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Lucien Kimono : 1000 Vies ou une épopée mélancolique moderne

A l’occasion de la sortie le 11 mai dernier de son album 1000 Vies, Le Tote Bag a rencontré Lucien Kimono pour s’entretenir plus en détail sur les éléments marquants de la production de cet album. Entre nostalgie, mélancolie, paradis artificiels et aventures, Le Tote Bag a laissé libre court à sa curiosité et espère satisfaire les auditeurs désireux d’en savoir plus sur cette pépite musicale de 2023.

© Simon Depardon
© Simon Depardon

LTB : Quand on écoute ton album, le premier réflexe pour quelqu’un qui connait ta musique c’est de penser qu’il diffère énormément par rapport à ce que tu as pu faire dans le passé. Pourquoi as-tu choisi de d’entreprendre un tel virage musical ? 

Lucien Kimono : C’est une question intéressante, d’autant que ma réponse va peut-être te sembler un peu paradoxale. J’ai voulu cet album comme une rupture, comme un virage, comme un tournant pour plusieurs raisons. Très concrètement, j’avais l’impression d’être arrivé au bout d’un cycle. 

Tout s’est joué aux alentours de quand on a joué à la Maroquinerie, vers 2020 ; c’est vraiment cette période charnière qui se trouve juste avant le COVID et qui a d’ailleurs été une grande période de remise en question pour plein de gens. 

Je viens de sortir l’album au piano, solo et c’est super, c’est sold out, c’est génial, mais je sens – parce que c’est ma nature – que j’ai atteint le maximum du potentiel qui m’est permis dans cet environnement. En tant qu’artiste, je me sens un peu bloqué parce que je fais. 

À ce moment-là, je fais de la musique quasi exclusivement instrumentale et je trouve que de concert en concert, il manque la dimension de communication avec le public. Et cette dimension, c’est la voix, c’est les paroles, c’est raconter quelque chose. Tu peux raconter plein de choses avec l’instrumental mais il y a quand même une manière plus directe de t’adresser aux gens, et c’est de chanter. 

Donc de là, confinement aidant en plus d’une remise en question et d’une et une évolution qui part d’une volonté de faire un album chanté et personnel, j’ai élagué. Au début, je chantais en anglais des trucs plus ou moins vaporeux, puis en fait je me suis dit que pour être vraiment sincère, mieux vaut le dire en français. Donc je switch en français, je travaille ma voix pour pouvoir allier la qualité de la voix et ce que j’ai envie de raconter. C’est difficile de faire se rencontrer les deux. 

Pour faire plus court, pendant 2 ans et demi à peu près, j’ai été dans cette recherche, je me suis entouré de gens, de collaborateurs avec qui je travaille donc ; des paroliers, beatmakers et cetera, pour créer. On dit qu’il ne faut pas trop faire ça d’habitude, mais je suis parti de “je veux tel résultat final : comment je fais pour y arriver ?”. 

Après, j’ai construit cet album et je trouve que le résultat est en rupture. Il est ce que je voulais mais en même temps, je sens la cohérence, je l’entends avec le reste de la discographie. C’est une rupture pour plein de raisons ; les sonorités, les paroles… mais en même temps, y a toujours la nostalgie, la mélancolie, certains accords de piano, qui sont vraiment les ingrédients que j’ai toujours mis et qui se trouvent dans une continuité. Il y a donc rupture et continuité. 

LTB : Peut-on alors parler de suite logique, cohérente ? 

LK : Complètement. Et puis il y a ce truc ; cet album avant d’exister, il y en a eu d’autres, des brouillons. Et je pense que j’anticipe un peu sur tes questions mais c’est un peu ça les 1000 Vies. C’est qu’avant cet album-là, il y a eu aussi 1000 albums ; il y a eu l’album qui part beaucoup trop loin dans le hip-hop, il y a eu l’album qui se répète par rapport au passé, il y a eu l’album chanté en anglais, il y a eu plein de choses qui sont des reflets des 1000 albums, des 1000 vies que j’aurais aimé avoir, que j’ai exploré à un moment donné et que j’ai cru que je pouvais avoir. Puis finalement le résultat, c’est le plus sincère possible. C’est vraiment le résultat de toute ma personnalité passée au tamis, je ne pouvais pas faire mieux. 

LTB : Tu étais dans quel état d’esprit, quand tu as réalisé ton album ? 

LK : Ça a été une longue période de gestation, ça a duré au moins 2-3 ans. Donc, mon état d’esprit a évolué. Je suis parti dans l’état d’esprit qui ressemble beaucoup à ce que tu retrouves dans l’album, c’est-à-dire assez sombre, assez mélancolique, empêtré dans des doutes existentiels et qui a abouti au moment où j’ai reconnu l’album comme étant terminé. J’avais un peu fait ma thérapie aussi. J’avais posé ce que j’avais à dire par écrit, je l’avais chanté, je l’avais confronté à plein de choses dans le process. Puis j’ai évolué, en quelques années, j’ai fait le tri dans ma vie et donc cet album est un peu un exutoire pour moi. 

J’ai commencé dans un état d’esprit qui ressemble beaucoup à l’imagerie que tu peux avoir dans l’album pour terminer avec quelque chose de plus positif, qui ressemblera probablement à ce que la suite sera. Une suite probablement plus solaire je ne sais pas… Mais je pense qu’il faut un équilibre. J’aime bien les équilibres. J’ai fait un album sombre. Peut-être qu’il faudrait un album plus solaire et faire ce cycle. 

Plein de gens m’ont demandé un peu naïvement si j’allais bien quand j’ai commencé à sortir les morceaux de l’album, Echo et Adieu, des morceaux plutôt sombres. Et il se trouve que oui, déjà, je vais bien ! Mais surtout ce qui m’a surpris, c’est qu’en fait, on t’essentialise quand même vachement à l’objet que tu mets en avant. C’est normal, tu te présentes sous une forme, les gens te résument à ça. 

Mais j’ai envie de dire, qui n’a pas des coups de mou ? Enfin, la vie, c’est vraiment des cycles. Moi je suis aussi positif que je suis négatif. Il se trouve que j’ai choisi de pousser l’angle le plus sombre, parce que je trouve que c’est-ce qu’il y a de plus intéressant, d’aller gratter les trucs les plus sombres et dérangeants. Mais voilà, ça ne fait pas de moi quelqu’un d’intégralement sombre, loin de là. 

Les gens étaient surpris de me voir dans la vie ; je suis plutôt jovial et j’essaie de faire marrer les gens. Et j’ai présenté ce truc-là. Certains ont pu croire que ce n’était pas honnête. Ou alors que j’étais plus sombre que ce que je n’y paraissait, mais c’est juste une interprétation artistique. 

C’est un autre sujet mais pas mal de rappeurs souffrent d’être réduits à être juste des rappeurs. Alors que ce sont des gens qui ont probablement plus à offrir mais la société veut les essentialiser. 

LTB : Tu as un petit peu abordé cette question-là ; dans ton album il y a le passé, le présent et le futur qui semblent se fondre en une temporalité un peu abstraite. Quel est ton rapport au temps et aux événements qui jalonnent ta vie ?

© Marie Perennès

C’est intéressant comme question. Mon rapport au temps, jusqu’ici, a vraiment été marqué et peut-être même ponctué par la nostalgie, qui est vraiment une des émotions que je mets le plus en avant dans ma musique. 

Je trouve que l’album a été un peu une bascule. Je pense que le pinacle nostalgique, ça a été l’album au piano dédié à mon grand-père défunt, qui lui-même était pianiste. Là j’étais complètement dedans. 

Même dans les EP du Kimono Orchestra, il y a un truc très vintage aussi. Très “hommage à Vladimir Cosma, Michel Berger”… J’ai vachement mis tout cela en avant et là, dans l’album, il y a une bascule car je veux être dans le présent, j’en ai marre de vivre dans le passé. Ma nostalgie, c’est aussi ma mélancolie. Et donc je souhaite évoluer par rapport à ça. 

Donc dans l’album, j’essaie de faire un point par rapport à ça pour regarder vers l’avant. Ça se ressent… moi, c’est comme ça que je l’ai vécu dans le fait de choisir des sonorités et une manière de faire plus moderne. Il y a un vrai changement, même dans l’image. L’image que je mets en avant actuellement est très codifiée. Les photos sont assumées, embrassent des codes actuels, par rapport à une recherche du vintage dans mon travail précédent. 

Je dirais que jusqu’à l’album, ma discographie était très nostalgique et que là, on essaye un petit peu de dépasser cette espèce de deuil. De faire le deuil d’une époque révolue et d’aller vers un truc plus moderne. 

LTB : Peut-être peut-on retrouver cette modernité dans un titre comme Weird Fruit par exemple, qui semble être synonyme de voyages et d’aventures… générés par des paradis artificiels. Quels sont leurs rôles dans ta musique ? 

LK : Personnellement, je prends pas du tout de drogues. Je pense que cette lecture est juste, c’est-à-dire qu’au sens propre, au sens premier, ouais, on parle d’un trip sous champis. Mais dans un sens plus large, on parle surtout d’un sujet qui est très important pour moi, c’est celui du lâcher prise. Donc si tu veux, tu peux substituer le Weird Fruit, par un trip sous LSD ou sous champis. 

C’est ce qu’on met en avant aussi dans le clip en faisant tout pour que ce soit très clair et grotesque. Mais ça peut être aussi l’amour, une épiphanie spirituelle qui te fait lâcher prise… Donc c’est surtout un morceau sur le lâcher prise avec plusieurs niveaux de lecture évidemment. Mais il y avait cette volonté de faire un morceau un peu tripant au sens premier du terme. 

Donc oui, si t’as envie de le lire comme “putain, ça croque dans le Weird Fruit et ça trippe et je le vis comme un rappel de quand j’avais pris des champis dans un festival”, c’est validé. Toutes les interprétations sont validées, tu vois ? 

LTB : Il y a quand même une grande vulnérabilité et justement une difficulté aussi de faire part de cette vulnérabilité, de mettre les bons mots dessus qui semblent transparaître dans l’album, notamment dans Eunice et Jamais-là. Est-ce que tu as pu exorciser un peu cette fragilité, cette vacuité de la vie en un sens, à travers tes morceaux ? Pourrait-on même parler de catharsis dans 1000 Vies ?

LK : Je savais bien que j’anticipais une de tes questions. C’est un peu le cliché “mon art, c’est ma thérapie”, et ce cliché-là, il est validé. C’est pas toujours le cas, mais il arrive que par moments, certaines œuvres soient cathartiques et thérapeutiques. Celle-ci l’a été. Ce n’était pas intentionnel mais en empilant les textes, et surtout avec tout cet effort de transformation, d’apprentissage du chant, de recherche instrumentale et tout ce qu’il a fallu mettre en place humainement pour obtenir ce résultat là, cela a résulté d’une volonté de sincérité et de modernité. 

Avoir certaines aspirations et mettre en place tous ces micro-changements du quotidien qui te permettent de te transformer, d’évoluer et de passer de “je ne sais pas chanter” à “je sais chanter”, de “je ne sais pas écrire” et “je ne sais pas parler de mes émotions” à “j’écris les paroles qui touchent les gens et j’espère qu’elles sont bien écrites”, ça a clairement eu un effet cathartique. 

J’avais envie de dire un autre truc par rapport à ça, c’est que ça a été un processus assez long mais c’est évident que le fait de réussir à regrouper un corpus de neuf textes à la fin, au prix de de milliers d’heures de travail et de morceaux pas retenus, tu relis neuf facettes de ta personnalité, neuf choses que tu as voulu exprimer. 

Si après neuf morceaux où ce que j’avais vraiment envie de dire est posé, je n’ai pas évolué, c’est que j’ai merdé. Si tu n’évolues pas après ça, c’est que tu n’as pas écrit un truc qui te correspond. Là, je me suis senti transformé après ça. 

LTB : “Transformé” c’est un mot très fort, non ? 

LK : Assez, oui. Oui, c’est un mot assez fort. Mais j’avoue que je n’aime pas trop quand les artistes disent “ouais je suis allé voir tel film et ça a changé ma vie”. Mais là c’est plus dans le sens où je te parle plus d’un processus qui a duré deux, trois ans et j’imagine que c’était plus large que l’album et l’album en a fait grandement partie. Il a tout guidé pendant plusieurs années, ça a initié une forme de transformation, c’est clair. 

Affronter le regard des autres à travers le chant, mettre en avant sa vulnérabilité, parler de ses sentiments, c’était un de mes défis aussi, assumer plus qui je suis. Ça n’est qu’un processus, ce n’est pas fini. 

LTB : Y a-t-il dans ta musique, une volonté de créer un effet de synesthésie par correspondances, de rendre compte de tes sensations face à certaines émotions afin de permettre à ton public de les reproduire ? Si oui, est-ce que le fait d’assembler plusieurs influences et genres musicaux résulte de cela ? 

LK : Tu parles de synesthésie et c’est un truc qui est évident pour moi. Chaque disque a une couleur – comme pour beaucoup de gens hein, ce n’est pas un don de dingue – mais chaque disque a une couleur et celui-là il a vraiment ce bleu profond que l’on voit sur la pochette. C’est vraiment la couleur de cet album depuis toujours pour moi. 

Couverture de l’album 1000 Vies, Lucien Kimono, 2023 © Augustin JSM

Après, chaque morceau a une couleur à soi dans ma tête. Mais il y a cette association couleur/musique qui est assez basique. Ensuite, il y a l’idée d’associer des émotions, des sensations aux mots et c’est clair qu’une de mes influences pour trouver la bonne manière au début, quand j’écrivais mes paroles, c’était les traités de philo. Ça donnait quelque chose de très littéral. C’était très cru voire indigeste. Je ne suis pas sûr que c’était très intéressant et surtout, ça n’avait pas sa place dans mon écriture. 

Et c’est en mettant de la poésie là-dedans et en lisant voire relisant beaucoup de poésie, de Hugo à Houellebecq, que j’ai compris plus instinctivement comment faire passer des messages et des épiphanies. Des réflexions à travers des métaphores plus qu’en le disant littéralement, c’est vraiment là qu’il y a poésie finalement. 

Je trouve que le point culminant de ça, c’est Jamais là. Je ne sais pas si ça se remarque, mais je trouve que le texte de ce morceau est différent des autres. Parce que c’est moins l’expression littérale de ce que je pense, c’est une espèce de suite de visions un peu étranges. Ça m’est venu presque automatiquement, ça m’a surpris. Alors que le reste des morceaux a été très maîtrisé, retravaillé avec des paroliers, ce texte-là a été écrit d’un jet et il n’a jamais été retravaillé. 

Je ne sais pas, il est sorti d’un coup. C’étaient des visions, c’était presque écrit comme en demi-sommeil. Ça m’a rappelé les surréalistes qui écrivaient en demi-sommeil des textes automatiques et il y a presque un peu de ça. Il y a des espèces d’émanations poétiques, étranges, auxquelles moi je trouve vachement de sens. “Tu as pleuré la mort du Jaguar”, “les tours d’ivoire n’écoutent même plus le cri des cœurs en marbre brut”… il y a plein d’idées. 

En fait, rétrospectivement, le feeling qu’il y avait au moment de l’écriture était très concret. J’ai analysé a posteriori toutes ces images que j’avais créées dans mes paroles. C’est un peu comme analyser son rêve. Tout faisait sens. 

Tous les autres textes étaient écrits dans la maîtrise et là, ça a été comme sorte d’écriture automatique. J’étais gavé de poésie et d’un coup le truc a jailli. Je trouvais que ça sonnait bien, que ça collait bien avec la musique. Tout se révèle à toi et là, la catharsis se produit. 

Ce n’est pas le morceau que les gens écoutent le plus mais j’ai énormément de retours sur ce morceau. On me dit qu’il a quelque chose de spécial. C’est l’un des morceaux que je préfère. Parce qu’il y a un truc onirique dedans. J’ai vraiment touché un petit lieu éthéré qui m’a surpris, qui m’a révélé à moi-même, qui m’a surpris. Je suis content de l’avoir fait. 

LTB : Il y a de nombreux morceaux aux influences de gospel, on pourrait même par moment parler de prière ; ton album est-il un moyen pour toi d’accéder à une forme de rédemption ? 

© Simon Depardon

LK : De rédemption… ça voudrait dire que je souhaite me faire pardonner de quelque chose, mais de quoi ? Je ne sais pas. Disons qu’en bon judéo-chrétien, j’aurais beaucoup de choses sur lesquelles culpabiliser et me faire pardonner peut-être. Mais la rédemption mise à part, c’est clair que le sacré m’a toujours fasciné. Moi je ne suis aucune religion mais autour de moi, dans ma famille et dans les gens avec qui je suis, il y a toutes les grandes religions monothéistes.

Mais ça m’a par contre toujours fasciné. J’ai même fait des retraites dans des monastères alors que je ne suis pas baptisé mais je suis allé juste voir, passer du temps. J’ai pas mal lu aussi là-dessus et effectivement, disons que le recueillement, le sacré, les lieux sacrés, le sentiment qui en découle, ça c’est global. C’est un peu un sentiment d’immensité, d’incompréhension de la vie après la mort, de l’infini. Ce sont des sujets qui me passionnent au point que la première mouture de l’album en anglais parlait vachement plus de ça. 

Ça parlait vachement de Dieu, de l’espace, de l’ immensité de l’espace… On retrouve un peu ça dans Grace d’ailleurs, qui était le premier morceau de l’album qui a vu le jour. Au début, c’était chanté en anglais. D’ailleurs, j’ai gardé une partie du chant en anglais. 

C’est vraiment des sujets qui me passionnent, je pourrais en parler des heures ; sur la religion, sur l’espace, sur la physique quantique. Après, fais ce que tu veux mais va mettre de la physique quantique dans des morceaux de Pop ! Certains y arrivent sûrement. Moi je pense que c’était là que ça faisait trop traité et c’est pas le format le plus intéressant je pense pour la pop-culture. 

LTB : Tu racontes plusieurs histoires rattachées à un vécu multiple, as-tu une volonté de faire de toi le personnage principal d’un récit épique ? Cela semble s’entendre dans Hero dont les sonorités rappellent des bandes-originales de films d’aventures. 

LK : Qu’on trouve ça mégalo ou pas, la réponse ne m’appartient pas, mais oui, j’ai pris du plaisir à me mettre en scène dans un clip comme celui de l’Hiver au Nord. En y repensant, je vis mon épopée, et ça m’a vachement amusé. 

Je ne suis pas sûr d’en tirer un plaisir narcissique mais par contre, ça m’a amusé de le faire, de créer l’artifice de tout ça. Après, je suis assez d’accord, j’ai une épée dans le torse, on dirait Link, ce serait à mon avis hypocrite de dire que je n’ai pas un certain intérêt pour la mise en scène. Mais ça m’a amusé et au final, c’est un peu ça les 1000 vies, c’est le fait de vivre des trucs de dingue, tout simplement. 

Tu vois des trucs de ouf qui nécessitent probablement d’être dans des situations folles et forcément tu te surprends à t’imaginer dans ces situations. C’est s’imaginer retourner une foule dans un stade ou être ce que je dis dans 1000 Vies, être un matelot, un aventurier. 

J’ai gardé un peu une âme d’enfant, c’est forcément des trucs qui me font marrer et oui ça me plait de me mettre en scène avec une épée dans le torse. Ça résulte aussi de ce que je consomme ; des livres de science-fiction, des jeux-vidéo d’aventure, des films… Je joue à Zelda et mine de rien, ça représente un certain imaginaire. Et tu parlais de paradis artificiel tout à l’heure ; pour moi Zelda, c’est un paradis artificiel plus fort que tout. C’est toute cette pop-culture, ces jeux-vidéo, qui m’évoquent mon enfance, mes amis, mes frères, mon entourage. En un sens, c’est aussi eux que je mets là-dedans. Ça fait partie aussi de mon paysage mental donc oui, le récit épique j’y suis sensible, j’aime consommer aussi de l’art épique. 

J’ai toujours écouté du métal, j’écoute beaucoup de classique, des choses assez puissantes. C’est aussi ça que j’ai voulu mettre dans l’album. Un morceau comme Hero, J’y mets mon

épique à moi. Ça va moins plaire à d’autres personnes mais c’est ce que je voulais aussi, le fait d’assumer que ça puisse être vivant, c’est un truc moins consensuel qu’avant. 

LTB : Tu sembles mettre en avant un rapport à l’amour assez ambigu dans cet album, quelle est sa place dans ta musique ? 

LK : Il y a plusieurs facettes de l’amour dans l’album je crois. Enfin, je pensais en tout cas ne pas être quelqu’un qui aimait traiter de l’amour dans l’art, parce que de nature, je trouve ça très galvaudé. Mais en fait, je consomme aussi, comme tout le monde, du contenu artistique dont la base est l’amour. Donc, à ma grande surprise, j’ai quand même réussi à glisser au moins deux morceaux d’amour dans l’album qui, selon moi, sont l’Hiver au Nord et Adieu, qui présentent deux facettes très différentes de de l’amour. 

Je pense que l’Hiver au Nord est assez classique ; on ne sait pas si c’est si c’est amoureux, mais on comprend qu’il y a une rupture un peu sulfureuse, un peu sanglante entre deux êtres en exil. Ce qui m’intéressait dans ce morceau, c’était le paysage mental de l’exil sur une banquise et tout ce que j’ai mis en avant dans le clip. Bon, ça c’est assez épique et c’est, je dirais, assez binaire finalement, comme vision de la relation. Là où Adieu, diffère. 

C’est marrant, je n’en ai jamais parlé, je n’ai pas encore eu l’occasion d’en parler et c’est peut-être un peu pointu, mais ce qui m’a donné l’idée du texte d’Adieu c’est la lecture de Réinventer l’amour de Mona Chollet. Dans ce livre, elle explique notamment comment on s’enferme dans des visions romancées de l’amour où la femme est un peu un objet inaccessible et quand elle est accessible, elle n’est plus très désirable. 

Donc on a cette espèce de vision, un peu un peu bateau, de la femme qui doit être un objet inaccessible et de l’homme qui doit lui faire la cour puis ils vécurent heureux et cetera… alors qu’en fait bah l’amour c’est plus du quotidien, de l’amitié, du respect mutuel. 

Et ce que j’essaie de mettre en avant dans un Adieu, c’est ça. Le message de l’Adieu, c’est ce qui va le plus me manquer dans notre rupture, c’est notre relation d’amitié. Mais ce truc-là m’a été inspiré par ce bouquin que j’ai trouvé vachement bien d’ailleurs. 

Parce que justement j’étais parti sur exactement ce qu’elle ce qu’elle dépeint ; je propose une vision binaire de la rupture “on se déteste, c’est sanglant”. Bon. Puis je me suis dit “viens, on essaie de trouver une rupture plus constructive, plus moderne”. 

LTB : Alors quels sont tes projets pour le futur ? 

© Simon Depardon

LK : Dans un premier temps, laisser exister cet album, le laisser infuser, le laisser vivre, le défendre, bien-sûr, mais le laisser s’exprimer. Il se trouve que par ailleurs, j’ai beaucoup de boulot dans la musique ; je compose de la musique, également pour la publicité, je fais beaucoup de musique pour d’autres artistes aussi. 

Il est encore trop tôt selon moi pour me remettre sur un nouvel album. J’ai besoin de revivre d’autres choses. J’ai passé 3 ans à me dédier corps et âme à ce disque. J’ai besoin de recharger mes batteries. Mais c’est clair que je veux d’ores et déjà refaire un album avec

d’autres choses. J’ai déjà des frustrations de choses que je n’ai pas mises, auxquelles j’ai envie de me confronter. 

Encore une fois, il faut que l’album trouve sa place. Les gens commencent à le découvrir petit à petit et c’est un travail de longue haleine. Ça va me prendre l’année et c’est une morale que mon ancien label m’avait donnée. On m’avait dit “un album, ça se bosse sur un an”. Tu as l’impression d’arriver à une conclusion quand tu sors ton album mais ce n’est que le début en réalité. 

LTB : Pour l’instant, es-tu satisfait de la réception de ton album ? 

LK : Carrément, je suis assez content de la réception, surtout d’un point de vue qualitatif où j’ai plein de retours. Maintenant, je ne vais pas le cacher, j’ai bossé trois ans dessus, j’ai l’impression d’avoir franchi une étape avec un plus grand public et j’espère, comme tous les artistes, que ça rencontrera l’audience la plus vaste. 

LTB : Est-ce que tu souhaites rajouter quelque chose pour conclure cet entretien ? 

LK : La chose que je n’ai pas évoquée, c’est que toute cette aventure artistique elle s’est accompagnée d’une aventure entrepreneuriale. Je suis parti de mon label pour créer le mien avec des gens de mon entourage. 

Pour moi, c’est vraiment le récit d’une émancipation artistique mais aussi humaine, puisque j’ai revu mon environnement professionnel pour créer mon propre label. Il y a quelque chose de très sain dans le fait de m’offrir la liberté artistique que je voulais. 

C’est cool, parce que ça me permet d’être cent pourcent moi dans la musique et les clips. Et avec mon équipe, il n’y a plus de brides, de label. Même si le label était super mais bon, en étant indépendant, j’ai créé cette structure qui s’appelle “Avancée”. Le nom est assez clair ; il était question de me donner vraiment carte blanche sur cet album. 

Je le mentionne parce que c’est le même élan que sur l’album ; c’est tout ça, une volonté d’être, de prise de liberté et d’émancipation. Les deux sont du même tenant, chacun fonctionne grâce à l’autre.


Nous remercions Lucien Kimono pour cet échange et vous invitons à retrouver son travail sur les plateformes de streaming et à suivre ses activités artistiques via son compte Instagram.

Entretien réalisé par Lise Semeria