Catégories
Monde ContemporainPolitique

« Comment s’occuper un dimanche d’élection » de François Bégaudeau

Pourquoi vote-t-on ? Au-delà de cette obligation morale et civique rappelée depuis l’école, quelles sont les vraies raisons pour lesquelles nous continuons de nous rendre aux urnes malgré un climat politique ressenti de plus en plus décevant et une méfiance grandissante ? François Bégaudeau, écrivain, réalisateur et essayiste, revient sur ces problématiques dans un court essai et nous explique pourquoi, malgré tous les belles promesses de la démocratie, il ne vote plus.

Un abstentionnisme non prosélyte

Il est important de noter les intentions de l’auteur avant de s’embarquer dans ce court récit d’une centaine de pages. François Bégaudeau les donne d’entrée en affirmant que la question de voter en tant que telle n’est pas utile d’être posée. Il n’est donc pas un militant acharné de l’abstentionnisme. Le débat commence lorsque les non-votants, quels qu’ils soient, sont montrés du doigt par les votants, parfois pour signifier leur dangerosité à l’égard de la démocratie. L’auteur offre une première analyse intéressante : une personne qui ne vote pas n’est pas forcément un partisan politique, et inversement, un votant et un non-votant peuvent avoir des opinions divergentes sur la façon d’utiliser les urnes tout en collaborant étroitement le reste du temps.

Ensuite, un des points importants de l’ouvrage de François Bégaudeau réside dans sa volonté de raconter l’histoire de l’élection du point de vue de la théorie politique. Cet angle d’approche lui permet de mieux expliquer pourquoi aller aux urnes n’est justement pas faire de la politique. Ainsi, l’auteur cherche à reconnecter la politique avec la réalité, notamment en prenant l’exemple de trois voisins en pique-nique à la campagne. Il déclare donc « la politique survient lorsque l’interdépendance entre des individus tourne à l’incompatibilité, que cette incompatibilité tourne à l’affrontement et que cet affrontement débouche sur une nouvelle reconfiguration du corps social qui fera émerger un nouvel ordonnancement et ainsi de suite ». De ce point de vue, il reprend la configuration ancienne de l’agora utilisée par les cités grecques de l’antiquité qui rassemblaient leurs citoyens au centre d’une place appelée ainsi.

Pour Bégaudeau, la politique c’est, en pratique, se rassembler, discuter et décider. A l’inverse, l’élection incarne le summum de l’abstraction. Lorsque nous votons, nous sommes seuls, confrontés à notre propre conscience : il est évident qu’il est plus aisé de glisser un bulletin en faveur de Zemmour lorsque l’on est dans l’isoloir que de défendre ouvertement l’immigration « choisie » face à des opposants. Le vote nous réduit au silence : au second tour de 2017, un vote pour Macron ne signifiait rien de plus qu’un nom. Etait-ce un vote contre la xénophobie de son adversaire ? Ou un vote en accord avec les politiques néolibérales de notre ancien banquier ? Ce qui est certain, c’est que le candidat pouvait interpréter chaque vote en sa faveur comme il le souhaitait. Enfin, une fois nos représentants élus, nous ne décidons plus de rien : c’est l’élu qui s’occupe de tout.

Comment le vote maintient le pouvoir en place

Voter signifie donc se désengager politiquement, déléguer sa souveraineté. Là arrive un autre point important pour l’auteur. Si un bulletin peut, en théorie, exprimer des opinions opposées, il exprime incontestablement une chose : la légitimation du pouvoir en place. A ce titre, François Bégaudeau reprend les exemples de la Monarchie de Juillet (en place entre 1830 et 1848) ainsi que la révolution de 1848. Il explique que l’élection est venue de force et a finalement été laissée en place par la classe bourgeoise de la révolution de 1848, voyant par là un moyen de légitimer d’une meilleure manière leur maintien à des positions de pouvoir. Si l’on vote pour quelqu’un, c’est que, à moins d’être de mauvaise foi, on est au moins partiellement d’accord avec le système électoral. À cet égard, il est crucial pour l’auteur de réintroduire le mandat impératif et de soutenir l’idée du tirage au sort. Les règles des élections présidentielles ont été établies par les puissants, ces derniers n’auraient jamais donné à d’autres les moyens de les destituer. Dans leur état actuel, les démocraties représentatives sont une illusion, un spectacle trompeur, un jeu truqué où nous sommes condamnés à perdre.

Parmi d’autres arguments, François Bégaudeau répond au très classique « il faut voter : des gens sont morts pour ça ». Même si cette affirmation était vraie, le fait que des personnes aient donné leur vie pour une cause ne justifie en aucun cas cette dernière, mentionnant dans un funeste exemple les personnes ayant donné leur vie pour le nazisme. Il aborde l’élection de François Mitterrand en 1981 en rappelant que, certes, des avancées sociales ont eu lieu sous son double septennat, mais en s’empressant d’ajouter que ces avancées ne faisaient que répondre aux demandes populaires nées de mai 68. De plus, des lois progressistes ont été adoptées sous des gouvernements officiellement de droite également. Le pouvoir en place n’accorde rien gratuitement depuis son trône : si l’on veut quelque chose, il faut aller le chercher conclut l’auteur.

Il semble toutefois manquer de distinction entre l’abstention et le vote blanc, nul ou pour un petit candidat qui n’a même pas l’intention de gagner. Ces logiques de vote se distinguent de l’abstention qui, elle, ne fait aucune distinction entre l’abstentionniste actif (comme Bégaudeau) et celui qui se désintéresse du processus, ou celle qui a perdu sa carte électorale.

Par des propos parfois très percutants, ce petit essai de François Bégaudeau peut se lire même en désaccord avec l’auteur tant son argumentation est sérieuse et ses exemples très pédagogues. A lire en une après-midi, le temps d’une élection présidentielle par exemple. Et si l’abstention n’était réellement pas une irresponsabilité collective mais le résultat d’un désengagement logique d’une partie de la population qui ne se sent tout simplement pas utile dans cette activité ?

Mathieu SALAMI