La culture au service de la politique de la ville
La fondation Abbé Pierre vient de publier son rapport annuel sur l’état du mal-logement en France. Elle s’inquiète notamment de la faible production d’HLM, l’occasion pour nous de revenir sur les politiques de logement social et l’évolution des perceptions des HLM, nouvellement devenus objets d’attention du milieu culturel.
Historique du logement social : la construction d’un problème public
Au XIXème siècle, l’industrialisation massive du pays s’accompagne de difficultés pour les ouvriers à peine arrivés des campagnes à se loger. Les initiatives de logement social sont d’abord d’ordre privé, de riches philanthropes se lançant dans la construction de cités ouvrières – l’un des exemples les plus connus étant Mme Jules Lebaudy.
A la fin du XIXème siècle et au début du XXème, l’Etat s’empare progressivement du problème, notamment sous l’impulsion du maire du Havre Jules Siegfried à qui l’on doit la loi de 1894 créant les Habitations à Bon Marché, ancêtres des HLM, par la suite rendues obligatoires par la loi Bonnevay de 1912. Le changement de dénomination entre HBM et Habitation à Loyer Modéré s’opère en 1950 par la loi Claudius Petit, qui introduit également des critères de revenu pour y avoir accès.
Mais malgré les efforts publics, jusque dans les années 1970 persistent les bidonvilles, privés d’eau courante et d’électricité. C’est alors qu’intervient la construction de grands ensembles, aussi appelés « barres », qui marque les années 60 et 70. Le Plan Barre de 1977 change la focale des pouvoirs publics en matière de logement, en passant de l’aide à la pierre à l’aide à la personne : c’est la fin de la construction des grands ensembles, le retour au logement individuel notamment pavillonnaire, et la création des APL.
En septembre 2022, selon l’Union sociale pour l’habitat, le secteur HLM représentait 4,7 millions de logements sociaux et concernait 10 millions de locataires, et, plus significatif encore, « un français sur deux vit ou a vécu en HLM ».
Politiques de la ville : s’approprier les espaces par la culture
La perception des HLM est intimement liée aux politiques de la ville. Celles-ci étant actuellement parcourues par des courants valorisant l’appropriation des espaces par les citoyens, la culture s’impose comme un moyen pour permettre à ces derniers de prendre possession de ces lieux de vie et de leur histoire.
Un article tout à fait intéressant publié en 2021 par 3F Echos Responsables pose la thèse selon laquelle les HLM seraient devenus des œuvres d’art, de véritables musées. L’image des HLM serait « aujourd’hui intimement liée à une imagerie branchée véhiculée sur Instagram et dans les œuvres cinématographiques qui s’y déroulent », avec par exemple les Espaces Abraxas de Noisy-le-Grand, ayant accueilli le tournage de Hunger Games en 2015 (voir la scène). L’article en question évoque de nombreux grands ensembles des années 70 et 80 ayant servi de théâtre d’expression culturelle, tels que les Pyramides d’Évry, les Tours Nuages de Nanterre et les Arcades du lac de Montigny-le-Bretonneux. Pour ce qui est de l’entrée plus institutionnelle sur la question de la place des HLM dans la culture – ou de la culture dans les HLM – l’article envisage ces derniers comme étant « en voie de patrimonialisation », grand nombre de ces structures étant entrées au Patrimoine des monuments du XXème siècle.
Ainsi les HLM ne sont plus seulement le théâtre de ségrégations et de concentration des dysfonctionnements, parmi lesquels l’insécurité et l’échec scolaire. Leurs habitants se départissent du caractère passif qui leur a souvent été prêté, certains profitant de ce regain d’attention pour leurs lieux de vie pour s’emparer du pouvoir narratif autour de ceux-ci. A titre d’exemple, l’année dernière un HLM d’Aubervilliers a créé son propre musée pour retracer la vie quotidienne des habitants qui y ont vécu. Ce projet d’histoire populaire, porté par l’Association pour un Musée du Logement Populaire du Grand Paris, avait pour point de départ l’observation faite par des professeurs du secondaire dans ces quartiers que leurs élèves éprouvaient des difficultés à tracer des liens entre leur histoire familiale et l’Histoire de France, « soit parce qu’ils étaient originaires de famille étrangère, soit parce que l’histoire sociale des classes populaires est assez peu présente dans les programmes scolaires ». La culture peut aider à s’approprier les espaces, à changer les perceptions, et se présente ainsi comme un instrument tout à fait valable à disposition des responsables de la politique de la ville.