Catégories
ActualitésInternational

Burkina Faso : L’instabilité politique se propage dans la région des trois frontières

Après un week-end de tensions et d’incertitude, le doute s’est enfin levé lundi 24 janvier en début de soirée : l’armée a annoncé avoir renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, dissout le gouvernement et suspendu la Constitution. C’est le troisième coup d’état en moins de 2 ans dans la région des trois frontières, à la croisée du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Les deux précédents s’étaient déroulés au Mali, premier pays à être touché par la menace djihadiste. Une fois de plus, l’insécurité et la violence semblent avoir été fatals au pouvoir en place.

Une intensification des violences

Ce coup d’état fait suite à plusieurs mois de tensions qui ont fragilisé le pouvoir du président Kaboré. Un important mouvement de contestation s’est développé ces derniers mois, dans la société civile comme dans les forces armées, dénonçant l’incapacité du gouvernement à enrayer la dégradation de la situation sécuritaire. Le Burkina Faso connaît en effet une augmentation significative, depuis plusieurs années, du nombre d’attaques djihadistes sur son sol. Il a connu son massacre le plus meurtrier le 5 juin dernier, dans le village de Solhan. Ce jour-là, 160 personnes avaient trouvé la mort. Plus récemment, le 14 novembre, l’attaque du poste de gendarmerie d’Inata a marqué les esprits en faisant 57 morts dont 54 gendarmes. En cause, la réorientation vers le sud et le Golfe de Guinée des divers groupes djihadistes sévissant dans la région des trois frontières.

Ces attaques, le plus souvent rurales, ont causé la mort de plus de 2 000 personnes, et en ont déplacé 1,5 million d’autres depuis 2016. Des violences parfois accentuées par la présence de milices civiles, les VDP (Volontaires pour la Défense de la Patrie). Crées il y a 2 ans pour assister l’armée dans son combat contre les djihadistes, ces milices se sont rendues coupables de nombreuses déprédations et violences intercommunautaires.

Le pic de la contestation

C’est dans se contexte que les manifestations se sont multipliées ces derniers mois pour réclamer le remplacement du président Kaboré. C’est finalement une série de nouvelles manifestations, interdites par le pouvoir, qui ont mis le feu au poudre samedi 22 janvier. Elles ont été suivies à la nuit tombée de la mutinerie de militaires de la base de Sangoulé-Lamizana, en périphérie de Ouagadougou, bientôt rejoints par d’autres. La situation est alors devenue confuse.

Des centaines de civils sont sortis dans la rue pour soutenir les mutins. Certains ont même incendié le rez-de-chaussée du siège du parti au pouvoir, le Mouvement du Peuple pour le Progrès. Des tirs auraient aussi été entendus autour de la résidence du président Kaboré dans la nuit de dimanche à lundi, avant que ne filtre l’information selon laquelle ce dernier était détenu par les militaires. Il a toutefois fallu attendre presque une journée entière pour que les militaires apparaissent en treillis à la télévision pour officialiser le coup d’état. Si les mutins ont promis un « retour à un ordre constitutionnel » dans « un délai raisonnable », et de remédier à l’insécurité qui frappe le Burkina Faso, l’incertitude plane encore sur le sort du pays. Une situation condamnée unanimement à l’international, et en particulier par la CÉDÉAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et l’Union Africaine.

Constat d’échec pour Barkhane

Ces événements interviennent un an et demi après le premier coup d’état au Mali. Si les situations de chacun de ces pays sont bien distinctes, tous deux ont basculé en grande partie à cause de l’insécurité qui règne dans cette région du monde. Au Mali aussi, les attaques djihadistes et les violences intercommunautaires avaient participé à l’éclosion d’une contestation du pouvoir parachevée par la mutinerie des militaires le 18 aout 2020.

À l’heure de la recomposition politique de la zone des trois frontières et de l’apparition des mercenaires de la milice russe Wagner au Mali, l’heure du bilan semble approcher pour la mission Barkhane, par ailleurs en cours de réorganisation. Si son objectif était justement de venir à bout des djihadistes, ces trois coups d’état sont la preuve directe de l’échec des forces militaires africaines et françaises à s’y conformer. Ce d’autant qu’un sentiment antifrançais semble accompagner la grogne populaire à l’origine de ces putschs. Plus que jamais, la situation semble se complexifier dans cette région tourmentée depuis 6 ans. Et le désengagement prévu de la France peut être vu comme un aveu d’échec à cet égard. Une chose est sûre en tout cas : une nouvelle période d’incertitude s’ouvre au Burkina Faso.