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Haïti en crise

A la une des journaux, il y a de cela quelques semaines, une nouvelle qui nous semblait être d’un autre temps : le président d’un État a été assassiné. Dans la nuit du 7 au 8 juillet 2021, un groupe de la milice haïtienne attaque Jovenel Moïse à son domicile.  Retour sur la crise qui agite l’île des Caraïbes depuis plusieurs années.

La corruption, point de départ de la révolte

Le 7 février 2019, une première manifestation, dans tout le pays, sonne le coup d’envoi de la crise que le pays s’apprête à traverser. Les manifestants réclament la démission du président Moïse, accusé d’avoir été impliqué dans une affaire de  détournement d’argent. Les manifestations font suite à un rapport des tribunaux du pays qui révèle que les dignitaires du gouvernement ont utilisé frauduleusement presque 4 milliards de dollars du programme d’emprunt Pretrocaraibes. Ce programme permet aux pays des Caraïbes d’acheter au Venezuela du pétrole à des tarifs préférentiels. Cette alliance, en vigueur depuis le 29 juin 2005, regroupe 18 pays des Caraïbes, la Guyane et le Suriname. Le gouvernement haïtien a donc détourné de l’argent via cet accord en revendant aux compagnies locales au prix du marché du pétrole acheté à tarif préférentiel tout en assurant que les bénéfices servaient à financer des projets sociaux et le lancement de programmes de développement. Mais les tribunaux haïtiens ont fini par révéler que Jovenel Moise et Michel Martelly, les présidents actuel et sortant, ont détourné à leur profit une part importante de la marge générée par la revente du pétrole. 

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L’actuel président est également accusé d’être impliqué dans plus de quinze affaires de corruption, qui impliqueraient  également différents ministres et responsables gouvernementaux. Ces affaires concernent tous les domaines du pays : de la nomination des juges, en passant par le secteur agricole, la gestion de l’opposition politique, l’adoption des lois, ou encore la surfacturation de travaux publics de reconstruction suite à des catastrophes naturelles. 

Lassé de la corruption ambiante, le peuple décide alors de se soulever contre le président, qui est un important rouage de la corruption haïtienne. Il devient dès lors le symbole de la richesse individuelle et égoïste des dignitaires, dans une société où le reste de la population ne récupérerait que des miettes.

Une démocratie sans représentation

Le sentiment d’injustice au sein de la population est croissant. Il est également important de souligner que le pays traverse depuis plusieurs années une véritable crise institutionnelle et que Moise n’est pas un dictateur solidement installé au pouvoir, comme peuvent l’être entre autres, certains présidents de pays du continent africain. Il est considéré comme un président qui peut être renversé. C’est bel et bien une alternative envisageable.

Élu en 2016, Moise prend la présidence d’Haïti à la suite du président Marcelly, après l’expiration de son mandat, le 7 février 2016. La passation de pouvoir est pacifique, bien qu’elle soit chaotique. En Haïti, un président par intérim est élu par le Sénat et l’Assemblée Nationale le temps que des élections présidentielles soient organisées. Le mandat de ce dernier ne peut pas excéder 120 jours. Les élections sont difficiles à organiser. Après le report du second tour, sans date fixe au mois d’avril 2016 et l’annulation des élections au mois de juin 2016, il est finalement élu le 26 novembre 2016. Un an après la fin de son mandat, le 7 février 2017, Marcelly quitte ses fonctions et Moise devient président d’Haiti. Il est élu à 56% des voix par 21% des électeurs.

L’ancien Président d’Haïti, Jovenel Moïse

La complexité de la mise en place des élections est le symptôme d’une démocratie fatiguée, malade de la corruption qui ravage le pays. Il ne faut pas considérer que le changement de président entraîne quelconque forme de renouveau : le parti politique de Moise est nommé d’après le président sortant, surnommé Crâne chauve (Tet Nale en créole); qui est le successeur assumé de Marcelly. Le faible taux de participation aux élections suffit à prouver que la caste politique ne représente pas le peuple. Un mal qui ronge nombre de démocraties, mais tout particulièrement Haïti. 

L’éclosion de la contestation

Les revendications lors des manifestations ne se limitent désormais plus qu’aux affaires de corruption du gouvernement, mais visent le système politique dans son ensemble tel que mis en place en Haïti. Les manifestants, en raison de leurs revendications, sont violemment réprimés par la police locale. Plusieurs manifestants trouvent la mort sous les coups des policiers. L’ONU déclare le 24 février 2020 qu’environ 86 personnes sont mortes lors de la répression des manifestations haïtiennes contre le gouvernement en place.

Les manifestations, à l’origine motivées par des affaires politiques, prennent la forme de lutte des classes. Marc-Arthur Fils-Aimé, directeur général de l’Institut culturel Karl-Lévêque, déclare : « Les revendications se sont radicalisées à un point tel qu’elles ont pris l’allure d’une lutte de classe. Les luttes conjoncturelles se sont superposées à des luttes structurelles. Il est presque impossible de bien cerner le contour des actuelles perturbations si on les sépare de la charpente socio-économique et culturelle du pays où les élites exportatrices ont prospéré au point de réduire l’île à l’état de néo-colonie » 

Les manifestants ne sont pas issus d’une seule et même classe sociale, puisque tous sont impactés par les promesses sociales et les grands plans de développement qui ne sont pas réalisés par le gouvernement, qui ne parvient pas à mettre en place la moindre politique cohérente. Le pays est aujourd’hui complètement à l’arrêt.

Un pays paralysé

Les manifestations contre le pouvoir en place ne diminuent pas. Aujourd’hui encore, la population est toujours dans la rue, afin de tenter de sauver la démocratie. Elles ont cependant pour conséquences d’entraîner  la paralysie du pays. Les habitants ne peuvent plus circuler sur les routes, en raison des nombreuses barricades sur les axes principaux du pays. Cela entraîne la fermeture des écoles, comme le décrit Nelly Delamet, 19 ans. « J’ai mis mon uniforme aujourd’hui, il est tout neuf, et la première occasion que j’ai de le mettre, c’est dans une manifestation ».

La paralysie du pays a des conséquences encore plus importantes, pas toujours faciles à estimer. La Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA) et le ministère de l’Agriculture considèrent en 2019 qu’environ 35 % de la population haïtienne a besoin d’une assistance alimentaire de toute urgence, soit 3,67 millions de personnes. Ces chiffres sont validés par le gouvernement, puisque le ministère de l’agriculture considère en 2019 que 40% de la population ne mangera pas à sa faim en 2020. Il va sans dire que ces chiffres ne prennent pas en considération la crise sanitaire liée au Covid-19.

La pénurie de denrées alimentaires est liée à de nombreux phénomènes, on peut citer par exemple l’effondrement de la monnaie locale, l’impossibilité d’assurer la sécurité dans les ports, les sécheresses qui frappent le pays. 
La crise liée à l’épidémie de coronavirus n’aide bien sûr pas le pays à sortir de cette insécurité ambiante. Le pays a tardé à reconnaître la dangerosité de l’épidémie, au même titre que sa virulence. L’ancien porte-parole du gouvernement Pascal Adrien, confie au mois de juin 2020 à FranceInter que les habitants du pays peinent à croire en la dangerosité de la maladie. Une part importante de la population a cru à une propagande gouvernementale. Le gouvernement annonçait aux habitants des restrictions en raison d’une maladie aux symptômes communs et fréquents. Beaucoup d’haïtiens ont considéré que le covid était une invention du gouvernement pour les maintenir chez eux. L’épidémie a frappé durement Haïti, qui n’avait pas les structures hospitalières pour répondre à la crise. Le pays déclare 20.000 cas de coronavirus, mais il est important de souligner qu’aucune campagne de tests n’a pu être mise en place.

Même les mesures de fermeture des frontières, en vigueur depuis mars 2020, n’ont pas aidé le pays, qui dépend avant tout de l’aide extérieure qu’elle peut recevoir pour lutter contre l’épidémie.

Du naufrage de la démocratie à l’assassinat du président 

C’est donc dans un climat de paralysie intérieure et de repli sur soi qu’Haïti a dû faire face aux deux dernières années. La contestation politique prenait de plus en plus de place, le changement ne se faisait pas, la population avait toujours autant faim… La situation stagnait, voire s’aggravait. 

Le contexte politique ne s’améliorait pas. Le président était de plus en plus impopulaire. Lorsque que le Premier Ministre par intérim M. Joseph annonce l’assassinat du président par un groupe de mercenaires ayant pénétré dans l’enceinte de la résidence présidentielle, le pays ne sait pas comment appréhender la nouvelle. Nul ne pouvait compter sur le fait que la crise allait prendre fin, car le Premier Ministre, dans cette même allocution, indique qu’il prend les pouvoirs présidentiels, pour une durée imprécise.

Une insécurité naturelle empêchant  la reconstruction du pays

Haïti est une île des Caraïbes. Elle se situe dans une zone dans laquelle les séismes, les cyclones et les tremblements de terre sont fréquents. Depuis la catastrophe de 2010, Haïti a été frappée par 7 ouragans et tremblements de terre. Cela ne prend pas en compte les sécheresses, les pluies diluviennes et les effondrements de terrain auxquels elle a dû faire face. 

Courrier International

En plus de toutes les problématiques évoquées auxquelles le pays doit faire face, le 14 juillet 2021, un séisme d’une magnitude de 7.2 sur l’échelle de Richter est ressenti par la population locale. Il cause la mort de 1.300 personnes et détruit de très nombreuses habitations et bâtiments publics.

Le pays doit alors sans cesse se reconstruire après les catastrophes naturelles, mais ne peut malheureusement pas compter sur son gouvernement pour organiser les travaux de grande ampleur nécessaires. Les acteurs politiques, en raison de la corruption ambiante, ne parviennent pas à gérer les infrastructures du pays ni même à garantir à la population les avancées économiques et sociales que pourtant elle promet. 

Ainsi, le pays n’arrive pas à se développer, et ce autant à cause des aléas naturels sur lesquels il n’a pas de prise, qu’en raison d’un monde politique corrompu et inefficace.

Sources :

https://www.google.fr/amp/s/ici.radio-canada.ca/amp/1050358/corruption-haiti-surfacturation-construction

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/08/16/pour-l-instant-c-est-la-survie-en-haiti-apres-le-seisme-les-rescapes-sont-demunis_6091553_3244.html#xtor=AL-32280270-%5Bdefault%5D-%5Bios%5D