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Music, Dandyism & Literature : Marcel Proust, une vie en musiques

Le nom de Marcel Proust évoque pour certains les heures sombres du lycée, où surligneur à la main, on peinait à expliquer par quel moyen le narrateur invoquait le souvenir grâce à une simple madeleine. L’auteur de La Recherche du temps perdu paie donc le prix d’être devenu un incontournable de la littérature française : on le croise sur notre chemin d’écolier mais par manque de temps on le néglige. Il prend ainsi la poussière comme beaucoup de ses confrères et le statut d’oeuvre intemporelle promulgué par quelques littéraires ne fait pas écho à grand chose. Cependant, cette renommée peut s’expliquer car La Recherche du temps perdu demeure moderne et se pare d’un attirail culturel exhaustif. Ainsi les 4215 pages scindées en sept volumes (107 pages de moins que la saga Harry Potter) explorent les relations humaines entre membres des hautes sphères afin de parfois s’en moquer et de dresser un portrait quasi-sociologique de la France bourgeoise et aristocrate au début du XXème siècle. 

Mais alors: Pourquoi diable aborder le sujet de Marcel Proust en musique ? 

La force de La Recherche, qui peut s’appliquer plus globalement à l’oeuvre de Proust, réside dans cette capacité qu’a eu l’auteur de développer une réflexion poussée autour de l’art. Il se questionne ainsi sur la valeur de la reproduction d’une oeuvre picturale ou aborde par exemple son attrait pour la littérature. La musique quant à elle, semble s’étendre tout au long de La Recherche, c’est un fil rouge, une constante, un repère; elle s’extrait souvent de la dimension musicologique que pourrait lui donner Proust afin révéler par son biais la psychologie des personnages. De plus, La Recherche est empreinte de touches autobiographiques, la voix du narrateur se mêle donc parfois à celle de l’auteur qui a évolué dans un environnement où il se rendait tant à l’opéra qu’au music-hall.

Ainsi, cet amour pour la musique que nous délivre Proust a donné envie à certains de se pencher sur la façon dont il avait abordé cet art. Presque dix ans après la réalisation du livre disque Marcel Proust, une vie en musiques par Anne-Lise Gastaldi et Pierre Ivanoff, l’ouvrage parait en format poche le rendant plus accessible.  Au cours de notre lecture, nous découvrons une vingtaine de plumes, littéraires ou musicales, qui viennent détailler, compléter, contredire ou confirmer la vision qu’a eu Proust de la musique. 

Comme évoqué précédemment, l’auteur a produit une oeuvre moderne car lui-même était friand de ce que ses contemporains produisaient et c’est une chose qui a traversé le temps malgré la célébration prochaine de son 150ème anniversaire. Certains intervenants nous parlent donc de la Sonate de Vinteuil, composition fictive évoquée pour la première fois dans Du Côté de chez Swann (Volume 1 de La Recherche) et qui devient par la suite un élément redondant jusque dans Le Temps retrouvé (Volume VII de La Recherche). Ce morceau pour violon et piano dont on ne connait que l’effet qu’il produit sur le personnage Swann, a nourri l’imagination de compositeurs contemporains, au point où en 1998, Arte diffusait une émission de Maurice Rabinovisz intitulée A la recherche de la sonate de Vinteuil. Dans ce programme, quatre compositeurs offraient leur interprétation de ce que pouvait être cette sonate, prouvant ainsi la pluralité des lectures et la source intarissable de réflexion que représente l’écriture de Proust. 

Le livre ne se limite pas à une explication de la musique dans la littérature proustienne mais pousse son exploration jusque dans la vie de l’auteur. Nous apprenons ainsi que Marcel Proust était un grand amateur de Beethoven mais qu’il fréquentait aussi le milieu des music-halls afin d’écouter les vedettes de son temps. Cette information vient ainsi contraster avec le milieu bourgeois dont il était issu, bien qu’il ne faille pas perdre de vue que son confort matériel lui a permis d’avoir un tel accès au monde de la musique.

Pour citer un autre élément fort dans cet ouvrage il nous faut parler de l’analyse comparée entre Marcel Proust et Richard Wagner qui démontre que la démarche de l’auteur rejoint des problématiques similaires à celles rencontrées par le compositeur, et que nous pourrions résumer comme la volonté de créer une oeuvre totale et transcendante. En s’affairant à compléter encore et encore leurs travaux précédents ces artistes ont joué avec la limite de temps imposée par leur existence et ont réussi à créer pour l’un un cycle de romans emblématiques, et pour l’autre un cycle de quatre opéras intitulée L’Anneau du Nibeleung et qui aurait inspiré J.R.R Tolkien pour la rédaction du Seigneur des Anneaux

Beaucoup d’autres noms de la musique paraissent dans les lignes de ce livre (ex: Debussy ou encore Reynaldo Hahn qui a partagé un temps la vie de l’auteur), ce qui vous permettra de voir Proust sous un jour plus vivant et ainsi vous le rendre moins rébarbatif. A noter que bien que l’ouvrage recueille des propos confirmant la grande culture de l’auteur, il ne tombe pas dans l’écueil de n’être qu’une énième biographie encensant son travail. Ainsi, même les détracteurs de l’écrivain peuvent prendre plaisir à lire certains passages dont l’intervention de Jacques Dillon intitulée « Proust n’a rien raté, sauf la musique » qui pousse à nous demander s’il est vraiment possible d’écrire correctement sur la musique puisqu’elle échappe dans sa nature à la description concrète. 

Anne-Lise Gastaldi et Pierre Ivanoff, Marcel Proust, une vie en musiques, éditions Riveneuve/ Archimbaud, 2020.