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Mad Max : Fury Road, le virage féministe d’une saga viriliste

Vous en avez marre des actualités autour de l’augmentation du prix de l’essence et vous aimeriez voir des voitures lancées à pleine vitesse sans que le carburant ne soit un problème ? Les températures caniculaires de ces dernières semaines vous manquent déjà et vous aimeriez contempler des paysages arides et desséchés pour vous rappeler de la chaleur ? Ou, plus sérieusement, vous souhaitez découvrir un récent classique du cinéma post-apocalyptique ? Si pour vous la réponse à ces questions (ou du moins à la dernière) est plutôt oui, je vous recommande Mad Max : Fury Road, sorti en salles en 2015.

Si Mad Max : Fury Road marque une rupture avec les autres films de la saga, ce n’est pas seulement parce qu’il relègue Max au second plan ; c’est aussi parce qu’il introduit sans ambiguïté un propos féministe radical.

Qu’est-ce que c’est « Mad Max » ? C’est une série de quatre films, réalisée par George Miller, dont les trois premiers opus furent produits dans les années 80 (en 1979, 1981 et 1985). C’est l’histoire de Max, un ex-flic australien devenu survivant solitaire après l’effondrement de la société, particulièrement marqué par la mort de ses proches et donc peu porté à la vie en communauté.

Mad Max, l’origine

Si le premier Mad Max présente déjà des paysages désertiques, ce n’est qu’à partir du deuxième que l’ancrage post-apocalyptique est vraiment assumé. Les trois premiers films sont très différents dans leur contenu, mais ils suivent tous les trois Max et ses aventures dans un monde particulièrement impitoyable. L’univers formé par George Miller est très reconnaissable : les courses poursuites enragées, les vêtements des méchants inspirés des tenues BDSM des milieux gays dans les années 70 et 80, les voitures customisées à l’aide de matériaux de récupération… Bref, les premiers films relèvent d’un imaginaire très masculin et viriliste, exaltant la valeur d’un personnage individualiste mais protecteur, taciturne mais efficace.

Mad Max : Fury Road tranche

Sorti trente ans après le troisième opus, Mad Max : Fury Road tranche avec ses trois prédécesseurs. Dans ce dernier opus, on découvre un monde ravagé par une guerre nucléaire, dans lequel différents clans de pillards font régner la violence à moto ou en voiture et où l’eau et le pétrole sont des ressources rares. Dans cet univers postapocalyptique, Furiosa, lieutenante d’Immortan Joe, un tyran qui monopolise l’eau, trahit ce dernier et part avec les précieuses « épouses » d’Immortan, aussi surnommées « pondeuses » (« breeders »), des femmes qui, on l’aura compris, sont réduites à leur statut de génitrices potentielles. Max est quant à lui fait prisonnier par l’armée de « War boys » (« garçons de guerre ») d’Immortan, et après être parvenu à se libérer, décide d’aider Furiosa dans sa fuite.

Passation et camaraderie 

Ce qui étonne le plus quand on regarde cet opus de Mad Max pour la première fois, c’est de constater la place pour le moins surprenante accordée au personnage éponyme. Max (interprété par Tom Hardy) est bien présent, et joue un rôle central dans le film, mais il est éclipsé par la présence charismatique de Furiosa (Charlize Theron), guerrière androgyne dont le nom marque le titre du film. Le début du film montre bien l’écart entre les deux personnages : tandis que Furiosa fuit l’emprise d’Immortan et parvient aussi bien à semer l’armée de ce dernier qu’à lutter contre ceux qui cherchent à entraver sa route, Max est muselé et attaché à l’avant d’une voiture en tant que « Globulard », une poche de sang vivante destinée à donner de l’énergie à un warboy, un « rôle » qui rompt clairement avec ses prouesses combattantes des autres films.

Max attaché à l’avant d’une voiture, Mad Max : Fury Road

Le reste du film lui laisse plus d’opportunités pour agir, mais le retrait de la muselière ne le rend pas moins taciturne et Max ne prononce qu’une soixantaine de lignes de dialogue (la plupart très courtes) en deux heures de film. Mad Max : Fury Road est davantage un film sur Furiosa que sur Max, ou plutôt, il s’agit surtout d’un film qui présente la création d’une relation de confiance entre ces deux personnages. Le titre le sous-entend déjà : c’est une œuvre dans la lignée des trois autres Mad Max, mais le plus important est la route de Furiosa. Max n’est ici qu’un allié d’une cause qui ne le concerne qu’assez peu. Mais il ne sert ni de protecteur tout-puissant de jeunes femmes en détresse ni de mentor de Furiosa. George Miller joue clairement avec nos attentes, en montrant dans un premier temps un Max vétéran de trois films mais parfaitement inutile et une Furiosa nouvelle à l’écran mais redoutable. La passation se fait d’égal à égale, Furiosa et Max reconnaissant chacun la valeur de l’autre. L’une des plus belles scènes du film montre ainsi ce dernier confiant un fusil à Furiosa, meilleure tireuse que lui, qui se sert de son épaule pour être plus précise.

Furiosa et Max ne font qu’un pour abattre un de leurs ennemis, Mad Max : Fury Road

Ce n’est pas une relation de subordination qui se forme, et encore moins une relation amoureuse (ce qui déjoue encore une fois les schémas traditionnels de narration) ; ce qui se joue relève surtout de la camaraderie face à la tyrannie et à la brutalité d’Immortan Joe, et Furiosa et Max se confient avoir un but commun : atteindre « une forme de rédemption » comme le dit ce dernier.

Jouer avec le genre :

Si Mad Max : Fury Road marque une rupture avec les autres films de la saga, ce n’est pas seulement parce qu’il relègue Max au second plan ; c’est aussi parce qu’il introduit sans ambiguïté un propos féministe radical. Lorsqu’Immortan apprend que Furiosa est en train de s’enfuir, il comprend aussitôt qu’elle est partie avec ses « épouses », et plusieurs plans présentent l’enfer machiste constitué par le tyran. On voit ainsi des femmes attachées à des machines à traire, et on découvre que les « épouses » d’Immortan étaient enfermées dans une salle fermée par une porte de coffre-fort. Mais on peut aussi constater que cet espace d’enfermement a été subverti : on peut distinguer une salle de classe, un piano et de très nombreux livres sur le sol. De plus, ce lieu maintenant abandonné est recouvert de messages militants qui ne sont pas sans rappeler les collages féministes. On peut lire : « Qui a tué le monde ? », « Nos bébés ne seront pas des seigneurs de guerre » et « Nous ne sommes pas des choses ».

Immortan Joe découvre la disparition de ses « épouses », Mad Max : Fury Road

Avouons-le, ce n’est pas vraiment révolutionnaire de tenir un propos féministe au cinéma en 2015, surtout dans les genres auxquels sont rattachés Mad Max ; à savoir la science-fiction, qui avait déjà eu droit à un personnage féminin puissant avec Ripley dans Alien de Ridley Scott (1979) et le road-movie, pour lequel on peut notamment citer Thelma et Louise de Ridley Scott (1991) ou bien Nomadland, de Chloé Zhao (2020). Pour autant, Mad Max : Fury Road n’en reste pas moins un film particulièrement singulier. Déjà parce que, comme vous l’avez compris, il rompt avec ses prédécesseurs, qui étaient centrés sur des personnages quasi exclusivement masculins. George Miller innove aussi dans le traitement des sujets qu’il aborde dans ce quatrième opus ainsi que dans les codes adoptés dans son univers. Autrement dit, le virage féministe qu’incarne cet opus repose non seulement sur l’apparition d’un personnage féminin puissant mais aussi sur un questionnement des normes du genre (au sens de gender, qui qualifie la construction du masculin et du féminin, et au sens de genre artistique, qui classifie les œuvres en fonction de leur sujet, de leur format, etc…). Dans Mad Max : Fury Road, Furiosa détourne ainsi les normes de genre en adoptant une apparence androgyne et en reprenant des rôles traditionnellement masculins (guerrier, camionneur…). Max bouleverse quant à lui les codes du road-movie en proposant en plein milieu du film un retour au lieu de départ plutôt qu’une fuite en avant.

L’éloge de la communauté féminine

Si l’on reprend deux autres films que j’ai cités, Alien et Thelma et Louise, on peut aussi constater que le film de George Miller présente de nombreuses différences avec ces derniers. Si Alien contenait déjà un personnage féminin fort, Ellen Ripley, cette force était exclusivement individuelle, tandis que Mad Max : Fury Road fait plutôt l’éloge du collectif. Tout en condamnant sans appel une masculinité individualiste (Max qui est fait prisonnier) ou bien collective mais militariste et néfaste (les warboys endoctrinés par Immortan), le film met en avant une forme de sororité, souligne la valeur d’une communauté féminine. La sororité est un point central de l’intrigue, Furiosa cherche en effet à rejoindre le clan « des nombreuses mères » afin de s’y réfugier avec les « épouses » d’Immortan Joe. Ces dernières prennent d’ailleurs de plus en plus d’importance tout au long du film, et passent de jeunes femmes fragiles à cacher dans la première heure à combattantes efficaces dans les derniers affrontements. Le dernier plan du film met d’ailleurs en évidence l’importance du groupe dans la réussite de Furiosa. Quant à Thelma et Louise, sans trop en dire sur les deux films, disons que George Miller propose une fin plus heureuse que Ridley Scott.

Cette année devrait être marquée par la sortie de Furiosa, préquel de ce quatrième Mad Max, consacré au passé de la guerrière, alors j’espère vous avoir donné envie de voir (ou de revoir) ce chef d’œuvre qu’est Mad Max : Fury Road pour vous préparer à ce nouveau film de George Miller. Espérons qu’il sera à la hauteur de son prédécesseur !