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Stocker le carbone dans les sols

Alors que le réchauffement climatique ne cesse de s’accentuer, provoquant une multitude d’évènements extrêmes tout autour de la planète, les politiques, eux, continuent de détourner les regards. Comme le film Netflix Don’t Look Up, sorti cet hiver, l’illustre parfaitement, nous ne regardons pas dans la bonne direction, en prise avec une actualité brûlante, celle de l’immédiateté et de la bêtise (disons-le franchement, les sujets ne volent souvent pas très haut). Dans cet article, je vous propose non pas de regarder vers le ciel mais plutôt sous nos pieds, là où se trouve une partie de la solution (et oui, rien que ça…). Les sols sont en effet nos plus grands amis pour stocker le trop plein de CO2 accumulé dans l’atmosphère et en partie à l’origine des bouleversements climatiques actuels et à venir !

Les sols, des puits de carbone

De nombreux scientifiques s’accordent en effet à dire que les sols, lorsqu’ils ne sont pas malmenés par nos pratiques, possèdent une importante capacité de stockage du carbone atmosphérique. On parle dans ce cas de puit de carbone. Les forêts, les océans ou encore les tourbières sont également des puits de carbone [1].

Selon l’Ademe, l’Agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’énergie, « les terres agricoles et la forêt séquestrent actuellement 4 à 5 giga tonnes de carbone (soit entre 15 et 18 Gt de gaz carbonique), dont plus des deux tiers dans les sols. Toute variation de ce stock influe sur les émissions nationales de gaz à effet de serre (GES) » et contribue donc à lutter contre les changements climatiques. [2]

Les sols, et notamment les sols forestiers, constituent ainsi une réserve incroyable de carbone (la deuxième après les océans) ! Ce carbone y est stocké sous forme de matière organique (MO), qu’il faut préserver et augmenter coûte que coûte par une meilleure gestion. Une augmentation minime de cette MO (4/1000 par an) pourrait suffire à stopper l’augmentation de la teneur en CO2 de l’atmosphère…

L’initiative 4 pour 100

En 2015, la France lance l’initiative 4 pour 1000, à l’occasion de la COP21. Cette initiative part d’un constat établi par de nombreuses études scientifiques : « Si on augmente de 4‰ (4 pour 1000 ou 0,4%) par an la quantité de carbone contenue dans les sols, on stoppe l’augmentation annuelle de CO2 dans l’atmosphère, en grande partie responsable de l’effet de serre et du changement climatique. » [3] Quand je vous disais que la solution est sous nos pieds…

Cette infime augmentation du stock de carbone est donc « un levier majeur pour améliorer la fertilité des sols et la production agricole et participer au respect de l’objectif de long terme de limiter la hausse des températures à + 2°C » [3].

L’initiative 4 pour 1000 incite donc les agriculteurs et l’ensemble des acteurs du secteur agri/forestiers, des collectivités, experts, etc. à recenser les bonnes pratiques et activités permettant de générer davantage de matière organique et ainsi favoriser le stockage du carbone. Quelles sont les actions concrètes à mettre en place et quels types de pratiques les accompagnent ? Les agriculteurs sont ainsi incités à se tourner vers une agriculture plus durable et résiliente, à changer de vision concernant les sols et leur production…

Malheureusement, ce changement de paradigme nécessite un engagement bien plus fort de la part des politiques publiques et notamment d’une meilleure prise en compte de ces nouvelles pratiques dans la Politique Agricole Commune (PAC)… Si la France a lancé cette initiative, les politiques peinent à soutenir les agriculteurs dans cette transition écologique qui pourrait pourtant inverser la tendance du changement climatique.

Des pratiques agricoles pour stocker le carbone

Revenons au terrain : dans la pratique, comment s’y prend-t-on pour stocker plus de carbone ? Déjà en arrêtant de malmener nos sols agricoles ! Pour que la vie du sol se développe et décompose la biomasse morte, créant ainsi cette fameuse MO, les sols doivent être couverts en permanence ! On est loin de nos grands champs laissés nus tout l’hiver… Sur le site du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation on trouve alors cette recommandation : « en dehors des forêts, il faut favoriser le couvert végétal sous toutes ses formes ». [4]

Photo prise en Galice (Espagne) dans une petite ferme familiale en permaculture et agroforesterie régénérative (Crédit : Natacha Racinais)

Le stockage à long terme dans les sols agricoles est ainsi possible par l’adoption d’un certain nombre de bonnes pratiques : semis direct, utilisation de légumineuses et/ou de graminées dans la rotation des cultures, plantation d’arbustes et d’arbres (voir notre article L’agroforesterie pour lutter contre les changements climatiques), restauration des zones humides, arrêt du labour et utilisation de techniques d’agriculture de conservation des sols (ACS), cultures intermédiaires multi-services, etc.  

Source : Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation

L’Initiative « 4 pour 1000 » montre que l’agriculture peut apporter des solutions concrètes au défi posé par les dérèglements climatiques tout en relevant celui de la sécurité alimentaire à travers la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées aux conditions locales : agro-écologie, agroforesterie, agriculture de conservation, gestion des paysages…​ [3]

Et nous, comment peut-on aider ?

En lisant ces lignes, vous vous direz sûrement que ok, c’est cool, mais à son échelle individuel il n’y a pas grand-chose à faire… On peut toujours faire des gros tas de feuilles dans son jardin pour obtenir un sol plus riche en MO ! Mais bon, ce n’est pas ça qui va nous sauver… Que nenni, c’est oublier le pouvoir du consommateur ! Un constat tout simple et vous le savez tous : l’offre s’adapte à la demande. Donc si nous décidons tous de nous tourner vers une alimentation durable, c’est-à-dire provenant des pratiques cités plus haut, nous pouvons participer à cette transition agricole plus que nécessaire !

Refuser le modèle agricole dominant, issu de l’après-guerre et promouvant une agriculture industrielle destructrice des sols et de la biodiversité, c’est déjà entrer en résistance.

Refuser d’engraisser les multinationales qui sabotent aussi bien les petits paysans et nos agriculteurs que la capacité de stockage de nos sols, c’est participer à la solution.

Se renseigner sur les fermes autour de chez soi, sur les modes de production, les pratiques agroécologiques, acheter local et de saison, promouvoir une agriculture qui prend soin de ses sols, voilà comme nous pouvons aider à faire la différence !

Natacha Racinais

Sources

[1] Futura-sciences, Puits de carbone : où sont-ils et comment fonctionnent-ils ? En ligne, disponible sur https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/puits_de_carbone.php4

[2] ADEME, Carbone organique des sols, L’énergie de l’agro-écologie, une solution pour le climat. En ligne, disponible sur https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/7886_sol-carbone-2p-bd.pdf

[3] Site web de l’Initiative 4 pour 1000, en ligne, disponible sur https://www.4p1000.org/fr

[4] Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, Le 4 pour 1000, en ligne, disponible sur https://agriculture.gouv.fr/infographie-le-4-pour-1000

Le Tote Bag, L’agroforesterie pour lutter contre les changements climatiques, article en ligne, disponible sur https://www.letotebag.net/ecologie/lagroforesterie-pour-lutter-contre-les-changements-climatiques/