Catégories
InternationalMonde Contemporain

Ce qu’il faut retenir du discours de Macron au Parlement européen à l’occasion de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe

A l’occasion de la cérémonie de clôture de la Conférence sur l’avenir de l’Europe le 9 mai 2022, le Président, alors réélu depuis trois semaines, a tenu un discours d’une trentaine de minutes devant l’organe représentatif parlementaire de l’Union Européenne.

Mise en contexte

Le 9 mai 2021, une grande consultation des citoyens européens s’ouvre dans laquelle ils peuvent exprimer ce qu’ils considèrent que doivent être les priorités de l’action européenne pour les prochaines années. Après sept sessions plénières suivant ce projet et s’étalant sur douze mois, un rapport contenant 300 mesures regroupées en 49 propositions est rendu aux présidents des trois organes principaux de l’Institution, soit à la Commission européenne, le Conseil (des ministres) et bien évidemment au Parlement européen.

Ces recommandations étaient elles-mêmes divisées en neuf thèmes : changement climatique et environnement ; santé ; économie, justice sociale et emploi ; UE dans le monde ; valeurs et droits ; État de droit, sécurité ; transformation numérique ; démocratie européenne ; migrations ; éducation, culture, jeunesse et sports. Le choix de ces thèmes reflète non seulement la continuation inhérente du mandat de l’Union mais également les leçons et conséquences retenues des principales crises et événements politiques de ces dernières années. De plus, le choix de Macron pour parachever la Conférence sur l’Avenir de l’Europe s’explique notamment par le fait que depuis le 1er janvier 2022, la France assure la présidence du Conseil de l’Union européenne, organe donnant les grandes directives de la politique de l’Union, et opère avec le Parlement un mandat de codécision en matière législative notamment. L’expression d’un chef d’État devant le Parlement est toujours hautement symbolique dans ce que représente ce dernier en tant que « cœur démocratique” de l’Europe ou encore dans les propos du politologue Antonin Cohen lors d’une conférence “d’une des plus grandes révolutions dans les Relations européennes depuis 1945 sur ce qu’il peut accomplir en terme de prise de décisions basées sur un réel consensus politique ».

Les points à retenir du discours du Président Macron

Comme toutes discussions politiques depuis le 24 février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’impose naturellement comme le fil conducteur de toute prise de parole à l’échelle multilatérale. En effet, Macron a renouvelé l’expression du choc de la Communauté Internationale face à celle-ci et a réitéré que nos acquis, s’agissant de l’État de droit, étaient plus que jamais fragilisés. Il a d’abord rappelé que la construction européenne repose sur les trois promesses de la démocratie, du progrès et de la paix. Il a exprimé ensuite son soutien à la proposition 38 (“démocratie et élections”) de donner le pouvoir d’initiative législative au Parlement, pour l’instant exclusif à la Commission. Cette idée existait déjà depuis plusieurs années et fût souvent l’un des points autour duquel l’idée d’une meilleure démocratisation de l’institution européenne tournait. Le président français a également proposé d’expliciter dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE (mise en œuvre par le Traité de Nice le 7 décembre 2000) le devoir que l’on a vis-à-vis de la protection de l’environnement (qu’il qualifie de premier défi de notre siècle) ainsi que sur le droit à l’avortement. On peut y lire notamment ici une réflexion vis-à-vis de l’actualité américaine (le droit à l’IVG est actuellement fortement menacé aux États-Unis) et puis celui d’une décision politique après qu’Emmanuel Macron ait été pointé du doigt à plusieurs occasions comme étant le Président de l’inaction climatique.
A plusieurs reprises lors de son discours, Emmanuel Macron a illustré par la gestion de la pandémie de la covid-19 l’importance du multilatéralisme sur le plan social, médical, scientifique et économique. Après l’environnement, il considère la révolution numérique comme étant le deuxième défi du siècle. Il invite à la continuation d’une construction d’un marché unique numérique initié par la Commission Juncker en mai 2015 afin de créer de véritables “champions européens”. Il a ainsi proposé un modèle numérique européen qui saurait simplifier le droit afin d’à la fois innover, encadrer et protéger.

Se penchant plus précisément sur le thème de l’immigration et des frontières extérieures de l’Union Européenne, il soutient l’idée d’un renforcement de FRONTEX, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes officiellement créée le 30 novembre 2005, en ajoutant qu’il ne serait pas opposé à la création d’une force intergouvernementale plus spécifique aux interventions rapides qui refléterait une politique plus efficace mais respectueuse des principes du respect des droits. Ce propos soulève naturellement des questions sur ce que serait le mandat de cet “outil” alors que l’ombre de la crise migratoire de 2015 est toujours présente et que cette même question s’était posée pour FRONTEX même. En effet, ce n’est qu’en 2011 que la responsabilité de cette dernière en matière de respect des droits fondamentaux est explicitement définie dans son règlement fondateur. De plus, l’agence a souvent été accusée de ne pas respecter ces droits et libertés notamment l’année dernière dans un rapport d’enquête du parlement européen de refoulements illégaux en Grèce. La question du devenir plus précis de FRONTEX connaîtra probablement une attention particulière, et la matérialisation de l’interprétation des propositions de cette conférence sont encore à voir.

Deux propositions qui ont fait particulièrement parler.

Toutes les décisions actuellement prises à l’unanimité devraient, à l’avenir, être adoptées à la majorité qualifiée.

Tout d’abord, son soutien particulier à la proposition 39 (Le processus décisionnel de l’Union) édifiant notamment que : « Toutes les décisions actuellement prises à l’unanimité devraient, à l’avenir, être adoptées à la majorité qualifiée. Les seules exceptions devraient être l’admission de nouveaux États membres dans l’Union européenne et la modification des principes fondamentaux de l’Union inscrits à l’article 2 du traité sur l’Union européenne et dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.”. Cela signifierait la fin du droit de veto sur certaines décisions en matière budgétaire, de fiscalité ou encore de politique étrangère et de sécurité commune en faveur d’une majorité nécessitant au moins 55% des membres du Conseil. Macron s’est donc dit favorable à la convocation d’une Convention de Révision des Traités, dont les possibles prémices seront discutées dès le conseil européen de juin. Cette proposition est partie d’une constatation de lenteur dans la prise des décisions dû à cette prérogative d’unanimité. Évidemment, les réactions de certains, dénonçant la fragilisation de la souveraineté nationale des États-nations, se sont fait entendre.

Enfin, Macron fait la proposition de mettre en place une « Communauté Politique Européenne”, un objet politique encore non-identifié…Partant de la constatation que désormais le voisinage russe se sent menacés par l’irrédentisme de Poutine et donc que l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ont exprimé le souhait d’intégrer l’Union européenne, il constate que le processus d’adhésion tel qu’il existait prendrait des décennies. En effet, il assume ainsi une Europe différenciée, à deux vitesses dans laquelle une “réflexion historique sur l’organisation de notre continent” s’impose. Ainsi reprenant sur certains points l’idée de Mitterrand en 1989 d’une “confédération européenne”, il propose la mise en place d’une organisation avec un mandat restant “fort” mais qui permettrait des États partageant les valeurs de l’Union de coopérer sur de vastes sujets. La réflexion devra également s’étendre sur le champ de la complémentarité qu’il y aurait avec le Conseil de l’Europe, organisation intergouvernementale censé déjà représenter la “grande Europe” avec ses 46 États membres.