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Thérèse Desqueyroux : le poison ou l’arme favorite des femmes

Le cliché est connu depuis l’Antiquité, l’empoisonnement est le plus souvent l’œuvre de femmes. D’Agrippine à La Voisin lors de l’affaire des poisons au XVIIème siècle jusqu’à Marie Besnard, elles sont nombreuses à y avoir eu recours. L’empoisonnement, caractérisé par son efficacité, mais également sa nature vicieuse pour certains, fascine à tel point que même le Code pénal le traite différemment des autres homicides. Le cas que nous allons étudier est un peu moins connu : l’affaire de l’empoisonneuse des Chartrons serait sans doute tombée dans l’oubli si l’un des plus grands auteurs français du XXème siècle, François Mauriac, n’avait pas inscrit ce fait divers dans la postérité. A l’époque pas encore couronné du prix Nobel, ce dernier assiste au procès en 1906, dont il tirera un roman court quelques années plus tard : Thérèse Desqueyroux.

Des forêts, des terres… et un mariage

Ce n’est pas un spoil, dès le premier chapitre, Thérèse Desqueyroux est déclarée non coupable de la tentative d’empoisonnement à l’encontre de son mari, Bernard, bien que tous la savent coupable. L’auteur nous emporte dès les premières lignes dans le tumulte qui suit l’annonce du juge. Tout sonne terriblement faux, le dialogue entre le père et Thérèse paraît en dissonance avec la gravité de la situation, celui-ci se contentant de la réprimander comme si elle avait simplement commis une petite bêtise. La déclaration d’innocence semble avoir été forcée, on croit percevoir une entourloupe entre l’avocat et le juge. Dès lors, Mauriac expose les raisons qui l’ont poussée à commettre ce terrible geste, et oriente son récit vers un monologue « psychologique » de la jeune femme. Bien qu’elle prépare minutieusement le face à face avec son mari, elle ne semble pas céder totalement au remord. Une sorte de désinvolture paraît indiquer qu’elle n’a que faire des conséquences futures.

Même si le geste semble à première vue inexpliqué, la vie de Thérèse Desqueyroux, sur laquelle elle n’a eu que très peu de contrôle, apporte un élément de compréhension. Elle mène dans le village d’Argelouse dans les Landes une vie bien « rangée » – le mot est un euphémisme. Sa famille et celle de son futur mari ont entrepris de rapprocher leurs terres, et ont pour ce faire marié leurs enfants. Prisonnière d’un mariage dont elle n’a jamais voulu, Thérèse sombre lentement dans un nihilisme froid et insensible. Elle finit par s’en prendre à ce mari, comme un pied de nez envoyé aux convenances de la bonne société campagnarde française des années folles. La moitié du petit roman est donc consacrée au cheminement psychologique de Thérèse : elle nous fait ses confessions, sans s’excuser. Elle cherche à expliquer son geste en nous replongeant dans son enfance, relativement heureuse et insouciante, qui se déroule au milieu des pins des Landes. Le cadre paisible et dépaysant posé par Mauriac nous fait oublier le climat tendu dont est entouré le drame familial qui se déroule en coulisses.

Quelle condition pour Thérèse ?

On peut prêter beaucoup de choses à François Mauriac, le militantisme n’en fait pas partie. Avec Thérèse Desqueyroux, l’auteur a voulu rendre compte de l’affaire de l’empoisonneuse des Chartrons comme on rend compte d’un fait divers. A l’instar des Mémoires d’Hadrien de Yourcenar qui fait de « l’archéologie au dedans », le roman de Mauriac raconte le fait divers « au dedans » et apporte un soin particulier aux préoccupations de l’empoisonneuse et aux conséquences que ses actions ont eu sur elle, sa famille ou encore sa réputation. Ainsi, pas de sentiment de révolte, de mise à plat des convenances. Ce roman parle simplement de Thérèse, son meurtre et des paysages des Landes. A la rigueur, il est possible de percevoir une pointe de volonté de justice dans le fait que l’auteur prend le lecteur à témoin. En effet, en mettant à nu tous les tenants et aboutissants de l’affaire, les pressions sociales et psychologiques subies par la jeune femme, Mauriac place le lecteur en position de juger Thérèse, et de confronter son jugement à celui (très radical) de son mari.

Vous l’avez peut-être entraperçu mais une des grandes forces du livre résulte dans son décor de l’arrière-pays bordelais. Les romans de Mauriac sont très marqués par les différents lieux où le jeune écrivain a vécu, la Gascogne et le Verdelais entre autre. C’est de cette manière là qu’il pourra dépeindre, comme il l’a fait dans Thérèse Desqueyroux, ces climats dominés intellectuellement et foncièrement par une bourgeoisie pas toujours très enviable dans ses pratiques. Thérèse Desqueyroux a été adapté en 2012 au cinéma par Claude Miller. Pour les plus traditionalistes d’entre nous, la première adaptation a été faite en 1962.

Mathieu Salami