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La notion d’attributionnisme en archéologie grecque

Dans cet article dont le titre peut paraître abstrait, j’aimerais aborder un concept qui revient beaucoup lorsque l’on se penche sur l’étude de l’histoire de l’art et de l’archéologie : l’attributionnisme. Je ne prétends pas pouvoir traiter, en un article et au vu de mes connaissances actuelles, de l’attributionnisme sur une plus large ère chronologique et aire géographique que la Grèce antique. Le but est d’aborder les origines de l’attributionnisme en archéologie grecque, les problèmes auxquels ce concept a pu apporter un début de solution mais également les problématiques soulevées par l’application de l’attributionnisme dans cette discipline.

Figure 1 Pugiliste des thermes, original grec en bronze. Musée national romain © Salomé Legrand

Il faut tout d’abord comprendre la notion d’attributionnisme avant de se lancer dans son « application » en archéologie grecque. Cette notion prend tout son sens et son essor dès le XVIIIe siècle, continuant aux XIXe et XXe siècles avec la figure du génie romantique : l’inspiration domine l’artiste, la création est une véritable vocation et l’art, bien qu’il puisse toujours avoir une véritable fonction, est fait avant tout pour être de l’art. Cette notion, voire cette personnification du génie dans des artistes bien réels comme Paganini ou Lamartine est appliquée par extension à toute l’histoire de l’art par ses théoriciens et aujourd’hui encore les grands artistes italiens de la Renaissance (Da Vinci, Michel-Ange ou Raphaël pour n’en citer que trois) incarnent cette figure. Il va donc de soi que le génie artistique prenne aussi forme dans l’Antiquité, qui a été une source d’inspiration intarissable pour les artistes depuis sa « redécouverte » à la Renaissance.

Plusieurs problèmes se posent déjà à nous lorsqu’il s’agit d’archéologie grecque : les considérations peuvent varier en fonction du médium de création, nous parlerons en l’occurrence dans cet article de la sculpture et de la céramique. Un autre problème est majoritairement lié à la statuaire : les originaux des statues citées dans les textes et dont on conserve des copies aujourd’hui ont pour la plupart disparu ; très rares sont les statues grecques antiques, d’autant plus en bronze puisqu’il a été refondu. Les copies conservées de ces statues nous parviennent des Romains mais la question de la fidélité à l’original grec est présente à chaque fois qu’on aborde une de ces œuvres ; elle est donc un obstacle à l’attribution à un maître grec. De plus, les principales sources citant des artistes sont des textes antiques écrits plusieurs siècles après la carrière desdits maitres, la liste des œuvres connues peut donc aisément différer de celles qui nous sont parvenues. Enfin, ces textes ne peuvent rassembler l’ensemble des personnalités artistiques de l’époque puisque la considération même de l’art, et donc de l’artiste, à l’époque était complètement différente : pas d’art pour l’art véritablement, l’œuvre occupait une fonction définie, par exemple une offrande aux dieux ou un objet destiné à la tombe d’un défunt.

Figure 2 Apollon Sauroctone, copie romaine. Original attribué à Praxitèle. Musée du Louvre © Salomé Legrand

Le besoin d’attribuer une œuvre d’art à une personnalité artistique précise, définie par son inspiration et sa virtuosité a toutefois permis des avancées dans l’étude de l’art grec. Un exemple très important est celui des travaux de Sir John Beazley dès les années 1910 : au fil de relevés précis des dessins sur les céramiques peintes, l’archéologue britannique donne des noms de convention à des figures de peintres et leur attribue donc un corpus sur une base stylistique. Dans cette logique on a alors pu voir de véritables progrès dans l’étude des céramiques qui étaient souvent considérées comme un art mineur, notamment du fait de Winckelmann au XVIIIe siècle, dont l’Histoire de l’art dans l’Antiquité avait donné la part belle à la sculpture. Cette tendance d’élever des figures artistiques à un rang de génie antique est encouragée par l’étude des textes antiques : la Périégèse de Pausanias ou l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien sont des sources précieuses. Ces deux auteurs nomment des grandes figures artistiques comme Anténor, Phidias, Polyclète ou encore Lysippe et Praxitèle et décrivent leurs œuvres et leur manière de sculpter, leur style : ces informations sont décortiquées par les historiens de l’art grec antique afin de les mettre en parallèle avec des corpus de copies romaines pour faire correspondre une description à un type ou attribuer un type à un sculpteur. On aboutit donc à une classification de l’art grec par carrière de grands maîtres ; cette classification peut être imparfaite mais elle a le mérite d’exister et représente une méthode d’étude de l’art grec pertinente pour des périodes plus tardives. En effet, avec la montée de la dynastie macédonienne suivie de la séparation du royaume après la mort d’Alexandre le Grand, l’art est produit pour des élites mais aussi pour mettre en valeur la personnalité au pouvoir et rivaliser avec les autres souverains : il devient important de s’entourer de figures talentueuses.

Figure 3 Revers de l’amphore attique du Peintre de la Pleureuse du Vatican. Musées du Vatican © Salomé Legrand

Cette volonté systématique d’attribuer une œuvre considérée comme « belle » à une figure artistique réputée pour sa virtuosité présente cependant des inconvénients non négligeables lorsque l’on souhaite étudier de manière plus complète l’archéologie grecque. L’analyse d’une œuvre du point de vue d’une main, d’un style correspondant à une personnalité efface les autres méthodes de classification mises au point, comme les styles régionaux : des productions emblématiques en statuaire comme les kouroi et korai, à l’époque archaïque, sont aisément différenciables en fonction du lieu où elles ont été produites. On observe leurs proportions, leur musculature ou encore leur visage pour établir une provenance ; bien entendu cette méthode d’analyse n’est pas non plus parfaite. L’attribution à une personnalité forte, unique, efface également le travail d’atelier qui était la configuration la plus courante. En céramique, on connait aujourd’hui quelques peintres mais surtout beaucoup de potiers par leur signature sur les vases ; les études de Sir John Beazley mettent en avant la figure des peintres qui étaient en fait moins importants que les potiers dans la hiérarchie d’un atelier. En ce sens, l’attributionnisme impose une conception occidentale, moderne et donc le plus souvent fausse sur la division du travail dans la Grèce antique. Enfin, comme déjà évoqué précédemment, la majorité des œuvres grecques connues aujourd’hui le sont par le biais de copies romaines en marbre, à partir d’originaux qui étaient la plupart du temps en bronze. Vouloir donc voir directement dans ces œuvres la main d’un grand maître ne prend pas en considération les variations stylistiques opérées par le changement de matériau et les altérations dues à la personnalité artistique du copiste.

La notion d’attributionnisme et la méthode d’analyse de l’art grec par la carrière des maîtres est donc quelque chose de très nuancé : on y trouve des avantages et des inconvénients, et la manière la plus efficace de l’exploiter est de croiser cette méthode avec d’autres. On peut penser à l’étude de l’art grec par une évolution stylistique linéaire dans le temps, une mise en parallèle des différents styles géographiques ou encore des méthodes qui seraient plus spécifiques à certaines formes d’art ou certaines périodes de l’art grec. Il n’y a donc pas de façon parfaite d’étudier un art qui est aujourd’hui vieux de plus de 2 000 ans, mais il faut faire attention à ne pas vouloir appliquer à une société aussi éloignée et au fonctionnement si différent une méthode d’analyse beaucoup plus récente et adaptée à une tout autre conception de l’art en lui-même.