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Comprendre (écologie)

Vers une extinction de la diversité… dans nos assiettes

Avec les crises écologiques et les dérèglements climatiques que nous traversons, vient le sujet de l’érosion de la biodiversité. Mais il en est un autre, pourtant fortement lié, que nous traitons beaucoup moins : celui de l’érosion de l’agrobiodiversité, ou biodiversité agricole. Avez-vous conscience que la richesse et la diversité des légumes ou céréales présents dans vos assiettes a largement diminué ces dernières années ? Que notre régime alimentaire se focalise de plus en plus sur quelques espèces, au détriment d’une grande diversité qui ne cesse de décliner ?

Qu’est-ce que l’agrobiodiversité ?

Selon la définition que nous pouvons trouver dans les archives ouvertes scientifiques d’AgroParisTech, « l’agrobiodiversité désigne l’ensemble des composantes de la diversité biologique liées à l’alimentation, à l’agriculture et au fonctionnement des écosystèmes agricoles. Elle rassemble les plantes et les animaux domestiqués, mais aussi tous les parents sauvages, les prédateurs et les organismes vivants aidant à la production agricole (auxiliaires de cultures), et les espèces fourragères et autres plantes non semées dans les champs (adventices) avec qui ils interagissent. »

Selon la FAO, il s’agit d’un terme relativement nouveau conceptualisé lors de la Convention sur la Diversité biologique (traité adopté à l’occasion du Sommet de la Terre à Rio en 1992). Il démontre une certaine volonté de prendre en compte toutes les formes de biodiversité, qu’elles soient sauvage ou domestique.

Quelques chiffres pour comprendre

Pour comprendre l’ampleur de l’érosion de cette agrobiodiversité, quelques chiffres sont essentiels. Serge Morand, écologue de la santé, en parle par exemple dans son dernier livre L’homme, la faune sauvage et la peste : « on estime que 80% à 90% des variétés de légumes et de fruits ont été perdues à la fin du XXe siècle. » Selon un rapport de l’ONU, publié il y’a plus de 20 ans, nous avons perdu plus des trois quarts de la diversité agricole mondiale au cours de ce même XXe siècle.

La production agricole actuelle se concentre sur un nombre de plus en plus réduit de variétés avec des pratiques qui affectent négativement l’ensemble de la biodiversité.

Serge Morand

Un chiffre, rapporté par la FAO m’a particulièrement marqué : depuis le début de l’agriculture, il y a 12.000 ans environ, 7.000 espèces de plantes ont été cultivées par l’homme. De nos jours seulement 15 espèces de plantes et espèces animales produisent 90 % de l’alimentation humaine actuelle (Site Web CDB).

Au Sénégal par exemple, des variétés traditionnelles de niébé, voandzou, riz, fonio, mil et sorgho sont en voie de disparition suite à l’introduction des variétés modernes ou à la sécheresse. (FAO)

Alors comment en sommes-nous arrivés là ?

Le modèle alimentaire et de production qui domine aujourd’hui est toujours celui de l’après Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’un modèle basé initialement sur la volonté de produire toujours plus, de façon standardisé et en ne se focalisant que sur quelques denrées. La priorité était en effet de nourrir une population fragilisée par l’ampleur du conflit. La production s’est ainsi tournée vers quelques aliments de base, peu coûteux, faciles à produire et à transporter et représentant une bonne ressource énergétique, tels que le riz, le maïs et le blé. Les variétés traditionnelles ont rapidement était remplacées par ces produits standardisés, cultivés en monoculture. Ainsi, ces cultures modernes génétiquement homogènes, couvrent désormais 80 % du milliard et demi d’hectares de terres arables de la planète ! (Alternatives Sud)

Entre les années 1950 et 1980, le contexte de l’Après-Guerre puis de la Guerre Froide ainsi que l’augmentation démographique ont poussé à mettre l’accent sur une production intensive pour augmenter les rendements et donc les apports caloriques. Le monde s’est alors tourné vers les céréales (comme on peut le voir sur le graphe ci-dessous), au détriment des légumineuses par exemple. A partir de là, le déclin de notre agrobiodiversité était acté.

 Le système alimentaire s’est donc focalisé sur quelques cultures, quelques aliments de bases riches en calories et a commencé à oublier la diversité alimentaire… Les nouvelles technologies agricoles ne sont pas en reste et vont permettre d’aller toujours plus loin dans la standardisation du modèle agricole : objectif efficacité ! Mais cette efficacité de production s’est construite sur le dos des petites fermes, des variétés anciennes et de l’environnement… En choisissant un modèle simple mais rentable, basé sur une uniformisation des cultures, des pratiques, des variétés utilisées, les rendements ont certes explosé mais tout cela a créé un système peu viable à long terme. Et surtout, ces choix ont largement contribué à appauvrir notre diversité alimentaire !

Favoriser la diffusion de l’agroécologie 

Cette diversité agricole est pourtant extrêmement utile pour assurer la sécurité alimentaire… Premièrement parce que la diversité des plantes cultivées permet une meilleure résilience et stabilité des systèmes de culture face aux aléas climatiques et donc de meilleurs rendements agricoles. Mais aussi parce que cette diversité joue un rôle primordial pour notre santé ! Elle permet une alimentation riche et saine, nécessaire au bien-être de toutes les populations. Alors si nous voulons résoudre le problème de la faim dans le monde, il faut commencer par s’attaquer au problème majeur du déclin de l’agrobiodiversité dans nos champs et nos assiettes.

Pour cela, nous devons revenir vers une biodiversité agricole locale et replacer à leur juste place les savoirs endogènes des communautés à travers le monde. Ce n’est pas l’agro-industrie qui nourrit la planète, mais bien les petites fermes familiales utilisant des pratiques agroécologiques ! Ces pratiques se basent sur l’utilisation de mélanges de variétés de cultures, sur l’agroforesterie, sur des systèmes dits intercalaires pour ne jamais laisser les sols nus, etc.

Pour lutter contre l’érosion de la biodiversité agricole, il faut donc tout faire pour diffuser l’agroécologie et les pratiques qui en découlent et renforcer le pouvoir des petits producteurs !

Source : fao.org

Les politiques ont aussi leur rôle à jouer : il s’agit de « raviver la recherche en agroécologie et coordonner des programmes de diffusion de l’agroécologie appropriés aux besoins et aux conditions des petits agriculteurs » (Alternatives Sud).

Il est temps pour la communauté internationale de reconnaître qu’il n’y a pas de voie plus viable que l’agroécologie pour affronter les défis alimentaires, sociaux et environnementaux du 21e siècle. 

Alternatives Sud

Natacha Racinais

Sources

Raimond C, Garine E., 2020. Agrobiodiversité. In Dictionnaire de l’Anthropocène. CNRS Editions, pp. 23-26. Article en ligne. Disponible sur : https://hal-agroparistech.archives-ouvertes.fr/halshs-02909938/#:~:text=R%C3%A9sum%C3%A9%20%3A%20L’agrobiodiversit%C3%A9%20d%C3%A9signe%20l,au%20fonctionnement%20des%20%C3%A9cosyst%C3%A8mes%20agricoles.

FAO, 2010, The second report on the State of the World’s Plant Genetic Resources for Food and Agriculture

Alternatives Sud, Agroécologie : enjeux et perspectives

FAO, Importance de la diversité biologique agricole et principales contraintes dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, En ligne. Disponible sur : https://www.fao.org/3/y5667f/y5667f05.htm