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Les présidents-candidats

La gauche a trop de candidats pour ce qu’elle cumule comme intention de votes. La droite se retrouve bouleversée par l’extrême droite, et notamment par la candidature d’Éric Zemmour. L’état du champ politique ne s’est pas arrangé. Pas depuis son éclatement en 2017. Et ce, à tel point qu’Emmanuel Macron, pas encore candidat, est d’ores et déjà en tête de tous les sondages. S’il se déclare candidat, il le fera alors en tant qu’ancien Président de la République.  Ce ne serait pas la première fois que la Vème République rencontre ce cas de figure, bien au contraire. Alors que Charles de Gaulle démissionne avant la fin de son second mandat, Georges Pompidou, qui lui succède après la période d’alternance assurée par Alain Poher, est mort avant de pouvoir terminer son premier mandat. Ce sera alors son successeur, Valéry Giscard d’Estaing, qui sera le premier à se soumettre au vote des français après sept années passées à l’Élysée. François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy suivront sa trace et tenteront d’être élus pour un deuxième mandat. François Hollande fera alors figure d’exception en renonçant en 2016 à sa propre réélection. Retour en arrière sur les candidatures des anciens Présidents de la Vème République.

Valéry Giscard d’Estaing, la candidature évidente qui tourne mal

Élu à l’âge de 48 ans, il a pour objectif d’incarner la même modernité que J. F. Kennedy. Au cours de son mandat, il porte des réformes aujourd’hui centrales : abaissement de la majorité civile (loi du 25 juin 1974), légalisation de l’IVG, (loi du 17 janvier 1975), création du divorce par consentement mutuel (loi du 11 juillet 1975), lancement du projet TGV, fondation du Conseil de l’Europe (9 décembre 1974) … Il parvient alors à incarner le Président de la modernité. Six mois avant le premier tour de l’élection présidentielle de 1981,  le Figaro estime que celui-ci gagnerait face à Rocard, en obtenant 52% des voix et face à Mitterrand, en convaincant 57% des Français.

La dernière année de mandat de VGE vient chambouler ses plans. Alors qu’il avait bénéficié d’une haute cote de popularité tout au long de son mandat, le Canard Enchainé révèle le 10 octobre 1979 l’affaire des Diamants de Bokassa. Ces dons du dictateur africain Bokassa, estimés à 1 million de Francs n’ont jamais été mentionnés par le Président.

La Une du Nouvel Observateur, février 1981

Cette affaire, couplée au retrait de la candidature de Rocard, que VGE et ses conseillers avaient estimé comme l’unique adversaire sérieux du Président, ont servi de tremplin pour la candidature de Mitterrand. Ce dernier a bénéficié de l’aide de la presse de gauche, lassée du gaullisme et de la droite. Par exemple, L’Observateur, moqueur, titre « L’homme qui voulait être roi » et publie en une un dessin de VGE en roi de l’Ancien Régime.

Alors que 6 mois avant l’élection, tout laissait penser qu’il allait gagner, il ne parvient qu’à se qualifier au second tour, et doit laisser l’Élysée à Mitterrand, qui remporte à peine 52% des voix au second tour.

Cet échec ne marque pas pour autant la fin de la vie politique de VGE, qui sera ensuite président du conseil régional d’Auvergne, député à l’Assemblée Nationale et au Parlement Européen et président de son parti politique, l’UDF. Son unique prédécesseur encore vivant, de Gaulle, s’était retiré de la vie politique, et les Français considéraient qu’il n’avait plus de rôle à jouer dans la politique et la gouvernance de la France. Pour la première fois, la présidence de la France n’est pas la dernière fonction du locataire de l’Élysée.

Mitterrand, le président star et secrètement malade

Premier Président de gauche, élu sous le programme commun, il est lui aussi, le président des réformes : abolition de la peine de mort (1881), instauration de la semaine de 39h et de la cinquième semaine de congés payés, création de la fête de la musique (1982) …

Il bénéficie d’une forte popularité tout au long de son mandat, puisqu’un an avant les élections présidentielles, en 1988, 56% des Français se déclarent satisfaits de son mandat, et 54% voteront pour lui au second tour. Sa candidature est une évidence politique : son parti est haut dans les sondages, il est le seul à être capable de battre Jacques Chirac, son Premier Ministre, lui aussi candidat. Néanmoins, sur le plan personnel, elle n’est pas évidente. Personne ne le sait, pas même sa femme au départ, mais il souffre depuis le début de son mandat d’un cancer de la prostate, sous le point de se développer sur les os. Cette maladie est un secret d’État, et elle ne fut révélée qu’en 1991 au public, puisqu’il est contraint de se faire opérer.

François Mitterrand décide malgré cela d’être candidat, en l’annonçant sur le plateau du journal du soir d’Antenne2. Quelques mois plus tard, au cours du troisième débat d’entre deux tours, dans une séquence devenue emblématique, Mitterrand rétorque à Chirac, qui souhaite mettre de côté leur statut de Premier Ministre et de Président de la république : « Mais vous avez tout à fait raison Monsieur le Premier Ministre ». Il sera réélu avec 54% des suffrages exprimés.

Cette élection présidentielle est marquée par la division des différents camps politiques, malgré tout contraints de gouverner ensemble. Mitterrand et les gauches rassemblées remportent l’élection présidentielle mais l’Assemblée Nationale est majoritairement à droite en 1988, Mitterrand est président, mais Chirac était premier ministre. Il n’y a pas un candidat du pouvoir et un candidat de l’opposition, « qui pourrait faire mieux » puisque les deux finalistes occupent des postes centraux. 1988 est aussi l’année de la percée du Front National, qui remporte près de 15% des voix, et qui s’affirme comme un opposant politique de premier plan. Jean-Marie Le Pen, candidat défait au premier tour, appelle à ne surtout pas voter pour Mitterrand, mais considère que Chirac est « le mal » par opposition « au pire ».

Chirac, la bouée des français face au Front National

Après les 14 ans au pouvoir de la gauche, c’est la droite, à travers le RPR, qui s’empare à nouveau de la présidence. Jacques Chirac est élu, au terme des mandats de François Mitterrand. Au cours de son premier mandat sa côte de popularité oscille entre 45% et 55%, ce qui traduit une popularité certaine et fixe du Président. Sa candidature ne fait aucun doute, alors il essaye de surprendre par la forme que va prendre l’annonce. Il décide, au cours d’un déplacement à Avignon, de répondre à la question de la Maire au cours d’une audition « devant les français ». Tout au long de la campagne, il est au coude-à-coude dans les sondages avec Lionel Jospin, son premier ministre. Chirac sera élu au second tour face à Jean-Marie Le Pen.

La forme de l’annonce de candidature n’aura pas été la seule surprise de cette élection, puisque pour la première fois, le Front National accède au second tour. Le Parti de Jean-Marie Le Pen avait déjà affirmé sa légitimité en 1988, en récoltant 15% des voix, mais cette fois-ci, le FN n’est plus qu’un mouvement avec une ampleur certaine, il est au second tour. La réaction des Français est alors sans appel, puisqu’ils votent à plus de 80% en faveur du président sortant. C’est le meilleur score jamais obtenu par un élu présidentiel de la Vème République.

Le FN propulsé au second tour s’explique par la multiplicité des candidats de droite et de gauche ainsi que par leur incapacité à toutes les deux de se rassembler. On comptait en effet huit candidats de gauche, c’est-à-dire cinq dits « modérés » et trois d’extrême gauche, deux candidats au centre, et six à droite ; deux d’extrême droite, et quatre, dont le président, de droite « modérée ».

Ce grand nombre de candidats permet la mise en place du phénomène décrit par l’économiste Kenneth Arrow, prix Nobel de l’économie en 1974. Selon lui, l’impossibilité des électeurs d’exprimer l’intensité de leur vote, couplée au grand nombre de candidats proches entre eux, rend impossible un choix démocratique représentatif de l’opinion publique, ce qui permet l’ascension de celui qu’il appelle « le dictateur ». Jean-Marie Le Pen, en raison de toutes les controverses qu’il suscite (négationnisme, affaire du Poignard) ne peut pas être le président des Français, puisque clivant, qui s’allient contre lui, permettant ainsi la victoire de Chirac.

Sarkozy, la tentative risquée de plaire aux Français

Très bas dans les sondages tout au long de son mandat, mais surtout à 12 mois des élections, où il ne convainquait que 28% des Français, Nicolas Sarkozy annonce sa candidature au mois de février 2012, au journal de 20h de TF1. Il répond à Laurence Ferrari, qui lui demandait s’il briguait un second mandat : « Je serai président et candidat pour que cette campagne soit utile aux Français. ». Il décide de s’extraire de l’image du président sortant, tente une nouvelle identité et fixe une durée de campagne longue pour un président sortant. Il sera alors battu par François Hollande, vainqueur de la primaire du parti socialiste, élu avec 51% des voix au second tour. La candidature de Sarkozy n’a pas plu aux Français, qui ne souhaitaient pas de renouvellement du bail du couple Sarkozy-Bruni à l’Élysée.

Malgré cet échec, Nicolas Sarkozy a tenté un retour dans la vie politique, en se déclarant candidat à l’élection de 2017, avant d’accepter de se soumettre à la primaire de la droite en 2017. Cette participation traduit le malaise interne au parti, sceptique de donner une nouvelle fois sa chance à l’ancien président. Le résultat est sans appel : les votants de cette primaire refusent de se voir représentés par Sarkozy, qui ne se qualifie même pas pour le second tour. L’investiture se joue entre François Fillion et Alain Juppé, au profit du premier. Par cette élimination, les militants de la droite expriment très clairement leur désapprobation, et poussent Sarkozy vers la porte de sortie. Contrairement à VGE, l’échec de Nicolas Sarkozy dans la course à l’Élysée met un terme définitif à sa vie politique. Du moins, à ce jour …

Hollande, entre intérêt de la France et regrets personnels

François Hollande est ainsi le seul président à n’avoir jamais considéré un second mandat (du moins, publiquement). En décembre 2016, il publie un communiqué vidéo dans lequel il annonce qu’il ne sera pas candidat au terme de son mandat. Il reconnait ne pas être capable de réunir assez de français et françaises, et considère que ce serait un risque pour les institutions de présenter une candidature capable de diviser. Dans ce communiqué, il appelle la gauche à se rassembler pour faire face au « conservatisme, et pire encore, à l’extrémisme ». L’élection de 2017 n’aura pas été celle de l’union de la gauche, puisque que le PS enregistre le pire score de son histoire, avec Benoit Hamon qui ne récolte que 6,35% des voix.

Hollande, semble, par cette décision, en dehors de la course au pouvoir et garant de l’intérêt de l’union de la France. Ces nobles sentiments sont entachés par des déclarations en live sur la chaine Twitch du journaliste Samuel Étienne. Hollande confesse que son plus grand regret est de ne pas s’être représenté, il reconnait avoir pris une décision hâtive et estime rétrospectivement que l’effondrement de la candidature de Fillon aurait été sa chance de gagner. Ces regrets, arrivés des années après son retrait, sont peut-être la reconnaissance d’un manque de courage face aux électeurs.

En France, le système juridique ne prévoit pas d’autre moyen pour le peuple d’exprimer son ressenti pour le président autrement que par le vote en cas de seconde candidature. En effet, l’Assemblée Nationale approuve le gouvernement formé par le Président de la république et le Premier Ministre, mais le peuple ne donne son avis que tous les cinq ans. Ne pas se représenter, c’est aussi ne pas être confronté à l’avis des Français sur son bilan, et Hollande a fini son mandat sous la barre des 20%, un score particulièrement bas dans l’histoire de la Vème République.

Macron, candidat ?

Si l’annonce de campagne d’Emmanuel Macron semble se faire attendre, elle ne fait pas figure d’exception parmi les anciens présidents candidats. VGE annonça sa candidature le 2 mars 1981, soit 55 jours avant la tenue du premier tour, le 26 avril 1981. Mitterrand se déclare candidat le 22 mars 1988 alors que le premier tour doit se tenir 33 jours plus tard. Chirac indique qu’il se présentera le 11 février 2002, près de 70 jours avant le premier tour. Enfin, Sarkozy officialise sa candidature au JT de TF1 67 jours avant le premier tour.

Grâce à ces chiffres, nous pouvons établir que les anciens Présidents se présentent en moyenne 56 jours avant la tenue du premier tour des élections, soit, cette année, le 16 février 2022. Les anciens présidents semblent ainsi s’être fixé un temps de campagne particulièrement court, par rapport aux autres candidats. Marine Le Pen est candidate depuis le 9 avril 2021, Jean-Luc Mélenchon depuis le 8 octobre 2020, la primaire écologiste s’est tenue en septembre 2021 et Les Républicains ont annoncé en septembre qu’ils allaient organiser un vote des adhérents au mois de novembre 2021.

L’écart important et constant dans l’histoire de la Vème République, entre la candidature du Président et celle des autres candidats laisse à penser que le président n’est pas le même candidat, et cela sème le trouble dans la vie politique. Quand Macron représente la France dans sa présidence du Conseil Européen, qu’il est en déplacement à Marseille, quand il annonce les budgets pour les années à venir, est-il en campagne ? 

Ce trouble est couplé à des incertitudes concernant l’indépendance du rôle du président et celui du candidat en campagne. Par exemple, le débat public s’oriente souvent vers la question de l’utilisation de l’argent public à des fins électorales. Il est évident que le Président en fonction n’est pas un candidat comme les autres, car il doit se défendre autant que proposer, mais il semble disposer d’avantages créant d’importantes inégalités envers les autres candidats.

Bertille Delamarche