DONDA
Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda Donda
L’album est un carré noir qui s’ouvre avec son nom, répété en boucle pendant 52 secondes et employant différentes variations. Pour une première brasse, Kanye West ne nous emmène pas dans la mer la plus chaude. Même si l’on considère que Jail est le véritable premier morceau de Donda, il semble tout de même que quelque chose manque. Figurons-nous le premier morceau d’un album comme le véhicule qui ouvre la porte d’un univers. Repensons à Ultralight Beam, à On Sight ou à Every Hour1, qui – parmi bien d’autres – avaient eu le pouvoir immédiat de nous emporter oreilles et esprit vers un inconnu radieux et prometteur. Il ne s’agit pas de dire que Jail est un mauvais morceau, mais plutôt de constater qu’il ne se trouve pas à la meilleure place et, démarrer un album, d’une durée de 1h48, en sous régime n’est pas de bon augure.
Dès l’ouverture de Donda, Kanye West tend vers un rap plus classique, cependant, ce sont sa maîtrise de l’hybridation et sa connaissance de la musique et de ses codes qui dessinent l’intérêt que l’on peut porter à ses projets. Bien que manifestant une énergie plus brutale sur des morceaux comme God Breathed et Off the Grid, la prise de risque est inexistante et Kanye redescend de son piédestal pour s’asseoir sur une chaise de jardin, au niveau de ses contemporains les plus standards. Rapidement, Donda se perd en enchaînant des titres sans rapport les uns aux autres. L’univers est flou, l’intention indistincte.
C’est avec Praise God que la maîtrise de la musique se réaffirme, de fait, la brutalité entre dans une dimension moins codifiée et nettement plus intéressante. Il faut attendre la seconde moitié de l’album pour que cette efficacité se stabilise, bien que les morceaux reprennent les leitmotiv des projets précédents, usant de rupture de rythmes et de variations jusqu’à l’excès, donnant l’impression que Kanye se recycle lui-même et n’apporte rien de neuf à sa musique. Heaven and Hell, par exemple, est un court et simple crescendo puissant où les voix s’additionnent aux synthés et suivent les mouvements de la basse vers un bouquet final spectaculaire où Kanye vocalise du néant et ravive le souvenir de Feel the Love2 ; c’est certes efficace mais pas surprenant.
Sans réelle transition, Jesus Lord plonge Donda dans des profondeurs à la lumière restreinte où l’atmosphère est lourde. C’est une confession marquée par le sens du grandiose, un long morceau aussi transparent qu’une eau pure et notamment porté à la production par Gesaffelstein – dont c’est la première des deux collaborations sur l’album. Mais aussitôt terminée, une musique légère reprend le pouvoir sur le grave, New Again est empreint d’une ambiance plus pop, plus proche des productions du Kanye de la fin des années 2000, que de celles qui leur ont succédé. Et toute l’émotion qu’il a pu créer avec Jesus Lord s’évapore.
Donda s’achève sur quatre versions alternatives des morceaux Jail, Ok Ok, Junya et Jesus Lord ; qui ne comportent pas de différences majeures avec leurs versions d’origine. Mais si l’on considère ces morceaux comme des bonus tracks, cela fait de No Child Left Behind le dernier morceau de l’album. C’est une conclusion parfaite pour Donda si l’on choisit de ne pas entendre en elle une reprise chrétienne de The Night Me and Your Mama Met3. Une progression épique exécutée à l’orgue, en toute sobriété, l’émotion colmatée n’explose pas mais, au contraire, flotte doucement vers le ciel dans une lente apothéose.
Au terme de ce long voyage, Donda Chant apparaît finalement comme le morceau le plus représentatif de l’album, c’est-à-dire trop long pour ce qu’il est. Donda ne propose pas grand chose de nouveau et perd une partie de son public en s’aventurant dans 30 directions à la fois au lieu de s’en tenir à une. La production peut se revendiquer d’une variété certaine mais ne jouit pas d’une grande cohérence.
Il est amusant de lire ceux qui ont raillé Jesus is King pour son aspect ultra chrétien, encenser Donda alors que ce dernier accorde l’exacte même place à la religion. En deux albums, les obsessions de Kanye West se sont cristallisées dans la foi, marquant d’un arrêt son évolution fulgurante initiée à la sortie de My Beautiful Dark Twisted Fantasy (2010) où chaque album se distinguait de son prédécesseur, parfois avec un certain sens de l’avant-gardisme. En étirant des bribes d’anciennes idées sur presque deux heures, Donda apparaît comme un medley/hommage à la dernière décennie de son créateur et n’offre pas grand chose de plus qu’un constat du temps qui passe.
Et la sortie plusieurs fois repoussée et surmédiatisée de l’album n’a rien arrangé. Plus il y a de l’attente, plus le risque de déception est élevé ; alors il est normal d’être déçu lorsqu’on attend un aigle et qu’on nous offre un canard.
1. Respectivement les premiers morceaux de The Life of Pablo, Yeezus et Jesus Is King
2.Premier morceau de l’album Kids See Ghosts
3. Morceau de Childish Gambino sur l’album Awaken My Love, reprenant la même progression d’accords à l’exception du dernier.