L’annulation de Roe vs Wade : un recul sans précédent pour les droits des femmes.

Ce 24 juin 2022, la Cour suprême des Etats-Unis a osé ce que l’on a longtemps cru impossible : revenir sur l’arrêt Roe vs Wade, pilier du droit à l’avortement depuis près de 50 ans. Que faut-il retenir de cette décision ?

Retour sur la déclaration d’inconstitutionnalité des législations anti-avortement de 1973

Jusque dans les années 1970, l’avortement était interdit dans la totalité des Etats américains. Après cette date, prenant conscience de la dangerosité de telles lois pour les femmes, plusieurs Etats dont New York le légalisent, quand d’autres, comme le Texas, restent fermés à cette possibilité. C’est d’ailleurs la loi anti-IVG texane que deux avocates contesteront à travers l’affaire Roe vs Wade, avec pour objectif de la faire déclarer inconstitutionnelle par la Cour Suprême. Cette dernière, chargée d’interpréter la Constitution, a ainsi qualifié en 1973 le droit d’être parent ou non de liberté fondamentale, ce qui rendait par conséquent inconstitutionnelles les lois anti-avortement. Depuis cette jurisprudence de 1973, l’avortement est, ou plutôt était, un droit dans tous les Etats ; de telle sorte que le Guttmacher Institute avait dénombré en 2017 plus de 850 000 interruptions volontaires de grossesses dans tout le pays.

Une Cour suprême dominée par les républicains, se faisant porte-parole des idéaux d’une droite religieuse minoritaire

La Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit

Les raisons de ce revirement de jurisprudence sont principalement politico-religieuses. Aujourd’hui la Cour suprême est composée de neuf membres, dont six républicains contre trois démocrates. Samuel Alito, porte-parole de cette majorité, soutient que “La Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit”. Pour rappel, trois des six juges républicains, signataires de cet arrêt, furent nommés par l’ancien président Donald Trump, s’étant félicité de cette décision qu’il qualifie de « volonté de Dieu ». Ainsi, c’est la composition de la Cour Suprême qui explique l’annulation de cet arrêt fondateur pour les droits des femmes, cette instance étant dominée par les idéaux partagés par une minorité de la droite religieuse anti-IVG.

Loin de réduire le nombre de recours à l’IVG, une décision risquant d’aggraver les discriminations et la dangerosité des interventions

En théorie, l’annulation de l’arrêt qui rend la jurisprudence caduque a pour conséquence immédiate de laisser le choix du caractère légal ou non de l’avortement entre les mains des Etats. En effet, un certain nombre d’Etats conservateurs ont déjà interdit l’IVG, notamment via la mise en application de lois « zombies », rédigées expressément pour s’activer en cas de revirement de la Cour Suprême.

La majorité des femmes ayant recours à l’avortement sont issues de milieux pauvres ou de minorités ethniques

Le Missouri a été le premier Etat à interdire à nouveau l’avortement, et selon les estimations, environ la moitié des Etats américains devrait suivre prochainement. Toutefois, en pratique, il a été démontré que les restrictions concernant l’avortement n’empêchent pas les femmes d’y avoir recours. De telles législations ne font que les pousser dans la clandestinité, ce qui aggrave la dangerosité des interventions, ces dernières ne pouvant plus être décemment prises en charge par un corps médical compétent. Il est très probable que les femmes voulant recourir à l’IVG se verront forcées de parcourir parfois des milliers de kilomètres pour se rendre dans un Etat qui le pratique librement, du moins pour celles qui peuvent se le permettre.

En effet, la majorité des femmes ayant recours à l’avortement sont issues de milieux pauvres ou de minorités ethniques. Ainsi, loin de faire disparaître les pratiques d’interruption de grossesse, l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade aura pour seule conséquence d’augmenter drastiquement les discriminations (tant raciales, que sociales, sexuelles et économiques…).

Initiatives du côté des pro-choix : quel avenir pour les droits des femmes américaines ?

Suite à cette décision de la Cour suprême qui a choqué le grand public et donné lieu à de nombreux rassemblements de protestation, déjà plusieurs Etats, incluant Washington et la Californie, se sont engagés à maintenir le droit à l’avortement sur leur territoire. De plus en plus d’associations se mobilisent pour tenter de fournir une aide financière, alimentaire et morale à celles qui auraient besoin de se rendre dans un autre État pour avorter. Il est cependant encore difficile d’estimer si de telles initiatives suffiront à faire face à l’afflux des demandes qui risque de croître sensiblement.

Pour ce qui est de la composition de la Cour suprême ayant acté cette décision d’annulation, les juges étant nommés à vie, le rapport de forces ne semble pas prêt de s’inverser (les trois juges nommés par M.Trump sont relativement jeunes). En outre, ce verrou constitutionnel ayant été enlevé, rien ne semble être en mesure d’empêcher que d’autres droits, tels que le mariage homosexuel ou le droit à la contraception en général, soient remis en cause. En témoigne l’intervention du président Joe Biden déplorant que cette décision de la Cour suprême puisse aller “Bien au-delà” de l’IVG.