérience qui ouvre l’esprit, forge le mental et fait progresser en langue. On y part souvent avec des envies de rencontres, de voyages et de fêtes (rarement avec des envies d’études). Mais on oublie de parler de la solitude, du déracinement ou du manque, autant de sentiments qui peuvent aussi accompagner un départ à l’étranger.

Lucie Lefèvre est étudiante en première année de Master Droit et Action publique à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Dans le cadre de son cursus, elle est partie de février à mai 2023 en échange à l’Université de Tallin, en Estonie. Un semestre doux-amer pour la jeune science piste de 21 ans : « Ça a été formateur au niveau de la connaissance de soi. Mais je n’étais pas heureuse, je ne me suis pas épanouie. »

Eh non, l’Erasmus n’est pas le rêve de tout étudiant ! Pour Lucie, cela a même été une contrainte. Très attachée à ses proches, le départ a été pour elle synonyme de déchirement. « À l’origine, je ne voulais vraiment pas partir. Il n’y avait aucune destination qui me faisait particulièrement envie, parce que l’Erasmus ne me faisait pas envie. J’avais hâte de partir en Estonie pour me débarrasser de cette obligation qu’était l’Erasmus. » Mais en consultant la liste de destinations possibles, l’Estonie lui est apparue comme un moindre mal. Capitale en bord de mer, aurores boréales et cours en langue anglaise, le tableau n’était pas si repoussant. « Je voulais partir assez loin, mais rester en Europe pour des raisons financières notamment. La bourse Erasmus couvrait mon loyer, ce qui n’est pas négligeable. »

Mer Baltique, Tallin
Quartier de Merimetsa, à Tallin

Tallin n’était peut-être pas la meilleure destination pour faire changer d’avis l’étudiante hostile au départ. C’est qu’avec son grand sourire et ses vêtements colorés, Lucie n’était pas vraiment au diapason de l’hiver estonien. « Il faisait très froid, et la nuit tombait très tôt. Il a neigé jusqu’en avril. Je me disais, ‘à un moment donné, il faut bien que le printemps s’installe !’ ». Mais ce n’est pas la froideur du climat qui a donné le plus de frissons à Lucie. Elle décrit la réserve de la population estonienne, le racisme ambiant, le « manque d’ouverture d’esprit ».  Un bon dans une nouvelle culture que l’étudiante française avoue ne pas avoir anticipé.

Il aura également manqué à Lucie la chaleur des relations humaines. « Volontairement avant de partir je m’étais dit que je ne créerais pas de relations, ou alors qu’avec des français.es parce que je ne voulais pas souffrir de l’éloignement après. » L’étudiante ne le cache pas ; ses proches sont un moteur dans sa vie, et quand elle aime, elle donne tout. Pour se protéger, elle a donc fait le choix de ne pas s’engager dans de nouvelles amitiés, qui n’auraient duré que le temps d’un semestre. « Le revers de la médaille, c’est que j’ai eu l’impression que ma vie était sur pause. En plus, je n’ai pas réussi à franchir la barrière de la langue. Je suis quelqu’un qui adore échanger, parler, débattre, et là je me suis retrouvée bloquée par cette barrière. » Après tout, comment nouer une relation intime quand on ne sait pas se dire dans cette autre langue ?, pense-t-elle.

Heureusement, même à l’autre bout de l’Europe, Lucie pouvait compter sur le soutien de sa famille et de ses amis. Elle avoue en souriant avoir appelé ses parents tous les soirs pendant son séjour à Tallin. « Ça donnait du sens à tout ça, de pouvoir le partager avec ceux que j’aimais. Je suis très proche de mes amis et de ma famille. En fait, ça n’était pas tant le pays qui me dérangeait, que le fait d’être loin de mes proches. J’ai fait beaucoup de choses, j’ai voyagé ; mais je me disais à quoi bon si je ne le vis pas avec les personnes que j’aime. Il fallait vivre avec l’absence et c’était compliqué pour moi. » Sur son compte Instagram, Lucie racontait les hauts et les bas de son échange estonien. Avec beaucoup de sincérité, elle se confiait sur la solitude, le manque des proches et du pays. « Paradoxalement, je me suis rapprochée de personnes qui étaient loin de moi, qui étaient aussi en Erasmus. Le fait de vivre certaines choses m’a rapprochée de certaines personnes. »  

Commune de Aegviidu, Estonie

Lucie avoue regretter l’injonction au « toujours plus » qui accompagne bien souvent les échanges universitaires. Une consommation à outrance de biens comme de moments, que l’étudiante regarde d’un œil critique : « Tu es entourée de personnes privilégiées qui dépensent beaucoup d’argent dans les soirées, qui font des voyages chers. Je ne me suis pas retrouvée dans le type de personnes présentes. On est dans l’idée qu’il faut faire plein de choses, visiter tous les pays alentour, qu’il faut faire les meilleures rencontres de ta vie, et tout ça en un semestre. » C’est que les récits d’Erasmus se font souvent sur le mode de la révélation existentielle ; plus belle expérience d’une vie, rencontres bouleversantes, découverte de soi. De quoi faire culpabiliser celles et ceux pour qui l’Erasmus n’a rien d’une révolution personnelle.

Mais malgré sa mauvaise expérience, Lucie garde le sourire et parvient à tirer du positif de son séjour estonien : de doux couchers de soleil, la découverte de nouveaux pays, et surtout des certitudes sur le sens qu’elle veut donner à sa vie. « J’ai utilisé ce semestre pour me retrouver avec moi-même et travailler sur moi. Etonnamment, ça m’a aidé à gagner confiance en moi, en ma faculté à me débrouiller seule. » Si son échange n’a rien eu du caractère édifiant qu’on lui prête souvent, il a mis Lucie face à ses besoins et ses envies : « Je n’ai pas de regrets. Je suis revenue avec des certitudes. Ça m’a appris sur moi et sur ce que je veux faire de ma vie. Ça m’a fait prendre goût au voyage. Mais je n’ai pas envie de le faire seule, je n’ai pas envie de vivre à l’étranger. En tous cas, pas sans mes proches. Si tous mes proches migrent en Espagne, j’irai vivre en Espagne, et j’en serai très heureuse ! » C’est sur une note positive que je quitte Lucie ; elle encourage tous ceux qui le souhaitent à partir en échange, tout en gardant en tête que l’Erasmus, à l’instar de la vie, connait ses moments de haut et de bas.