Quand l’art raconte l’histoire – La bataille de Grunwald
Le Tote Bag s’intéresse aujourd’hui à un tableau majeur de l’histoire de la peinture polonaise, la bataille de Grunwald de Jan Matejko. Comment et pourquoi Jan Matejko nous raconte, 400 ans après, l’histoire de l’une des plus importantes batailles du Moyen-Âge ?
Depuis son émergence en 1230, l’ordre teutonique pille les terres lituaniennes. Lors d’un mariage polonais-lituanien en 1385, les deux royaumes se rapprochent de plus en plus, unissant leurs forces militaires. Enfin, en mai 1409, une guerre entre l’ordre teutonique et le royaume polonais-lituanien éclate. La défaite de l’ordre teutonique fut retentissante. Le 15 Juillet 1410, pendant la guerre qui oppose ces deux parties, une bataille éclate sur la plaine de Tannenberg au nord de la Pologne actuelle. Les pertes humaines s’élèvent à 8000 soldats et les prisonniers à 14 000. En Février 1411, le traité de paix est signé mais il faudra attendre plus de 40 ans pour arriver à une véritable paix.
400 ans plus tard, Jan Matejko réinterprète cette bataille dans son tableau intitulé La bataille de Grunwald. Peintre polonais, il naît en 1838 et étudie à l’école des beaux-arts de Cracovie puis à Munich. Né dans la ville libre de Cracovie, il assiste au siège de cette dernière par l’Autriche qui met un terme à la liberté de la ville et affecte tout particulièrement son travail. Son talent incontesté est reconnu internationalement, il obtient même la croix de la légion d’honneur en Pologne. Dans son pays, il est considéré comme le plus grand peintre d’histoire. Son style néoclassique est décrit comme libre car il réinterprète les événements passés plutôt que de les représenter avec exactitude.
En 1878, la Pologne est divisée entre trois puissances européennes : la Prusse, l’Autriche et l’Allemagne. Malgré une montée du nationalisme et une identité culturelle forte, les 3 révolutions entreprises par les polonais pour gagner leur liberté échouent. Dans ce contexte de nationalisme culturel, la population polonaise a besoin de se rappeler, de se remémorer sa gloire d’autrefois. Ainsi, de nombreux peintres, dont Jan Matejko, décident de redonner de l’espoir au peuple en peignant d’anciennes victoires militaires.
Il commence à peindre le tableau dès 1872 et le termine en 1878 après de nombreuses années de documentation et de recherches. D’abord acheté par un collectionneur particulier à Varsovie, il est présenté dans des expositions internationales en 1902 après la mort du peintre puis il est caché pendant l’occupation nazie. En tête de liste des peintures les plus recherchées par les nazis, Goebbels offre une prime de 10 millions de marks à celui qui divulgue l’emplacement du tableau.
De nombreux polonais sont alors exécutés car ils ne collaborent pas. Le tableau survit aux années de guerre et entre au Musée National de Varsovie dès 1949.
La bataille de Grunwald peut définitivement être décrite comme un fouillis organisé, emprunte d’une unité singulière et d’une cohésion particulière entre ses protagonistes. Le style de la peinture est dynamique avec de nombreux personnages que l’on pourrait croire en mouvement, des étendards, des animaux, des armes, de la fumée, et même au dernier plan à gauche, un village. Le réalisme des couleurs et des personnages représentés plonge le spectateur au cœur de cette bataille et lui donne un côté réellement spectaculaire. En effet, le tableau est très coloré, les couleurs sont vives et attirent l’oeil, l’opposition entre le blanc du chef des armées teutoniques et le rouge du grand-duc lituanien fait l’effet d’une balance dans le tableau et pose l’équilibre de celui-ci dans la partie centrale mise en valeur par la lumière et la couleur de la fumée. Ses dimensions jouent aussi un rôle important, le tableau mesure 4m26 de haut et 9m78 de large, les personnages représentés sont ainsi à taille humaine. Le jeu de lumière est également très intéressant, le tableau étant divisé en trois parties avec le milieu éclairé et les extrémités plus sombres, notre œil se concentre davantage sur la partie centrale où est représentée la victoire polono-lituanienne. Les détails de la peinture sont impressionnants : en observant de très près le tableau, ce que vous pouvez faire en cliquant ici, on remarque les expressions de visages ahuries de soldats, les ornements des couronnes, le vent dans les cheveux des personnages. Au centre du tableau, on reconnaît le grand-duc lituanien Vytautas le Grand, habillé en rouge et levant son épée. Il est considéré comme le grand vainqueur de la bataille et est donc représenté au milieu du tableau, mis en valeur par rapport au roi de Pologne qui se situe en haut à droite pour mettre en avant l’importance de l’aide de la Lituanie pour la Pologne. Saint Stanislas se trouve en haut au milieu du tableau. Il représente le christianisme et la place prépondérante qu’avait, et qu’a toujours au temps de Matejko, la religion pour les polonais.
De nombreux critiques saluent la technique exceptionnelle de cette œuvre et certains le décrivent comme “un musée à part entière” nécessitant “au moins une semaine entière” pour le comprendre et l’apprécier correctement. Les opinions divergent sur ce tableau car beaucoup dénoncent son côté irréaliste et trop fouillis. Un artiste polonais en a également fait une parodie pour représenter le style très fourni du tableau que vous pouvez découvrir ici.
La grandeur de ce tableau fait qu’il ne pourra sûrement jamais être déplacé du musée de Varsovie, un jeune prodige polonais s’est donc lancé dans la copie du tableau afin de pouvoir le présenter dans d’autres musées. Cliquez ici pour voir une vidéo explicative de son travail colossal.
Oeuvre majeure de l’histoire de la peinture polonaise, la bataille de Grunwald intrigue et fascine encore les esprits aujourd’hui de par son style fourni et dynamique, ses couleurs et ses personnages d’un réalisme frappant mais aussi son histoire. Dans un contexte de perte d’identité nationale et de désir d’indépendance, ce tableau a réchauffé les coeurs des polonais en leur remémorant leurs victoires militaires passées afin de leur prouver que l’indépendance et la gloire étaient toujours possible. Il faudra attendre 1946 et la fin du IIIe Reich pour atteindre une totale indépendance du pays.