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Comprendre (écologie)

Amnésie écologique

Sommes-nous amnésiques ?

Philippe J.Dubois est ornithologue et ingénieur écologue de formation. Dans son livre et essai La grande amnésie écologique (2012), il nous explique comment et pourquoi nous perdons la mémoire de ce qui nous entoure et les problèmes qui en découlent. Une perte de mémoire qui nous rend incapable d’appréhender correctement la dégradation de la biodiversité et notre impact réel sur la planète.

Ce concept d’amnésie écologique est aujourd’hui développé en biologie de la conservation et rend compte d’un manque de transmission générationnelle des savoirs : « La parole des Anciens se perd et, avec elle, la connaissance de la nature ».

Le biologiste et auteur de documentaire français Stéphane Durand évoque aussi dans ses ouvrages et émissions ce problème et donne des exemples précis d’amnésie écologique. Ainsi « il y a quelques années, on ne pouvait traverser une forêt ou la campagne en voiture la nuit sans mettre les essuie-glaces alors qu’il faisait beau. Pourquoi ? Parce qu’on traversait des nuages d’insectes. C’est une expérience qui n’existe plus aujourd’hui. » (France Inter, 2018)

Le syndrome de la référence changeante

Cette notion (appelé en anglais shifting baseline syndrome) a été appréhendée pour la première fois par le biologiste marin Daniel Pauly en 1995, après l’observation de pratiques de pêche. Chaque scientifique travaillant sur les stocks de poissons prend comme point de référence pour son travail, les stocks connus au début de sa carrière. Or les stocks évoluent, diminuent de génération en génération. Cette prise en compte amène à une « accommodation graduelle » de la lente disparation des populations de poissons et pourrait s’appliquer un peu partout en écologie.

La transmission des informations concernant notre environnement, la nature qui nous entoure et sa riche diversité, ne se fait plus ou très peu d’une génération à l’autre. Nos sociétés contemporaines ont perdu ce besoin de raconter des histoires du passé, de se rappeler, d’écouter les Anciens. Et en perdant cette écoute, nous perdons une part importante de l’histoire de notre Terre.

Chaque génération construit sa vision des choses à partir d’un « point de référence zéro » qui n’est pas le même que celui de la génération précédente, ni de celle d’avant, etc. Qui, parmi les nouvelles générations serait capable d’identifier les espèces d’oiseaux vivant dans nos villes ? Et, qui, pourrait dire lesquelles ont disparu ces trente dernières années ? Nous ne savons plus, parce que nous prenons pour acquis ce que nous voyons aujourd’hui, sans réellement nous interroger sur ce qui a été.

Réveiller les consciences

Cette perte de mémoire peut également être imputée à des activités de plus en plus déconnectées, de plus en plus déracinées et « hors-sol », pourrait-on dire. Dans un « univers où l’immédiateté est reine », le temps passé au contact de la nature est relégué de côté. Aujourd’hui, notre notion du temps a bien changé et ne s’accorde plus avec le temps écologique : nous ne vivons plus au rythme naturel de notre environnement mais au rythme effréné d’Internet et du monde virtuel que nous avons bâti. Et cela nous « éloigne des fondamentaux de la nature, de ce qui a constitué, au fil des millénaires, la biodiversité » comme le rappelle dans son essai Philippe J. Dubois (2012).

Tout l’enjeu de la préservation de notre planète tient alors dans ce constat : « comment protéger une nature que nous ne connaissons pas, une biodiversité sauvage aussi bien que domestique dont nous avons perdu la mémoire des richesses passées ? »

Il convient donc, pour lutter contre cette grave amnésie, de se réapproprier des connaissances perdues, de lire, d’apprendre, de se former en permanence. Il faudrait également réapprendre à prendre le temps. Stopper la frénésie du quotidien et notre course en avant. Réinventer un monde dans lequel nous pourrions nous reconnecter au vivant dont nous faisons pourtant bien partie.

Je terminerai avec cette dernière phrase, tirée encore du livre de Philippe J. Dubois :

L’urgence est à présent de lutter contre l’oubli.

Natacha Racinais


Pour en savoir plus sur l’amnésie écologique

Philippe J.Dubois (2012), La grande amnésie générationnelle, Delachaux et niestlé.

Hortense Chauvin (2020), « L’amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde », Reporterre. Disponible sur : https://reporterre.net/L-amnesie-environnementale-cle-ignoree-de-la-destruction-du-monde

Nadja Viet (2018), « Comment lutter contre l’amnésie écologique ? », France Inter. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/environnement/comment-lutter-contre-l-amnesie-ecologique

Podcast La tête au carré,  « La grande histoire de la nature », Daniel Fiévet et Stéhane Durand. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre/la-tete-au-carre-29-octobre-2018


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