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Guerre en Ukraine : quelles sanctions contre la Russie ?

Cinq jours après les premières frappes russes en Ukraine, la présidente de la Commission Européenne a pris la parole afin de détailler les sanctions prises par l’Union Européenne contre la Russie. Cette annonce a permis de faire le bilan des décisions prises par les 27, qui estiment que l’enjeu du conflit n’est rien d’autre que la survie de la démocratie. Retour sur la viabilité des sanctions.

Fermeture de l’espace aérien

Le 27 février, Ursula von der Leyen a commencé son discours en annonçant la fermeture de l’espace aérien européen à tous les avions russes. Elle précise que tous les engins de transports aériens sont concernés, y compris les jets privés des oligarques. Suite à cette annonce, le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, détaille sur Twitter les modalités de l’interdiction. Cette mesure entraîne notamment la suppression des onze aller-retours hebdomadaires reliant la France et la Russie, mais aussi le détour de tous les vols en partance de l’Europe vers l’Asie qui traversaient par la Russie. Il indique que tous les itinéraires seront déviés, et au lieu de passer la Sibérie, les avions survoleront les pays du Golfe, et l’Inde.

Cette décision est inédite dans l’histoire de l’Occident d’après-guerre. Jamais l’Union Européenne n’avait fermé son espace aérien de la sorte, car la déclaration du ministre français ne fait pas figure d’exception. Des responsables de tous les pays de l’Union Européenne ont fermé leurs portes aériennes à la Russie. Le Premier Ministre belge, Alexander de Croo, indique : « qu’en Europe, le ciel est ouvert […] à ceux qui connectent les peuples, pas à ceux qui commettent des agressions brutales », tandis que le ministre néerlandais de l’Infrastructure, Mark Harbers, commente que : « Il n’y a pas de place dans l’espace aérien néerlandais pour un régime qui applique une violence inutile et brutale ». L’unité européenne, qui peut parfois manquer, s’est déployée et, ensemble, les 27 ont rendus inaccessibles leurs aéroports.

Cette sanction est importante, car elle bouleverse le trafic aérien mondial, comme le détaille un articledu Monde publié le 28 février. On peut lire que les détours augmenteront la consommation de kérosène, et que certaines compagnies aériennes, déjà affaiblies par la diminution du trafic aérien en raison de la crise sanitaire, pourraient « être amenées à reconsidérer leur activité ».

Cette sanction est relativement facile à prendre pour un État, même si la France estimait devoir réfléchir au « principe de fermer son espace aérien ». En effet, cette mesure est douloureuse pour les expatriés européens en Russie. Elle envoie un message fort, par son aspect inédit et son ampleur. Mais elle demeure plus aidée à prendre que des sanctions relevant, par exemple, de la question énergétique.

Paralysie de la banque centrale et gel des actifs russes

Les membres de l’Union Européenne se sont accordés avec les pays du G7, c’est-à-dire le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et l’Allemagne pour bloquer toutes les transactions en partance de la Banque Centrale Russe. Cette sanction a deux objectifs : limiter la conversion du rouble en autres devises, et empêcher la Banque Centrale Russe d’utiliser ses réserves d’or, constituées dans le but de pouvoir financer la guerre en cas de restriction de la circulation du rouble.

Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine a tâché de limiter la dépendance de la Banque Centrale Russe au dollar. Pour cela, il a constitué d’importantes réserves d’or. La Russie dispose d’autant d’or que la France, alors que le PIB français de 2021 est presque deux fois supérieur au PIB russe. Les Européens et les membre du G7 ont contourné la parade par l’or, en paralysant toutes les transactions de la Banque Centrale Russe.

La Russie avait fait d’autres réserves, afin de préserver son économie nationale lors de l’offensive en Ukraine. Elle avait déposé plus de la moitié de ses réserves dans des banques à l’étranger, selon Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères. Or, l’Union Européenne et le G7 ont convenu de geler tous les actifs russes présents dans leurs établissements nationaux. Les banques canadiennes, américaines, et européennes ont gelé tous les actifs russes, ce qui revient à bloquer la circulation de 640 milliards de dollars, selon l’agence financière Bloomberg.

L’Union Européenne a envisagé d’exclure les banques russes du réseau de télécommunications interbancaires SWIFT. Le réseau SWIFT permet aux banques de faire des échanges sécurisés, mais également aux particuliers. Ce réseau correspond au « BIC » qu’on peut voir apparaître sur nos RIB. L’entreprise belge a indiqué qu’elle mettrait en place les sanctions prises. Pour l’heure, l’Union Européenne ne parvient pas à trouver d’accord pour exclure les banques russes du réseau. Néanmoins, la simple menace de cette sanction a eu des effets, puisque les Russes ont craint ne plus pouvoir faire de virements et payer par carte bancaire. Ils se sont précipités pour retirer leur argent des banques, ce qui a aggravé le phénomène d’inflation que la Russie rencontrait depuis le début de l’invasion en Ukraine.

Les sanctions ont eu des incidences immédiates en Russie, avant même leur entrée en vigueur. Les investisseurs ont quitté la bourse moscovite, le cours du rouble s’est effondré (il est passé de 0,011€ à 0.0082€ le 27 février). La Banque centrale a augmenté de 10 points son taux directeur, quir correspond aux taux d’intérêt à court terme fixés par les banques centrales. Ils permettent de piloter la politique monétaire, et de contrôler la masse monétaire afin de réguler l’activité économique de leur pays. L’augmentation soudaine de ce taux déséquilibre l’ensemble du marché économique russe, puisque l’augmentation du taux directeur complique la circulation de l’argent. La bourse moscovite s’est aussi effondrée, et est contrainte de rester fermée jusqu’au lundi 5 mars. Tous les bénéfices qu’elle a pu générer depuis mars 2020 ont été effacés depuis les sanctions européennes.

Les journaux de propagande nationale

La présidente de la Commission Européenne a annoncé l’interdiction : « de la machine médiatique du Kremlin ». Elle poursuit en indiquant que : « les médias d’État Russia Today (RT) et Sputnik, ainsi que leurs filiales, ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et pour semer la division dans notre Union ».

Cette sanction ne manque pas de clarté, mais a finalement peu d’incidence. En effet, même si les sites internet des journaux ne sont plus disponibles en Russe, RT France ou Sputnik France sont encore disponibles, malgré qu’Ursula von der Leyen se soit prononcée sur les filiales des journaux. La chaîne télévisée RT France a diffusé lundi 28 février son journal, sans aucune prise en compte de la sanction européenne.

De plus, l’Union Européenne n’a pas prévu dans son ingénierie juridique la censure de journaux, même en cas de fausse information, ou de propagande. C’est donc une compétence nationale, chaque État devant mettre en place l’interdiction proposée par la présidente de la Commission. En France, l’Arcom (fusion du CSA et d’Hadopi) est chargé de la régulation des médias. Pour l’heure, aucune sanction n’a été prononcée, ni aucune procédure n’a été mise en place. Les filiales françaises de RT et de Sputnik poursuivent leur diffusion.

Tweet de Nick Clegg à propos des actions de la société Meta vis-à-vis des médias RT et Sputnik

Les réseaux sociaux ont réagi à la déclaration de l’Union Européenne. La société Meta annonce restreindre en Union Européenne les comptes Twitter et Facebook des journaux. Nick Clegg, vice-président de la société Meta indique que cette mesure se justifie par « la nature exceptionnelle de la situation actuelle ». TikTok annonce masquer les comptes des deux médias, et Microsoft s’engage à modifier son algorithme, afin que les journaux russes ne soient pas mis en avant.

Et les importations de gaz ?

L’Union Européenne a fait preuve d’une « unité totale », pour reprendre les termes du ministre délégué aux Transports, afin de punir l’invasion russe en Ukraine. Tous les États membres ont déclaré solennellement leur incompatibilité politique avec la Russie. Et si certaines sanctions ont entraîne de lourdes conséquences pour le pays, comme la paralysie de la Banque Centrale Russe, les 27 se font discrets sur la question énergétique.

Aujourd’hui, 46,8% du gaz de l’Union Européenne provient de la Russie. Au premier semestre 2021, dix pays de l’Union Européenne (la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, l’Autriche, la Roumanie et la Bulgarie) ont acheté plus de 75% de leur gaz aux russes. Sur la même période, plus de la moitié des importations gazières allemandes, suédoises et polonaises provenaient de la Russie. L’Allemagne et la Russie sont directement liées par Nord Stream, un système de gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Nord Stream a été complété par Nord Stream 2, censé permettre de multiplier les importations.

En raison de la déclaration d’indépendance de deux provinces ukrainiennes par la Russie, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré le 21 février 2022 qu’il « suspendait la certification de Nord Stream 2 ». Ainsi, il a retardé la mise en service des gazoducs terminés le 10 septembre 2021. Néanmoins, cinq entreprises européennes (OMW, ENGIE, Wintershall Dea, Uniper et Shell) ont investi plus de 4.5 milliards d’euros pour la construction de cette pipeline, qui permet à l’Allemagne d’être au centre des échanges gaziers entre l’Europe et la Russie. L’Allemagne indique que ce projet permet de sécuriser l’approvisionnement européen en énergie, en rendant moins dépendant de la situation géopolitique entre la Pologne, l’Ukraine et la Russie.

Il est évident que le projet n’est pas abandonné, et que l’Allemagne et l’Union Européenne importeront dans quelques temps du gaz russe. L’Allemagne ne va pas renoncer longtemps à renforcer son rôle dans la géopolitique énergique. La Russie connaît la dépendance de l’Union Européenne à son gaz, et sait que même si le projet est retardé, il devrait malgré tout aboutir. Si l’Allemagne peut se permettre de suspendre un temps ses importations, ce n’est pas le cas de tous les pays européens, comme l’Estonie ou la République Tchèque, qui n’ont fait aucune déclaration sur le sujet.

Dans sa déclaration, Ursula von der Leyen indique que ces sanctions s’appliquent aussi à la Biélorussie de Loukachenko, qui a permis l’invasion russe en autorisant le passage des troupes russes à sa frontière avec l’Ukraine. Les mesures annoncées par la présidente de la commission européenne sont largement suivies. Bruno Le Maire annonce mardi 1er mars sur France Inter que les sanctions « ont pour but de provoquer l’effondrement économique de la Russie » et que si cela est nécessaire, d’autres sanctions sont à prévoir. La Suisse, d’ordinaire neutre, annonce appliquer les sanctions prévues par l’Union Européenne, ce qui est exceptionnel pour le pays de la neutralité.

L’Europe et l’Amérique du Nord se montrent particulièrement sévères avec la Russie, et soutiennent sans conteste l’Ukraine. Mais Bruno Le Maire a tout résumé : la guerre sera économique (même s’il est ensuite revenu sur le terme de guerre). Les Occidentaux n’hésitent pas à appliquer des sanctions lourdes, à soutenir économiquement l’Ukraine, mais ils ne déploieront pas leur armée. Pour l’instant, le déploiement d’un seul soldat européen vers l’Ukraine n’est pas prévu. Comme le résume Yaël Goose dans l’édito politique du 7/9 de France Inter du 28 février 2022 : nous ne sommes pas prêts à mourir pour Kiev. Il indique que notre rapport à la mort d’un soldat a complètement changé. En cinq années de deuxième guerre mondiale, 220.000 soldats français ont perdu la vie ; alors que depuis le début des opérations militaires au Sahel, 57 soldats français sont morts, et à chaque fois, un hommage a été rendu aux Invalides. Si la mort et le sacrifice n’ont plus le même sens aujourd’hui, il semble que c’est aussi parce que les sanctions économiques semblent avoir plus d’incidence sur un État que le déploiement des forces armées.