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L’art spirite

De grandes questions se posent encore sur l’art spirite. Méconnu, cette forme d’art brut apparue au 19ème siècle n’en reste pas moins très intéressante. Le Tote Bag vous propose aujourd’hui un coup d’œil sur ses origines et son histoire en passant par trois artistes français incontournables.

Qu’est-ce que l’art spirite ? L’art spirite provient tout d’abord du mot spiritisme qui est selon Le Robert une science occulte fondée sur l’existence, les manifestations et l’enseignement des esprits. Par exemple, dans le spiritisme les gens croient à une possible vie après la mort, à la réincarnation. L’art spirite s’inscrit dans le mouvement d’art dit “art brut” puisque les artistes spirites sont des personnes exemptes de culture artistique, comme le dit Jean Dubuffet à propos des artistes bruts.

Le spiritisme est connu au 19e siècle grâce aux soeurs Fox. Pendant la nuit du 31 mars 1848 trois sœurs vivant dans une petite ferme apparemment hantée de l’État de New York entendent des coups frappés dans leurs murs et établissent une connexion avec un esprit. Après de multiples rétractations, les soeurs déclarent que toute cette histoire n’était en fait qu’une supercherie et qu‘elles avaient fabriqué ces contacts mais malgré ce revirement des preuves ont été retrouvées chez elles : en effet, les soeurs Fox étaient censées communiquer avec un homme dont le cadavre avait été enterré dans la cave et après des fouilles des ossements humains sont retrouvés. Regardez cette vidéo pour en savoir plus sur la mystérieuse histoire des soeurs Fox.

Malgré le manque de preuves tangibles, l’affaire est très médiatisée. Bien d’autres affaires de spiritisme peuvent être évoquées ensuite comme la maison Winchester, mais le fait est que le spiritisme provoque un engouement populaire qui ne va pas tarder à traverser l’Atlantique et faire son arrivée en France. Le premier théoricien et philosophe du spiritisme français Allan Kardec écrit Le livre des esprits où il révèle ses différentes vies antérieures. Il théorise le spiritisme comme l’utopie d’une nouvelle religion laïque, universelle et paisible.

Une question se pose ensuite : comment peut-on rendre compte de cette communication avec les esprits ? Il existe différentes manières comme les guéridons, la table de ouija, les pendules, le dessin… Victor Sardou par exemple exécute des dessins de maisons qui se trouvent sur différentes planètes à la recherche du lieu où se trouve l’âme de son père mort. Fernand Desmoulin lui tente d’explorer l’inconscient des personnes de sexe féminin pratiquant le spiritisme car elles étaient nombreuses au 20ème siècle ; la voyance était une capacité que les personnes de sexe masculin n’avaient en apparence pas ou peu.

Des personnalités importantes sont aussi adeptes du spiritisme. Par exemple, Victor Hugo pratique le spiritisme durant son exil à Jersey après le coup d’État de 1851. Vous pouvez lire cet article pour en savoir plus sur les expériences spirites du poète.

Nous allons maintenant aborder plus précisément l’art spirite en décryptant le travail de trois peintres spirites Pas-De-Calaisiens : Augustin Lesage, Victor Simon et Fleury Joseph Crépin.

Augustin Lesage est né en 1876 et devient mineur à 14 ans. Un jour qu’il travaille au fond d’une mine, il entend une voix lui parler. Augustin en parle à un de ses amis qui connaît le spiritisme. Les deux hommes font une séance avec un guéridon durant laquelle la table frappe Augustin Lesage. Durant cette même séance, une voix lui dit qu’un jour il sera peintre et que ses œuvres seront soumises à la science. Il commence donc à dessiner. Il effectue sa première toile en 9 ans qu’il finit en 1912, une pièce de 3m sur 3m qui comme les œuvres de Kandinsky s’inscrit dans une dimension spirituelle.  Cependant ses œuvres ont été peu vendues au cours de sa carrière. Augustin Lesage devient également guérisseur magnétique et son cabinet compte d’ailleurs beaucoup de patients qui deviennent imprégnés des doctrines spirites. Grâce à son mécène Jean Meyer, le peintre peut quitter la mine en 1923 pour se consacrer pleinement à son art. Il expose à Paris et peint en public, observé par des scientifiques, en 1927. Les œuvres de Lesage sont très riches notamment en symétrie, en références architecturales ou encore en références à l’Égypte. Lesage se dit guidé par des voix comme celle de sa défunte sœur ou encore celle de Léonard De Vinci. Il est également guidé par la religion hindoue. Les surréalistes comme Breton s’intéressent à cet art. Les influences de Lesage sont nombreuses et comptent notamment l’exposition coloniale de Paris et ses voyages en Algérie et au Maroc dans le contexte colonial. Il fait également des conférences pour parler de son travail et échanger avec d’autres artistes mais sa plus grande influence a sans doute été son voyage en Égypte. Durant celui-ci Augustin reconnaît des choses qu’il avait seulement aperçues en visions comme la reine égyptienne Nefertiti. Lesage avance même qu’il serait la réincarnation du pharaon Ramsès. Le peintre perd ensuite progressivement la vue puis décède en 1954 à l’âge de 78 ans.

Victor Simon est né en 1903 près de Lens. Dès son plus jeune âge il présente un tempérament mystique, il a des visions et entend des voix. Il devient donc adepte du spiritisme. Professionnellement, il est minier puis comptable et cafetier. En 1903, Victor Simon a la vision qui va changer le cours de sa vie : il voit sept personnes qui lui ordonnent de peindre ; il va consulter Lesage puis commence à peindre une toile. Simon n’est pas un peintre très reconnu, il l’est seulement dans le cercle spirite. Il ne vend pas ses toiles et diffuse seulement des petits formats. Victor Simon devient guérisseur, il fait beaucoup de voyages et s’en inspire dans ses toiles (la toile égyptienne). Il entreprend également l’étude de divers sujets comme les religions orientales, l’architecture des mosquées et des églises byzantines qui ont une influence sur sa peinture. Victor Simon se dit guidé par des maîtres vénitiens. Le peintre écrit aussi trois livres en 1953, 1955 et 1957. Il meurt en 1976, à l’âge de 73 ans.

Fleury Joseph Crépin nait en 1875 dans le nord de la France. Il exerce différents métiers comme quincailler et plombier mais compose et joue également de la musique. Il devient guérisseur et soigneur et rencontre Victor Simon et Augustin Lesage. Les premières œuvres matérielles de Crépin sont des “coeurs protecteurs” dont un qu’il envoie à André Breton et un à Dubuffet. En 1939 alors qu’il écrit une partition de musique, sa main commence à dessiner des formes et il reçoit soudain un message d’une force supérieure : « Peins pour que la paix revienne dans le monde et reste ». Fleury Joseph Crépin se voit donc ordonné de peindre 300 tableaux pour que la Seconde Guerre Mondiale se termine. À l’âge de 65 ans, Crépin devenu peintre, achève son 300e tableau le 7 mai 1945, veille de la capitulation allemande. Ses tableaux auraient protégé certaines maisons des bombardements durant la guerre. Le peintre envoie ensuite cinqde ces tableaux à d’illustres chefs d’armées : Staline, De Gaulle, Churchill, Eisenhower et Weidling. En 1946, sa peinture est reconnue et une exposition est organisée chez Lefranc à Paris. Après l’épisode de la guerre, on ordonne à Fleury Joseph Crépin de faire 45 tableaux pour que la paix reste dans le monde. Il meurt en 1948 alors qu’il peint le 44e. Dans ses tableaux, Crépin mélange différents vernis pour créer du relief ; il utilise la méthode de 1000 points à l’heure dans ses tableaux et s’inspire d’animaux, d’entités mais aussi de bâtiments, notamment religieux comme l’église Saint-Martin à Hénin-Beaumont.

Pensez bien que l’art spirite n’est pas un courant figé, il existe encore aujourd’hui des cercles spirites. Des tableaux sont encore produits au Brésil notamment où l’esthétique spirite perdure mais également en Suède avec des peintres femmes. Une réelle ré-interrogation de l’art spirite se fait de nos jours pour pouvoir le reconnaître et le faire connaître au grand public.

Pour approfondir cet article vous pouvez visionner la vidéo de présentation de l’exposition d’art spirite du musée Maillol de Paris.