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Poids Plume : On tatouera notre jeunesse dans la neige par Aimelou

Titre : On tatouera notre jeunesse dans la neige

Autrice : Aimelou 

A partir de : 14 ans

Thèmes : Cocon, hiver, communauté LGBTQIA+.

Note : ★ ★ ★ ★

Si on vous dit… ‘found family’, chalet sous la neige et raclette ? Emile, Lola, Cerys, Mathilde, Maxime et Hiba, six ami.es d’enfance que leurs projets d’avenir ont éparpillés dans l’hexagone se retrouvent pour fêter Noël à Pralognan-la-Vanoise, une petite station de Savoie. Cette semaine est tout ce dont ils pouvaient rêver : des êtres chers rassemblés au coin du feu, de longues descentes en ski et des tisanes à volonté! 

La lecture ‘feel good’ de l’hiver :

Depuis deux ans, à la même période, c’est ce roman que je choisis pour commencer la saison hivernale. Il suffit d’en ouvrir les pages pour humer l’odeur familière du pain d’épice et des tisanes pomme cannelle. Et chaque année, c’est le même plaisir de constater que rien n’a changé, et que tout est fidèle à mes souvenirs. Par bien des aspects, On tatouera s’apparente à une ‘comfort series’, de celles dont on choisit un épisode au hasard, en ayant la certitude de passer un bon moment. Comme dans toutes les comédies romantiques ‘feel good’ qui se respectent, aucun retournement dramatique ou tragique n’est attendu : seulement des personnages attachants, des bonnes blagues et des passages attendrissants…

Naturellement, cela ne signifie pas nécessairement que tout est rose pour nos protagonistes. Au fur et à mesure des chapitres, les points de vue alternent et nous donnent accès à la réalité de leurs expériences de jeunes adultes et à la complexité de leurs relations interpersonnelles. Après tout, s’il est plaisant d’avoir des amis d’enfance, il n’est pas toujours facile de les garder, surtout avec la distance… Ces vacances sont pour eux l’occasion de revenir sur les derniers mois : le départ du nid familial, le début des études pour certains, et l’angoisse qui vient parfois avec. Au-delà de l’incertitude induite par leurs projets d’avenir respectifs, cette période de transition s’accompagne de nombreuses remises en question sur leur identité, leur orientation sexuelle et le monde qui les entoure. Au milieu de tous ces bouleversements, le chalet devient un refuge, un lieu où les six ami.es se sentent toujours soutenu.es et aimé.es pour qui iels sont, même quand iels ne sont plus sûr.es de qui iels sont, précisément. Plus qu’un endroit, ce ‘safe space’ qu’ils ont construit se révèle être une famille, une famille choisie, ce topos si cher à la culture queer. 

Justement, cette culture queer, le livre la brandit comme un étendard. C’est en effet sous cette étiquette que se retrouvent bon nombre des personnages, que ce soit en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Cerys par exemple, n’est ‘pas fan de la binarité de genre’, mais cette information ne prend pas le devant sur son identité. Au contraire, c’est un détail qui nous est communiqué dans sa fiche personnage, avec le fait qu’iel est ‘grand fan de surf (…) et de pizza quatre-fromages’. Cette inclusivité s’étend jusqu’à la forme du livre, puisqu’il est intégralement rédigé en écriture inclusive ! La fluidité du style, et la rapidité à laquelle les pages s’enchaînent semblent un pied de nez à cette légende urbaine qui voudrait faire croire que les points médians sont gênants à la lecture.

Fiche personnages des marmottes

Une histoire LGBTQIA+ qui finit bien !

Ce roman est important parce qu’il transporte beaucoup de cette joie queer qui est si rarement dépeinte dans les discours traditionnels au sujet de la communauté LGBTQIA+. Entre ses pages, vous ne trouverez pas de cas criant de discrimination, pas de harcèlement scolaire, pas de coming out désastreux ou anxiogène, simplement des amis en vacances. Et ça fait du bien ! Selon la chercheuse Rundine Sims Bishop*, la littérature fait office de fenêtres et de miroirs pour les lecteurices qui y voyagent ou s’y reconnaissent. Ces deux fonctions sont essentielles à la compréhension de soi et des autres. Mais elles sont loin d’être équitablement réparties, et les minorités ethniques, religieuses et sexuelles sont souvent condamnées à observer les autres derrière d’éternelles fenêtres tandis que le peu de miroirs qui leur sont tendus sont souvent craquelés ou déformants. Autrement dit, les représentations auxquelles iels ont accès en littérature sont souvent infidèles, voire excessivement négatives, quand elles ne sont pas offensantes.

A ce titre, On tatouera et son groupe d’amis de tous horizons participe du changement de narrations nécessaire qui s’opère vis-à-vis de la communauté LGBTQIA+, au même titre qu’Heartstopper**. Il permet aux lecteurices discriminé.es de s’identifier à des personnages qui leur ressemblent vraiment, et de se figurer des espaces sécurisants au sein desquels iels peuvent exister librement, tout en ouvrant de nouvelles perspectives dénuées de stéréotypes pour les autres. Politiquement, cette douceur est donc radicale, ainsi que semblent le suggérer les mots de Virginie Despentes : ‘Si on dit révolution, il faudra dire douceur’ ***.

En Conclusion

En somme, je ne peux que vous recommander cette bulle de bienveillance et de joie qu’est On tatouera notre jeunesse dans la neige, en espérant que ces six ami.es en quête de sens vous accompagneront cet hiver. C’est un texte simple qui se lit comme un chocolat chaud ; délicieux, réconfortant, et trop vite terminé !  Un livre à lire, à relire et à offrir.

Le livre est disponible sur : https://www.aimelou.fr/boutique/ .

Les références de cet article :

* Mirrors, Windows, and Sliding Glass Doors’ par Rudine Sims Bishop, publié dans Perspectives: Choosing and Using Books for the Classroom Vo.6 n°3, été 1990. https://scenicregional.org/wp-content/uploads/2017/08/Mirrors-Windows-and-Sliding-Glass-Doors.pdf 

** Heartstopper par Alice Oseman

*** Texte lu par Virginie Despentes, le 16 octobre 2020 au Centre Pompidou. http://rencontredescontinents.be/IMG/pdf/despentes_pompidou.pdf