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L’imperméable à travers les âges

Véritable pièce emblématique du dressing, l’imperméable est une invention récente qui s’est rapidement imposée comme un « must-have » de la garde-robe contemporaine. Avant tout un adjectif issu du latin impermeabilis (littéralement « qu’on ne peut pas traverser »), le mot désigne depuis le début du XIXe, par métonymie, ce fameux vêtement de pluie dont la caractéristique principale est de résister aux intempéries. Pour comprendre pourquoi son usage s’est aujourd’hui élargi à tel point qu’il n’est plus relégué à sa simple fonction première et a rapidement envahi les podiums, il convient de revenir succinctement sur l’histoire de cet intemporel qu’est l’imperméable.

Impermeabilis : protection anti-pluie

Les anciens déjà, durant l’Antiquité, cherchaient à créer et porter des vêtements suffisamment couvrants et déperlants pour affronter les conditions climatiques les plus capricieuses : ils avaient alors confectionné des manteaux de laine à trame serrée (c’est à dire dont les fils étaient très serrés) afin d’empêcher l’eau de passer à travers. Au Moyen-Age, les pèlerines font leur apparition pour combattre les intempéries : ce sont alors des sortes de petites capes recouvrant le manteau et renforcé aux épaules par un volant qui permet à l’eau de couler et de ne pas atteindre les couches inférieures de vêtement. Leur usage est attesté dès le XVe siècle en Europe. Elles sont alors fréquemment renforcées de métal dans la doublure, et seront portées jusqu’au XIXe siècle, où elles connaissent leur heure de gloire et sont souvent portées à l’intérieur (de façon plus légère) et leur fonction de protection météorologique délaissée au profit des nouvelles inventions de l’époque.

Le Pèlerinage à l’île de Cythère, Antoine Watteau, 1717 : ce tableau a donné son nom à la pèlerine que l’on peut voir représentée sur l’homme de dos au milieu de la composition.

En 1823, un ingénieur écossais Charles Macintosh rend pour la première fois un vêtement étanche en utilisant un vernis à base de caoutchouc : c’est l’invention du mackintosh, variante déperlante de la pèlerine française, qui va se populariser rapidement à tel point que le mackintosh est aujourd’hui encore, et par métonymie, un synonyme anglais d’imperméable au sens large.

En 1880, Thomas Burberry crée la gabardine : il s’agit d’un tissu de coton à trame très serrée et donc imperméable, dont l’utilisation est toujours attestée aujourd’hui pour un grand nombre de vêtement de pluie, notamment dans les « trench coat » (imperméable anglais descendant jusqu’au genoux) de la fameuse marque éponyme.

Depuis, le succès des innovations du XIXe siècle a permis aux matières imperméables de connaître un très fort engouement et d’être déclinées sur un large éventail de formes et de vêtements : trench-coats, ciré, k-way, bottes de pluie et autres accessoires sont encore d’invariables descendants des mackintosh et pèlerines originelles du XIXe.

Les acteurs Gene Kelly, Debbie Reynolds et Donald O’Connor portant le ciré jaune emblématique de la comédie musicale Singin In The Rain en 1952.

Un vêtement aux usages polysémiques

Rapidement, et notamment grâce au cinéma et à son essor au début du XXe siècle, l’imperméable délaisse son sens premier de protection pluviale et devient un symbole aux sens variés. Ainsi, dès les années 1940, l’imperméable est utilisé à l’écran pour camper des rôles mystérieux, langoureux, contestataire voire anticonformiste. C’est le cas de Rick Blaine, incarné par Humphrey Bogart dans le film Casablanca (1942) qui porte, lors de la scène finale et désormais mythique du long-métrage, un trench coat Burberry qu’il va contribuer à populariser et qui va dès lors devenir emblématique. On retrouvera ce vêtement dans d’autres films où évoluent des personnages romantiques et désintéressés, mystérieux et sensuels dont l’ « imper » va devenir synonyme, comme dans le chef d’oeuvre Diamant sur Canapé, réalisé par Blake Edwards en 1961 et où Audrey Hepburn et George Peppard portent tous deux des trenchs beiges lors de la non moins mythique scène d’amour finale du film.

En outre, l’imperméable est invariablement et naturellement associé au rôle d’inspecteur, de détective, popularisé par des grands noms du septième art comme Peter Sellers qui incarne à l’écran l’inspecteur Clouseau dans le film de Blake Edwards (encore lui) La Panthère Rose de 1963. À la même période, Columbo fait son apparition sur les écrans de télévision : campé par Peter Falk, la série désormais culte qui s’étalera de 1968 à 2003 va populariser comme nulle ailleurs le port de l’imperméable, à tel point que le terme columbo passera dans le langage commun pour qualifier un imperméable droit et défraichi.

Peter Falk dans son rôle d’inspecteur Columbo dans la série éponyme entre 1968 et 2003

Enfin, comment parler d’imperméable sans mentionner celui de l’Inspecteur Gadget, qui le portera durant 86 épisodes entre 1983 et 1986 et l’endossera de nouveau pour 52 nouveaux épisodes en 2015. Ici, l’imperméable est utilisé dans son sens commun pour qualifier un inspecteur, un détective, mais également comme un moyen humoristique pour renforcer le ridicule du personnage, perdu dans ce manteau trop grand aux innombrables tours de magie.

Les représentations cinématographiques et télévisuelles de l’imperméable sont donc légion, revêtent des sens divers et variés et sont devenus au fil des années de véritables pièces emblématiques du vestiaire masculin et féminin, portés à l’écran par des célébrités comme Sean Connery dans la série des Indiana Jones, Serge Reggiani dans Le Doulos (1962), Jacques Tati dans Mon Oncle (1958)…

L’inspecteur gadget en mission dans la série éponyme (1983-1986)

L’imperméable à l’assaut des podiums

Devenu une pièce incontournable de la garde robe contemporaine depuis son développement dès la fin du XIXe siècle, l’imperméable a rapidement été décliné par de nombreux créateurs et stylistes sous diverses formes. A l’image de Twiggy, mannequin phare des années 1960 qui l’avait très tôt porté dans l’ambiance pop-rock anglaise de ces années-là, de nombreux créateurs vont utiliser ce vêtement pour populariser leur marque. Il est repris par Jean Charles de Castelbajac par exemple, dans sa collection automne-hiver 1992-1993 : l’imperméable transparent comprend de petites poches ou sont glissés des cartes postales d’œuvres d’arts et des dessins aux formes enfantines qui donneront le nom d’ « imperméable épistolaire » à la pièce. Le créateur français va plus tard collaborer avec la marque Petit Bateau et propose, en 2015, une collection d’imperméables aux coupes et aux déclinaisons originales, preuve s’il en faut que l’imperméable a depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse.

Sans parler du très célèbre et déjà cité Burberry dont la spécialité sont les trench-coat, nombreuses sont les marques de haute couture à proposer depuis des décennies des pièces imperméables (trenchs le plus souvent mais également cirés ou pardessus) dans leurs collections : Saint Laurent, Courrèges, Cardin, Gaultier en sont peut être les plus fervents adeptes.

Enfin, il ne faut pas oublier la ferveur qu’a suscité dans le prêt-à-porter citadin la marque K-way dont le nom est aujourd’hui synonyme fréquent d’imperméable : crée en 1965, ce coupe-vent en nylon peut être replié et rangé dans une sorte de banane portée à la taille. Le succès de l’initiative au départ privée est toujours au rendez-vous et n’est aujourd’hui presque pas concurrencée, malgré l’apparition de nouvelles marques spécialisées dans les créations imperméables comme Rains qui, ces dernières années, témoigne bien de l’enthousiasme toujours présent pour l’imperméable sous toutes ses déclinaisons, cirés et trenchs, coupe vent et autres vêtements plus ou moins techniques.

Publicité pour l’imperméable K-way en 1981

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