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Orientation scolaire : « Maintenant t’es dans le grand bain, devine comment on nage »

Temps de lecture : 5 min

Hormis quelques chanceux, certains la ressentent comme une plaie, beaucoup d’autres comme une responsabilisation forcée et prématurée. L’orientation scolaire, première étape cruciale dans la vie des jeunes, hante une bonne partie des élèves dès la sortie du collège, voire plus tôt pour quelques-uns d’entre eux. Malgré les nombreuses initiatives mises en œuvre pour les aider à s’y retrouver dans la multitude de parcours qui s’offrent à eux chaque année, trop d’étudiants se tournent vers des formations qui ne leur correspondent pas, faute d’avoir été guidés correctement, et envisagent un avenir professionnel dénué de sens et donc de motivation. Je vous propose quelques pistes de réflexion autour de ce dysfonctionnement du système scolaire français.

Un aiguillage biaisé par des problématiques de genre et socio-économiques

En 2016, ce sont 110 000 lycéens qui se déscolarisent, à causes de facteurs très variés pouvant aller des regrets concernant la voie empruntée, au syndrome de l’imposteur, en passant par les facteurs extérieurs comme un contexte familial compliqué. A ces difficultés s’ajoute la problématique d’une orientation différenciée entre filles et garçons. En caricaturant un peu, les premières s’orientent plus vers des études courtes et littéraires, tandis que les seconds optent plus pour des études longues et scientifiques. L’explication réside moins dans le fait qu’il y a une réelle stigmatisation des filles au niveau des études supérieures que sur l’influence majoritairement inconsciente du cadre familial et scolaire sur les choix professionnels opérés par les jeunes. Cependant, grâce à un changement de mentalité plutôt global, la tendance semble aujourd’hui être à la démocratisation générale des études, ce qui semble indiquer pour les années à venir un changement positif vers une égalité des sexes plus présente au sein des études. Mais l’aiguillage biaisé au sein du système d’orientation ne s’arrête pas à la distinction filles/garçons. Il est bien connu que, de manière plus visible encore, les différences de strates socio-économiques influent sur l’orientation scolaire. Mais ce point mériterait un sujet entier, et certains s’y sont déjà attelés très sérieusement (voir les travaux de Pierre Bourdieu).

Post-collège : un premier pallier stigmatisant, des biais de représentation très ancrés

Ce vers quoi j’aimerais maintenant attirer l’attention, c’est le fameux « premier pallier » de l’orientation qui s’opère en fin de collège, au moment où les élèves s’orientent soit vers la voie professionnelle, soit vers la voie générale/technologique. Si cette dernière a connu récemment une restructuration de taille avec l’effacement des filières post-seconde, ce premier pallier reste révélateur des biais animant la population pré-estudiantine. Beaucoup d’élèves se retrouvent en lycée général sans réaliser que choisir cette filière implique presque nécessairement de se projeter bien après le baccalauréat, et dans des études a priori portées sur le tertiaire. Les autres orientations type bac pro, CAP et plus tard les licences professionnelles, souffrent d’un déficit d’image auprès non seulement des élèves, mais également de leur entourage. Souvent, ces filières ne sont pas envisagées par peur d’une insertion difficile sur le marché du travail, peur totalement infondée puisque la majorité de ces filières, souvent plus manuelles, ne manquent pas de demande d’emploi (par exemple la menuiserie). La peur du déclassement social par rapport à ses parents est en outre très présente chez les élèves, pour qui il n’est pas forcément facile de s’émanciper de la pression sociétale qui survalorise les études longues, indépendamment de leur utilité réelle.

Post-bac : un imaginaire collectif qui dicte les choix des étudiants

Dans le secondaire, la problématique est autre. Même si les chemins possibles restent nombreux (d’autant plus depuis la réforme Blanquer), théoriquement, le choix des matières en classe de 1ère et Terminale prédéfinit fortement l’orientation post-bac. Cependant, les problèmes du déficit d’image dont souffrent certaines formations, et de la négligence de la question de la longueur des études restent intacts. Si on prend par exemple les Brevets de Technicien Supérieur (BTS) dispensés sur deux ans, bien que ne souffrant pas du même rejet que certaines des formations professionnelles mentionnées plus haut, cette filière est tout de même jugée moins prestigieuse et utile à une formation de cinq ans à la faculté. Car oui, dans l’imaginaire collectif, il est impensable qu’une formation si courte puisse apporter autant qu’une filière longue, ou qu’un bachelier STI2D puisse prétendre atteindre une école d’ingénieur, réservée aux sortants de classe préparatoire aux Grandes Écoles…etc Et pourtant, ces formations plus courtes mais ciblées, tout aussi exigeantes et plus concrètes, ont leur lot d’avantages. Elles ne ferment pas la porte à une suite d’études : les étudiants avec un BTS en poche peuvent rejoindre une licence professionnelle en université par exemple (cette voie est concurrentielle mais existe).

Pour formuler quelques propos conclusifs, ces exemples non-exhaustifs insistent sur le fait que ce qui compte avant tout n’est pas la formation mais le projet dans lequel elle s’insère. Du premier dépend le second et il est nécessaire pour qu’un étudiant garde le cap et puisse s’épanouir dans ses études qu’il ait un projet, si changeant puisse-t-il être. Cette problématique de l’orientation scolaire en France est peut-être bien moins sur le devant de la scène éducative que les difficultés de recrutement de professeurs ou le manque de reconnaissance de ce métier par exemple. Toutefois, les études sont un socle duquel peut partir une bonne partie du bonheur individuel d’un étudiant, il est donc urgent que ce processus soit pris bien plus au sérieux.


https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2008-2-page-9.htm

https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2018-3-page-79.htm

https://www.ouest-france.fr/normandie/saint-lo-50000/manche-dans-le-batiment-les-penuries-de-materiaux-et-de-salaries-succedent-a-la-crise-sanitaire-3ddf273a-84e1-11ec-861b-cd427b73d3bb