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Interview – Un instant mélanconirique avec SamCat et Martha Tehora

Le Tote Bag a échangé avec les artistes SamCat et Martha Tehora au sujet de leur collaboration sur l’album Ainsi tout commence. Ce disque plein de mélancolie et de nostalgie nourrit un lyrisme introspectif ; ces artistes s’inscrivent dans un héritage progressif et nous vous encourageons chaudement à les écouter ou à les rencontrer comme cela pourra être possible le 26 août au Voulez-Vous-Vivre festival !

Le Tote Bag : Pouvez-vous nous présenter votre album ?  

Martha Tehora : Il faut l’écouter ! Commenter sa musique c’est comme essayer de refaire ce qui a  été fait, en moins bien. Avec trop de paroles et de blabla inutile.

SamCat : Je me risque tout de même au blabla inutile pour répondre à ta question : Ainsi tout  commence est un album de musique dite « alternative/expérimentale » inspirée aussi bien  par ce qu’on appelle le shoegaze ( Mazzy Star, Warpaint, Cigarettes after sex, Ex:Re) que par  des groupes plus conventionnels ( Radiohead, Massive Attack, Spiritualized, Sigur Ros).  L’idée à été de construire cet album comme une bande originale dans une esthétique très  ninetees. Dans l’idéal, j’aurai voulu qu’il puisse être la bande originale d’un film comme Fight Club ou encore Trainspotting. 

© Jessy Penelon

Le thème de l’irréversibilité du temps et le caractère tragique de sa course m’a toujours  beaucoup inspiré. […] J’ai toujours trouvé intéressant de profiter de cette suspension du temps que l’enregistrement permet pour faire signe vers le tragique de la succession des évènements. 

SamCat

LTB : Quel a été le processus de création de cet album et pourquoi  avoir choisi la collaboration ?  

MT : Tout s’est fait à distance, comme une façon de garder la musique intacte, à l’abri d’une  relation plus sociale qui se serait installée entre nous. C’était assez amusant comme  approche, sachant que l’on se connaissait à peine, quasiment uniquement de vue (et  d’oreille).  

On ne s’est même pas appelés donc le seul son de nos voix étaient celui du chant. J’ai  l’impression qu’il a voulu préserver cet espace temps.  

Pour ma part j’ai reçu les chansons comme des textes à trous, une partition inachevée dans  laquelle j’ai essayé de m’immiscer, forcément influencée par ce qui était déjà existant, tout  en essayant de laisser venir des choses personnelles, extérieures, différentes. 

SC : Tout s’est fait à distance (par une succession d’envoi et de renvoi de maquettes qui ont pris forme à mesure des we-transfert successifs) dans une certaine fulgurance : j’avais repéré la  voix de Martha à un concert où nous étions gentiment invités à chanter avec Mathieu Sakaïly au Hasard Ludique. J’attendais le bon moment pour la solliciter sur un projet qui  pouvait coller à son univers musical. On a plié l’enregistrement en moins d’un mois je pense. 

LTB : On remarque dans vos paroles une récurrence du thème du  passage du temps ; il y a parfois même une sorte de fatalité qui se dégage de vos textes,  une mélancolie face aux années passées. En tant qu’artistes, que  représentent ces années écoulées dont vous parlez ?  

SC : Le thème de l’irréversibilité du temps et le caractère tragique de sa course m’a toujours  beaucoup inspiré. L’enregistrement permet ( dans une certaine mesure) de se soustraire à  cette course. J’ai toujours trouvé intéressant de profiter de cette suspension du temps que l’enregistrement permet pour faire signe vers le tragique de la succession des évènements.  C’est aussi ce qui, les années passants, donne un sens tout particulier à ce qui est dit ou chanté dans ma musique. J’aime écrire un album comme un testament, avec l’idée, si ce n’est saugrenue, tout du moins romanesque, qu’en y mettant un peu de mon âme, j’accède par là, à  une forme d’éternité.  

MT : Je suis très touchée (et torturée) par les textes qui questionnent la mémoire personnelle comme collective, l’esthétique m’a plue.  

Je n’ai écrit que très peu de paroles, et dans le processus de travail c’était sur les dernières (Some things are just inevitable et I’m still twenty-five), donc j’étais certainement bien immergée dans celles de Sam. 

LTB : On constate aussi la convocation d’éléments bibliques, ou religieux au sens plus large du terme : comment articulez-vous ces symboliques avec votre musique ? Quel intérêt accordez-vous  à la spiritualité dans votre art ? 

MT : Deux trois références bibliques ou mythologiques, par chanson ça me met toujours en joie, en tant qu’auditrice et compositrice. Je trouve que ça inscrit un art personnel au sein d’une poésie intemporelle, commune.  

SC : C’est bien, (entre autres choses), sur la base du sentiment de ma propre finitude que je construis mon œuvre. Aussi, les notions d’au-delà, d’âme et osons dire de fatum sont  centrales dans ma recherche : de grands textes comme les récits homériques, les dialogues  platoniciens ou même la Bible sont de fait, des sources d’inspiration intarissables relativement à ces thématiques. Par ailleurs, la recherche esthétique, y compris musicale,  participe à mon avis d’une « quête de sens », qui n’est étrangère, ni à la philosophie, ni à ce qu’on nomme spiritualité.  

LTB : Votre travail, très marqué par des influences progressives, comporte l’usage d’instruments peu conventionnels ; on a pu  retrouver ça chez des artistes comme Jethro Tull ou plus  récemment avec King Gizzard and the Lizard Wizard : y a t-il  une revendication derrière ce geste ?  

SC : Il n’y a pas spécialement de revendication derrière l’usage du violon ou du violoncelle (par  exemple), mais plutôt une certaine appétence pour les cordes et leur capacité à « s’ajuster »  au gré du son et à parfois laisser entendre certaines dissonances. On parle d’instruments « fretless » où la note n’est pas nécessairement aussi juste que sur un piano ou une guitare.  Cette fragilité (voire fausseté) a présidé à toute la construction du disque. Je crois, en définitive, préférer une œuvre cabossée pleine d’imperfections et d’aspérités à quelque chose  de trop lisse et harmonieux. 

© Martha Tehora

Quand on sort un album, […] c’est un geste créatif qui se déploie sur plusieurs titres, et même s’il peut être démonté, fragmenté, il y a quelque chose qui est pensé dans l’unité.

Martha Tehora

LTB : Vos textes sont imprégnés d’une certaine sensibilité poétique :  disposez-vous d’influences littéraires dans votre travail ?  

MT : Je pense à certaines dystopies de la littérature américaine du 20ème. Qui se saisissent de la modernité à la fois comme menace et source d’inspiration. Je suis aussi tombée sur un poème de Tardieu, Commencement et fin dont les paroles résonnent bien avec l’album. 

SC : Pour ma part, je dois beaucoup à Albert Camus pour qui je nourris une fascination  grandissante à mesure que je découvre son œuvre. Je me sens très proche de ce qu’il  développe dans L’Homme Revolté , L’exil et le royaume ou encore dans son Caligula par exemple ; une certaine mélancolie toute méditerranéenne, et une conscience aiguë de  l’absurdité des conventions. Je crois que cet esprit de révolte, si il n’est pas toujours bien compris malheureusement, est nécessaire à l’émergence d’un art authentiquement profond.  

LTB : Dans l’idéal, de quelle manière aimeriez-vous que vos auditeurs réceptionnent votre album ?  

MT : Je crois qu’il faut abandonner toutes attentes, la réception est une partie de la création qui échappe totalement aux artistes. C’est vrai que sortir un album en une fois est un peu ardu pour des oreilles qui aiment la vitesse, le format single. Quand on sort un album (Sam est familier de l’exercice, moi pas du tout !), c’est un geste créatif qui se déploie sur plusieurs titres, et même s’il peut être démonté, fragmenté, il y a quelque chose qui est pensé dans l’unité. Mais l’auditeur•trice a tous les droits de toute façon… Idéalement,  écouter un morceau avec attention c’est déjà ça. J’aime souvent prendre mon temps, plusieurs mois parfois pour bien écouter un album.

SC : Personnellement, l’idéal serait qu’ils puissent l’écouter dans l’ordre avec un bon  système d’écoute et (c’est peut être beaucoup demander) sans distractions. Ceci dit, à l’heure des smartphones, des plateformes et des playlists, écouter un disque ou un vinyle est  presque devenu un luxe. Je trouve le format de l’album pourtant absolument magique et déplore qu’il soit trop souvent délaissé par esprit de rentabilité ou de course au succès commercial, y compris par les artistes eux-mêmes. Le single est à l’album ce que l’épisode de série est au film de cinéma : une idée ramassée qui peut parfois souffrir de ne pas se  déployer dans un temps adapté à son propos.  

LTB : Avez-vous des projets pour le futur ? Peut-être en commun à nouveau ?  

MT : Mon projet personnel n’a rien à voir, enfin, à priori, mais j’étais contente de pouvoir exprimer cette musicalité là (qui m’habite) à côté. Pour le reste, advienne que pourra !

SC : Nous jouerons au festival Voulez-Vous-Vivre le 26 aout prochain où on défendra quelques morceaux de cet album sur scène. Je reste très sensible au travail de Martha qui est  très talentueuse et j’espère que le destin nous amènera à collaborer de nouveau pour créer de la belle musique !  

LTB : Y a-t-il quelque chose qui n’a pas été évoqué dont vous  souhaiteriez nous parler en particulier pour clore cette interview ?  

Merci beaucoup Le Tote Bag !  

PS de Sam : J’ai sorti un nouvel album de musique symphonique cette fois. Il s’appelle Post Tenebras Lux. Il y est question de tragique, de ténèbres mais aussi d’amour et de lumière! Il est disponible sur www.samcat.fr !

Nous tenons à remercier chaleureusement SamCat et Martha Tehora d’avoir répondu à nos questions.

Elisa Mayor et Lise Semeria