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Monde Contemporain

Politique fiction pas si fictive : Soumission de Michel Houellebecq

Michel Houellebecq est cité aujourd’hui parmi les principaux auteurs de l’univers romanesque français. De la parution des Particules Élémentaires en 1998 jusqu’à son dernier ouvrage Anéantir en passant par La Carte et le Territoire, récompensé par le Prix Goncourt 2010, l’auteur est aujourd’hui plus que jamais clivant. Il y a de quoi, entre ses récents ouvrages, et ses interventions publiques où il affiche une mine désinvolte et – on peut le dire, snob. Dernière lauréate française du Prix Nobel de littérature, Annie Ernaux déclarait qu’il fallait mieux pour elle qu’elle remporte ce prix plutôt que Houellebecq et ses « idées réactionnaires et antiféministes ». Je vous propose aujourd’hui de nous replonger dans l’ouvrage qui a plus que jamais fait basculer l’œuvre de Houellebecq, paru en 2015 : Soumission, un roman d’anticipation, que l’auteur décrit lui-même comme une satire. De quoi continuer notre chemin parmi les romans du genre, dont le dernier arrêt était jusqu’ici Globalia, de Jean-Christophe Rufin.

Des élections inédites : un narrateur simple, indifférent au bourdonnement électoral

Soumission décrit une France très peu lointaine à la date de la parution de l’ouvrage. En 2022, le pays est en plein période électorale, et à la suite d’un concours de circonstances politico-médiatiques, un ancien énarque et chef de file d’un parti affilié aux Frères Musulmans accède à la magistrature suprême. Le narrateur est un docteur en littérature, François, expert de l’écrivain naturaliste du XIXème siècle Joris-Karl Huysmans. La quarantaine, franchement peu enthousiasmé par sa vie d’universitaire, il enchaîne les aventures avec ses propres étudiantes, et celui-ci voit d’un œil très neutre ce chamboulement politique. Difficile de ne pas voir en lui les personnages rencontrés constamment dans les romans de Houellebecq, profondément désabusés et cyniques. Mais François, comme les millions de Français, sera lui aussi happé par le bourdonnement de ces élections inédites pour le pays.

Le livre a été salué pour sa qualité littéraire et pour la simplicité de son personnage principal. A ce titre, les passages dénués de sens politique et qui ne raccrochent pas à l’histoire principale des élections présidentielles offrent une alternance bienvenue entre cette ambiance électorale un peu étouffante et les moments de réflexion de l’auteur sur sa vie, ses choix et Joris-Karl Huysmans – il est également possible de percevoir ce livre comme un grand hommage à ce dernier. Mais le livre a aussi été critiqué pour une supposée islamophobie, tant le sujet semble tout de suite abordé d’un point de vue négatif.

Une satire ancrée dans le réel : lassitude du climat politique et anticipation des élections de 2017

Toutefois, et l’expression est bien choisie, il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Nous devons garder en tête le fait que Houellebecq soit un auteur n’ayant jamais rien laissé au hasard concernant la religion. Profondément athée, il s’intéresse, tout comme François dans ce livre, à la religion de manière purement culturelle et historique. Ainsi, quand l’idéologie islamique s’installe dans le pays, il la perçoit quasiment comme un programme politique comme un autre. A aucun moment l’auteur ne dramatise quoi que ce soit : le seul drame, finalement, c’est la solitude de François. Les terroristes sont très peu abordés et présentés très brièvement comme appartenant à un courant minoritaire dans le parti islamique arrivant au pouvoir. Sur la religion en elle-même, seuls les passages montrant l’application très dure de la loi islamique, principalement sur les femmes -comme l’interdiction pour elles d’aller à l’université – semblent confirmer les réserves de l’auteur sur le combat féministe.

Ceci dit, du reste, le point de vue de l’Islam est essentiellement un point de vue politique. Dans ce roman, Houellebecq fait preuve de subtilité en ce qu’il présente l’avènement de l’idéologie islamique comme une solution réactive aux maux du pays par des personnes globalement très rationnelles – le président élu est un ancien énarque, libéral et bien rangé dans la société – comme un solution aux limites de nos démocraties laïques, néolibérales et individualistes, d’où l’emploi du terme « satire » par l’auteur. En effet, une fois l’élection terminée, le climat de violence s’arrête immédiatement.

Difficile de ne pas voir dans Soumission une lassitude de l’auteur par rapport au monde politique de son temps, et surtout l’anticipation de l’élection présidentielle de 2017 ! Mohamed Ben Abbes – le président élu du livre – et Emmanuel Macron sont au final relativement similaires, la religion d’État à part. Ils sont europhiles, libéraux, rationnels, de centre-droit en somme, et de longs passages sont consacrés à l’élargissement européen pour fonder une civilisation musulmane. N’est-ce pas le projet de l’Europe ? Remplacer les États-Nations par une civilisation européenne ?