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Le Médecin de campagne, le roman politique et juridique de Balzac

Tôt ou tard, une assemblée tombe sous le sceptre d’un homme, et, au lieu d’avoir des dynasties de rois, vous avez les changeantes et coûteuses dynasties des premiers ministres.

Balzac, à travers le docteur Benassis

La Comédie humaine et les préoccupations politiques de Balzac

La Comédie humaine est la grande œuvre d’Honoré de Balzac. La prétention affichée de l’auteur était d’en faire une encyclopédie des études sociales contemporaines, composée d’une véritable structure où les ouvrages se distinguent en trois catégorie : études de mœurs, études philosophiques et études analytiques. C’est dans cette première division que se trouve Le Médecin de campagne, précisément dans la sous-catégorie scènes de la vie de campagne.

Honoré de Balzac publie Le Médecin de campagne durant l’année 1833, deux ans après ses tentatives d’être élu à la députation lors des élections législatives sous la bannière légitimiste, réunissant les plus fervents monarchistes. Le roman est alors marqué par ses opinions politiques à une époque où il fréquentait des milieux aristocratiques partisans d’un retour à un régime de monarchie absolue. Dans l’ouvrage, on trouve ainsi des critiques acerbes vis-à-vis des grandes idées issues de la Révolution française, telles que la démocratie ou la liberté, en glorifiant l’ordre et la religion, si bien que certains auteurs ont pu qualifier le roman de propagande électorale.

C’est dans un petit village du Dauphiné, près de Grenoble, que les deux protagonistes se rencontrent au début du roman. Le commandant Genestas, un vétéran de l’armée, y fait la connaissance du docteur Benassis, le maire de la commune. Très vite ils s’entendent, et tout l’ouvrage s’articule selon les dialogues des deux hommes. Ces discussions sont l’occasion de parler de leur vie respective, marquée par la guerre pour le commandant, les drames sentimentaux et l’envie de quitter le monde des grandes villes pour le docteur et maire du village. Les deux protagonistes échangent particulièrement sur la commune en elle-même aussi bien sur son origine que sur son organisation, puisque Benassis, au-delà d’une simple autorité administrative en sa qualité de maire, est au sens littéral le père fondateur du lieu.

A son arrivée dans la région, le docteur ne trouve pas un village mais une agglomération de bâtisses en ruines dans lesquelles vivent des malheureux paysans complètement isolés et perdus. C’est alors avec la complicité de quelques villageois – qu’il convainc de rejoindre un projet de refondation de l’endroit – et celle des autorités locales, qu’il construit de nouvelles maisons. A partir de là, le village ne cesse de croître, le nombre d’habitants augmente, les activités économiques se développent et avec tout ceci, la nécessité d’encadrer la commune par des autorités. Ainsi, les 3 figures d’autorités que l’on rencontre par la suite dans l’ouvrage sont celles du juge de paix, du notaire et du prêtre, chargés respectivement de l’autorité judiciaire, de l’autorité commerciale et foncière, et enfin, de l’autorité religieuse.

L’organisation politique du village

C’est à travers le développement de la commune, que le maire met en lumières ses visions politiques. Benassis fait l’éloge d’un système patriarcal, fondé sur les valeurs de la famille, de la propriété, du travail et de la religion. Il critique le principe de l’élection, a fortiori au suffrage universel. La « masse » n’est pas habilitée selon lui à participer au pouvoir politique, qui doit être réservé à une aristocratie, au sens littéral du terme, c’est-à-dire au gouvernement des meilleurs, qui serait chargé, à la manière du docteur Benassis avec sa commune, de développer le pays selon des valeurs immuables listées précédemment.

Autre grand symbole de la révolution française, les concours permettant d’accéder aux emplois publics sont remis en cause par le protagoniste pour qui cette forme de sélection étouffe le génie. Il s’agit par ces épreuves, de se conformer à un ordre préétabli dont rien ne garantit qu’il soit le meilleur, qui prend pour exemple la figure de Napoléon, ayant modifié l’ordre politique grâce à ses aptitudes. Selon Benassis ; gloire, progrès et succès économiques en découlent.

Napoléon Bonaparte est par ailleurs le personnage historique le plus cité du roman, et ne semble pas avoir quitté l’esprit de cette France reculée des années 1830. Une partie de l’ouvrage est consacrée au récit d’anciens combattants de la Grande armée ayant participé à la campagne de Russie.

Le droit et Balzac

Par l’intermédiaire de son personnage, Balzac nous délivre non seulement sa pensée politique de l’époque, mais également son attachement à une certaine rigueur juridique ; la fonction de maire de commune du docteur Benassis, semble avoir autant d’importance que les éléments plus personnels de sa vie. Lorsqu’il retrace le développement du village, Benassis fait état des problématiques rencontrées relatives à l’acquisition de nouvelles parcelles et du fait que la commune n’a pu se développer qu’avec l’autorisation du préfet : seule la propriété effective des terres a permis à la commune de s’étendre.

À cette attention particulière accordée à la qualité des propriétés, s’ajoute son encadrement et l’importance du cadastre, chargé de délimiter et de diviser les propriétés foncières de la commune. Le notaire en assure le bon fonctionnement, et occupe une place prépondérante au sein de la commune, mis sur un piédestal par le maire pour qui le droit de propriété est sacré.

La justice à l’intérieur du village est rendue par la juge de paix. Il constitue une juridiction locale à l’époque, chargée de régler les conflits de droits communs survenus dans la commune. Benassis accorde une grande importance à l’office du juge, et demande à ce dernier de punir comme un « bon père de famille », sévèrement, peu importe le motif. Dans sa conception de la justice, il estime que la punition doit non seulement écarter le malfrat de la société, mais également lui faire comprendre que l’acte commis est un mal qu’il s’inflige à lui-même.

L’empreinte du droit sur l’œuvre de Balzac n’a rien d’anodin. Le père d’Honoré a occupé de nombreuses fonctions juridiques, dont celle d’assesseur de juge de paix ou secrétaire au Conseil du roi, et souhaitant voir son fils suivre la même voie, il l’envoya étudier le droit afin qu’il devienne notaire. Il travailla également en tant que clerc auprès d’un avoué proche de la famille Balzac. Ainsi l’influence du droit se retrouve à travers la rigueur avec laquelle il décrit minutieusement tous les éléments composant la société de la première moitié du XIXe siècle, ainsi que les nombreuses fonctions juridiques occupées par certains de ces protagonistes.

On retrouve en effet dans La Comédie humaine des avocats, des étudiants en droit, des notaires, des juges de paix, des avoués, dont certains sont des personnages de premier plan. Qu’il s’agisse de Maître Derville dans Le Colonel Chabert ou Eugène de Rastignac, étudiant en droit dans Le Père Goriot, toutes ces figures trouvent leur place dans la grande fresque sociétale que l’écrivain souhaitais composer.

Sources

  • Balzac, romancier du droit, Nicolas Dissaux, éditions LexisNexis
  • Balzac et l’élection. Autour du « Médecin de campagne », Martin Babelon, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine (1994)
  • Le Médecin de campagne, éditions Garnier frères