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La Colombie à la croisée des chemins

Ce dimanche a eu lieu le premier tour de l’élection présidentielle en Colombie. Il a vu Gustavo Petro, candidat de Gauche favori dans les sondages, accéder au second tour avec 40% des voix face au populiste Rodolfo Hernandez qui en a lui obtenu 28%. Avec une telle avance, M. Petro pourrait devenir le premier président de gauche dans l’histoire du pays. Mais les enjeux de ce scrutin vont bien au-delà d’une simple alternance. Décryptage.

Un renversement politique

Longtemps en Colombie la gauche a été associée aux guérillas marxistes qui ont affronté les gouvernements successifs, dans un cycle de violences et d’insécurité. Dans ces conditions, il était impensable qu’un candidat de gauche se présente aux élections présidentielles, et encore moins qu’il soit pressenti pour les gagner.

Mais un accord de paix a été signé en 2016 entre l’État et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), la principale et plus ancienne de ces guérillas. Il devait acter la fin des combats et la dissolution des FARC pour permettre leur entrée en politique. Et malgré sa difficile mise en application et la persistance de certains conflits – plus de 80 personnes sont mortes depuis le début de l’année dans le nord-est du pays en raison de la rivalité entre des dissidents des FARC et l’ELN, deuxième principal groupe guérillero -, ce plan a redistribué les cartes dans un jeu politique jusque-là monopolisé par les partis traditionnels de droite libérale ou conservatrice.

election présidentielle colombie - Gustavo Petro en 2013.

Si le programme de Gustavo Petro est plus centriste que révolutionnaire, son accession au pouvoir serait un véritable renversement politique

Gustavo Petro incarne particulièrement ce changement ; guérillero dans les années 1980, il est ensuite devenu député, sénateur puis maire de la capitale Bogota avant de se présenter à l’élection présidentielle en Colombie pour la troisième fois cette année. Si son programme est plus centriste que révolutionnaire, son accession au pouvoir serait un véritable renversement politique, indépendamment des résultats qu’il serait capable d’obtenir une fois élu.

(Photo ci-contre : Gustavo Petro en 2013. CC BY-SA 2.0)

La menace des gangs

Indépendamment des rivalités politiques, la campagne a été perturbée début mai par le « clan du Golfe », plus gros gang du pays. Quatre jours durant, ses hommes ont paralysé la région du nord-est par une « grève armée » consistant à confiner les habitants de force, en les menaçant de les tuer s’ils désobéissaient. La raison de cette démonstration : l’arrestation par la police colombienne puis l’extradition vers les États-Unis de leur chef, Dario Antonio Usuga surnommé « Otoniel ». Ce dernier présente la particularité d’avoir été un combattant dans une petite guérilla nommée l’Armée Populaire de libération, avant de rejoindre dans les années 1990 les rangs d’une milice d’extrême droite puis l’organisation criminelle fondée par son frère et dont il a repris les rênes à sa mort. Un parcours qui résume presque à lui seul les différentes causes de l’insécurité et de la corruption qui frappent le pays, ainsi que leur porosité.

Cet évènement, à quelques semaines du scrutin, alors que l’histoire récente du pays a été marquée par de nombreux assassinats d’hommes politiques, a rappelé le pouvoir de ces mafias et la menace qu’ils représentent pour la sécurité du pays et sa souveraineté. Ces organisations sont en effet devenues très puissantes, « plus puissantes qu’elles ne l’étaient du temps de Pablo Escobar », selon Gustavo Petro. Il a lui-même reçu plusieurs menaces d’assassinat et effectue sa campagne derrière des boucliers pare-balles, constamment suivi par des gardes du corps et une ambulance. Le prochain président, quel qu’il soit, devra donc composer avec ces organisations criminelles.

Espoir pour la jeunesse

Ces élections sont aussi synonyme d’espoir pour la jeunesse Colombienne, plus mobilisée que jamais après le mouvement social qu’elle a mené en 2021 et qui fut violemment réprimé par le président sortant, Ivan Duque, interdit de se représenter par la Constitution qui oblige le président à un mandat unique. Cette contestation, qui avait viré à l’affrontement avec la police, a fait 47 morts. Elle a surtout poussé une vague de jeunes à s’engager pleinement en politique pour lutter contre la pauvreté, la corruption et les inégalités dont ils souffrent.

Un combat qu’elle retrouve dans la personnalité de la colistière de Gustave Petro, Francia Marquez, en lice pour la vice-présidence. Elle se trouve en effet à l’intersection des différentes préoccupations de la jeunesse. C’est une femme Afro-colombienne, d’origine modeste et une militante reconnue de la cause écologiste. Elle a fait forte impression durant la campagne et a su imposer les thèmes du racisme et des inégalités dans les débats. Elle incarne ce titre les espoirs d’une partie la jeunesse, et pour certains même la raison pour laquelle ils souhaitent élire M. Petro.

Pour toutes ces raisons, l’élection présidentielle en Colombie dont le second tour se tiendra le 12 juin prochain est potentiellement un tournant pour le pays. L’avenir dira, si le camp de la gauche est élu, dans quelle mesure il parviendra à le changer ou si au contraire les obstacles aux réformes qu’il projette sont trop grandes. Mais cette campagne aura au moins consacré une nouvelle donne pour la politique colombienne.