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Enseignement supérieur : mais où sont les filles ?

En 2018, 92% des filles qui se sont présentées aux épreuves du baccalauréat général l’ont obtenu, contre 89% de garçons, 32% d’entre elles avec mention Bien ou Très Bien, tandis que 27% des garçons. Les filles apparaissent alors comme de meilleures élèves dans les cursus primaires et secondaires. Pourtant, en 2019, elles ne représentent que 42,3% des élèves des classes préparatoires et 28% des effectifs des écoles d’ingénieur. Comment comprendre ce soudain écart ?

Les domaines sans parité, l’ingénierie et les sciences humaines

Si le bac S est presque autant obtenu par les hommes que par les femmes, puisque 48% des élèves qui composaient les filières scientifiques « S » sont des filles. Elles obtiennent même plus de mention au bac que les garçons. Pourtant, dans les études supérieures orientées vers les sciences, les filles deviennent minoritaires, largement minoritaires. En classes préparatoires scientifiques, 61% des effectifs sont masculins. Et l’écart se creuse encore dans la poursuite des études, puisque dans les écoles d’ingénieur seulement 28% des inscrits sont des femmes. Cette crise de la représentation des femmes pousse les écoles à mettre en place des animations « femmes et sciences » dans les lycées et les collèges. Si au début des années 2000, cela portait ces fruits, depuis 2013, le taux de féminisation stagne, et peine à dépasser le tiers des inscrites.

Or, cet état de fait n’est pas causé par manque d’intérêt envers les sciences, dans la mesure où les filles sont aussi nombreuses que les garçons dans les filières scientifiques du secondaires. Le Monde, dans un article du 19 janvier 2021 dénonce « des barrières psychologiques » qui empêchent les filles de postuler dans les écoles. Ces dernières ont davantage tendance à considérer qu’elles n’ont pas le niveau ou les compétences. Pour palier cela, il semble important de pousser et d’encourager les filles à postuler.

La seule filière où les femmes sont majoritaires dans tous les enseignements de spécialité du secondaire et dans les formations d’enseignement supérieur est la filière littéraire. Les femmes sont largement plus présentes en lettres, puisqu’elles représentent 69,7% des inscrits à la fac en sciences humaines. Néanmoins, sauf en lettres et en langues, cette dominance largement établie ne survit pas à tout : les femmes sont moins professeures dans le secondaire que les hommes. Elles représentent 39% des professeurs en philosophie, 47% des professeurs en histoire-géographie..

Cette dégringolade de la représentation des femmes dans l’enseignement prouve que même lorsqu’elles sont majoritaires, ces dernières accèdent moins aux filières plus sélectives que les hommes. Si la répartition homme/femme des professeures semblent se rapprocher de la parité, ce qui peut sembler être une bonne chose, il ne faut pas oublier que ce n’est pas proportionnel au taux de femmes présentes dans ces cursus. Or, quand les hommes sont majoritaires dans les cursus de socle commun, comme dans les filières scientifiques, ils le sont aussi dans les filières plus sélectives. Alors que malgré des troncs communs plus féminins, les hommes sont autant voire plus diplômés que les femmes dans ces domaines.

Ecole de commerce, la vraie parité pour de faux résultats

Dans le domaine de l’économie, la suite de la filière ES apparaît comme le domaine paritaire par excellence. En effet, en 2018, la filière ES est composée à 60% par des filles, et à 40% par des garçons, mais surtout, les filles et les garçons sont équitablement représentés dans les choix de spécialité. Ainsi, 49% des garçons et 51% des filles se spécialisent en mathématiques, 36% des garçons et 35% des filles choisissent comme spécialité les sciences sociales et politiques … On est ici loin des écarts entre les différentes choix de spécialité des étudiants en filières scientifiques.

Même dans les études supérieures, les filières économiques apparaissent comme les filières les plus paritaires, puisqu’en 2018, 54% des effectifs de CPGE (classe préparatoire aux grandes écoles) visant les écoles de commerces sont féminins. Néanmoins, là encore, le plafond de verre demeure.

En effet, l’EDHEC a publié une étude selon laquelle les filles réussiraient mieux les concours écrits de l’école d’HEC, mais moins bien les oraux. Pour cela, il y a plusieurs explications. Tout d’abord, il semble que les jury d’admission soient moins durs envers les garçons, qu’envers les filles. Ensuite, les filles ont davantage tendance à moins se valoriser que les garçons, par exemple, une fille dira qu’elle a été « responsable d’export », quand un homme dira qu’il a été « directeur d’export ». Ce phénomène peut être expliqué par le fait que la société encourage les femmes à être délicates, même dans le domaine des affaires, alors qu’elle encourage un homme à être un « requin ».

Enfin, les témoignages d’étudiants qui passent ces oraux indiquent que les codes de cet exercice sont les codes sociaux traditionnellement masculins : il faut parler fort, car le Jury est assis loin, il faut avoir du répondant parfois acide, il faut physiquement occuper l’espace, …

Pour terminer sur la question des écoles de commerce, il est important de souligner que les femmes s’orientent plutôt dans le marketing ou les ressources humaines, alors que les hommes s’orientent plutôt dans les métiers de la finance, ou de l’audit. Les métiers choisis par les hommes sont mieux rémunérés, et bien que l’écart de salaire ne soit constaté au sein de la même promotion, il est constaté dans une classe d’âge, puisque les diplômés touchent 4.200 euros brut par an de plus que les diplômées d’un même école.

Les domaines largement féminisés, le droit et la médecine

Certains chiffres rassurent. On peut lire sur le site du gouvernement que les promotions de médecine, d’odontologie et de pharmacie sont à 65.3% féminines. À la lecture de ce chiffre, on peut penser, qu’au moins, dans le secteur médical, les femmes sont au moins autant diplômées que les hommes, et que l’évolution est positive. En effet, en 1980, les bancs de la faculté de médecine n’étaient occupés qu’à 45% par des filles. On assiste sans conteste à une féminisation des métiers médicaux. Néanmoins, malgré ces chiffres encourageants, certaines difficultés demeurent.

Dans les filières d’exception et d’excellence du domaine médical, les hommes demeurent majoritaires. C’est ainsi que 40% des effectifs en chirurgie sont féminins, alors que les formations en gynécologie (81%) et en pédiatrie (87%) sont largement suivies par des femmes. Ces chiffres traduisent deux courants sociaux issus du patriarcat. Tout d’abord, les femmes ne sont pas encouragées à s’orienter dans les filières d’excellence, car il est estimé que ce sont des métiers difficiles, exercés au terme d’études longues et exigeantes sont réservés aux hommes. Ensuite, les effectifs sont largement majoritairement féminins dans les secteurs de la maïeutique, de la maternité et de la parentalité, c’est-à-dire la gynécologie ou la pédiatrie. Cela traduit la volonté de cantonner les femmes dans des domaines « réservés aux femmes ». Si la possibilité pour une femme d’être médecin n’est plus remise en cause, la femme reste encouragée à suivre des formations qui l’orientent vers le soin des enfants, ou des femmes enceintes, ou encore des autres femmes. Les métiers du « care », en quelque sorte.

Le droit apparaît comme une des formations les plus paritaires, voire même la seule dans laquelle le nombre de femmes est supérieur à celui des hommes, y compris dans les plus hautes professions du monde juridique. Dès 2010, 70% des licenciés étaient des femmes, et aujourd’hui, 80% des étudiants à l’École Nationale de la Magistrature (ENM) sont des femmes.

Néanmoins, certaines limitent demeurent, puisque les femmes ne représentent plus que 40% des doctorants en droit. Tout comme en médecine, les cursus d’excellence semblent être réservés aux hommes, même quand ces derniers ne sont pas majoritaires dans le tronc commun (licence). Bien que la profession d’avocat soit autant exercée par les hommes que par les femmes. Par exemple, le barreau de Paris compte en 2019 56% d’avocates. Ces dernières sont moins mises en avant que leurs homologues masculins. En effet, les avocates sont à 87% collaboratrices, et elles ne sont que 17% à être associée, c’est-à-dire dirigeantes d’un cabinet d’avocats. Cet écart traduit le fait que bien que l’accès à la profession d’avocat, par concours anonyme puis oral, ne pose plus question aujourd’hui, les cabinets et les acteurs de la société économique sont encore réticents à accorder des responsabilités à des femmes.