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Le Château dans le ciel, une fable du lierre et de l’acier : quelles intentions derrière Laputa ?

Hayao Miyazaki, au prisme de ses nombreux long-métrages d’animation prend plaisir à convoquer des références culturelles et philosophiques en les mêlant à ses scénarios. La tradition nippone, à l’instar de l’imaginaire fantastique des yokaïs est omniprésente dans l’univers des studios Ghibli. Les sans-visages du Voyage de Chihiro, ou encore les Kodamas dans Princesse Mononoke en sont des exemples. Toutefois, il est possible de voir dans Le Château dans le ciel des références transgressant les frontières de l’archipel. Si Miyazaki ne revendique pas toujours une inspiration occidentale, il est possible d’y voir des références magico- religieuses et littéraires très diverses. Ayant beaucoup voyagé, le réalisateur puise des sources à travers les paysages qui l’entourent mais aussi les grandes questions sociales de son époque.

Le Château dans le ciel, sorti en 1986 au Japon est le troisième long- métrage d’animation du réalisateur japonais qui dès sa sortie a emporté un succès retentissant. L’itinéraire proposé est le suivant : nous suivons l’aventure de la jeune Sheeta, héritière d’une pierre mystérieuse au pouvoir de lévitation, clé du chemin vers la forteresse volante, « Laputa ». Accompagnée de Pazu, garçon habitant d’une ville minière, elle part en quête du château en essayant de fuir ses détracteurs qui convoitent le pouvoir de la pierre. Pazu, qui rencontre Sheeta lors de sa chute de l’aéroplane, se fait véritable Orphée en la réveillant de sa torpeur. L’aventure commence. Le garçon recueille la jeune fille et la délivre d’une destinée qui semblait alors tracée. C’est ainsi qu’ils vont fonder à deux leur propre quête de Laputa en évitant les pièges de Muska, homme mystérieux et vicieux ayant le support de l’armée.

De prime abord une référence cruciale se détache dans le scénario de Miyazaki : celle de l’île volante. Laputa serait un clin-d’œil explicite aux Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. On retrouve l’idée d’une cité aérienne civilisée ou anciennement civilisée, puissante et terrifiante par son pouvoir. Le roi de Laputa, dans l’œuvre de Swift, représente une menace par la dimension de son île. Ce dernier détient la possibilité de couper une ville terrestre du soleil et de la pluie. Chez Miyazaki, le roi n’est plus et la civilisation est éteinte. C’est au descendant ou à la descendante de la famille royale de reconquérir ce territoire céleste et d’y établir une nouvelle ère. La dangerosité du souverain est hypothétique, et dépend du bon vouloir des descendants.

La pierre au pouvoir de lévitation, pendentif autour duquel tournent les péripéties de l’entièreté du film, rappel le topos littéraire de l’objet magique, de l’objet convoité pour le pouvoir qu’il représente, un pouvoir politique et symbolique parfois. Une comparaison avec l’anneau magique de la saga de Tolkien est faisable, dans la mesure où il s’agit d’un artefact au pouvoir surnaturel. Quand l’anneau permet de devenir invisible, la pierre, selon une parole sacrée, indique la direction de l’île, et permet d’acquérir des pouvoirs divers. C’est le « fantasme » du magicien qui est ici mis en scène, celui de l’Homme qui souhaite être le plus puissant parmi ses semblables.


Laputa, le château dans le ciel, capture d’écran de la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=GRDEQxM1K-o

Pendant tout le film, l’aspect « menaçant » de Laputa est contingent et se construit à partir de projections et d’anticipations. L’Etat ainsi que l’armée, qui représentent l’un des partis dans la quête de Laputa, lancent pour prétexte à leur mission un devoir de neutralisation d’une île dangereuse ; « un danger pour la paix des mondes » déclare Muska. Ce dernier, qui est à la tête de la mission, n’ignore pas que le seul danger que représenterait Laputa serait d’être régie par un roi démiurge et tyrannique, ce qu’il va pourtant tenter d’être une fois sur l’île volante. Cette forteresse est alors une utopie, ou plutôt une contre-utopie d’une civilisation remarquable et fantasmée. Contre-utopie car l’île qui semble idyllique et scientifiquement à la pointe est une machine de guerre en puissance. Laputa se fait allégorie de la technique et de ses déboires, afin de nous avertir que la science entre les mains de l’Homme n’est pas un bien en soi. Inutile alors de rappeler le rapport étroit de Miyazaki à la guerre qui est devenu l’un de ses sujets de fascination.

Robot-jardinier de Laputa, capture d’écran de la vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=ukCJkQROM5k

La satire de la technique se poursuit lors de la course à la forteresse entreprise par l’armée d’un côté, et de l’autre les brigands. L’armée une fois arrivée sur l’île commence par détériorer l’endroit dans la quête d’un trésor. La puissance du feu est utilisée allégrement et Muska la pousse à son paroxysme. Le paradoxe se situe dans l’existence des robots de Laputa, golems de fer, jardiniers célestes artificiels enduits de lierres qui protègent et alimentent l’île. Ces entités intriguent dans la mesure où elles sont créations de l’homme mais détentrices d’un libre-arbitre bienveillant, à l’inverse de Muska et de l’armée. La pierre de Sheeta, à l’aspect « prométhéen » confère à l’homme le feu, la technique et par conséquent la capacité de prendre le pas sur la nature et les êtres qui la peuple. Pour poursuivre la comparaison avec le mythe de Prométhée, le débordement surgit là où l’homme qui parvient à se distinguer de l’animal ne parvient plus à se différencier du dieu. Il s’agit de l’erreur que commet Muska qui, à cause de son sentiment de puissance, baisse sa garde. La mort de Muska serait alors l’ultime punition divine face à l’hybris, la chute d’Icare face à un désir et une témérité trop intense. La forteresse minérale est détruite et le roi démiurge avec. La pierre de Sheeta, création de l’Homme est dès lors comparable avec le concept de techné, don de Prométhée aux hommes. Ce Titan, qui dans le mythe souhaite réparer une injustice, déclenche à la place un cataclysme sans précédent : la maîtrise du monde par l’occidental et l’écrasement du vivant qui en résulte. Le désir de justice conduit donc à une injustice plus grande encore. La pierre bienfaitrice devient l’arme du mal.

Vous l’aurez compris, le mysticisme fait partie intégrante de l’œuvre de Hayao Miyazaki, ce qui n’exclut pas non plus une certaine religiosité. Les thématiques de la parole sacrée et de la lumière divine sont évoquées tout au long du film : « protège-moi que la lumière renaisse » « lumière sacrée ». Ce sont les mots prononcés par la grand-mère de Sheeta, lui dictant la formule permettant d’activer la pierre. Certains épisodes religieux fameux apparaissent dans des évocations. Muska dans son désir d’anéantissement compare la puissance destructrice de Laputa au feu qui a détruit Sodome et Gomorrhe, et à la flèche du héros Rama issu du Ramayana. D’un côté c’est la colère divine qui châtie du feu les deux villes voisines habitées par le péché, de l’autre, un héros de la mythologie hindoue, d’affiliation divine car avatar de Vishnu ; qui de son arme redoutable terrasse ses ennemis. Il s’agit dans les deux cas d’une puissance suprême, d’une intervention divine pour anéantir ce qui est jugé comme mauvais. Le mal est le vice dans la bible, et le démon Ravana dans le Ramayana. Muska se hisse au rang de roi puis sans transition au rang de dieu. Cette incarnation se manifeste lors de l’envoi d’une déflagration sur la terre pour signifier son nouveau statut de sur-homme punitif. Il se proclame de manière assumée ennemi des hommes et trahit l’armée. L’homme qui a abusé du don de Prométhée, constitué de la technique et du feu des dieux, tend à rejoindre le rang des divinités de manière excessive.


Sculpture de Prométhée, musée de l’Alte Nationalgalerie, Berlin. © unsplash

C’est avec surprise que le spectateur est forcé de voir Laputa sous un nouveau jour. Le lieu idyllique et utopique peuplé de végétation et d’oiseaux ne devait pas être réveillé de son sommeil, l’acier devait rester obstrué par le lierre. La curiosité, et la volonté coloniale de la société occidentale a poussé une expédition sur Laputa. Une curiosité dirigée vers une civilisation ancienne, et énigmatique qui aurait dû rester inconnue des Hommes de la terre. Il s’agit de la fouille archéologique de trop qui déclenche la malédiction, celle de la démesure châtiée. Goliath, qui est le nom donné au vaisseau de Muska et de l’armée est alors choisi à juste titre par Hayao Miyasaki. L’appareil de l’orgueil et de celui qui se pense invincible.

Le Château dans le ciel est la fable d’une fausse utopie, de la désillusion et du fantasme que peut éprouver l’Homme. Hayao Miyazaki souhaite prouver qu’on ne peut vivre loin de la Terre. Dès lors, peut-on considérer qu’il s’agit d’une alerte du cinéaste à l’ère du changement climatique, thématique de l’écologie chère à Miyazaki, rappel qu’il n’y a pas de deuxième Terre et que le paradis artificiel n’existe pas.