Fatty Boucher « The Butcher Boy »
Roscoe ARBUCKLE dit « Fatty Arbuckle »,
1917
Fatty Boucher est un court métrage réalisé en 1917 par Roscoe Arbuckle dit « Fatty Arbuckle ». Il met en scène un jeune boucher — interprété par Roscoe Arbuckle lui même — éperdument amoureux de la caissière et fille du patron, Amanda, incarnée par Josephine Stevens. Le film se déroule dans sa quasi totalité à l’intérieur du magasin qui devient alors le théâtre d’une rivalité entre Fatty et le premier vendeur, Slim Snavely (Al St. John), lui aussi épris de la jeune Amanda. Les querelles incessantes entre les deux hommes créent un tel désordre que le père d’Amanda M. Grouch (Arthur Earle), décide d’envoyer sa fille au pensionnat pour jeunes filles de Mlle Teachem (Agnès Neilson) afin d’atténuer les convoitises. Cette mesure n’arrêtera pas les deux hommes qui, poussés par leur amour, infiltreront l’établissement en se travestissant tous deux afin de récupérer leur belle.
Cinéaste, comédien et metteur en scène, Roscoe Arbuckle (1887-1933) est affublé très tôt du surnom de Fatty (le gros) qu’il refuse dans un premier temps. Sa bouille d’ange et son agilité l’amène à créer un personnage burlesque et attachant qui prendra ce pseudonyme. Après un bref début dans le théâtre forain, il devient au début des années 1910 la vedette de la compagnie cinématographique Keystone dirigée par le fameux Mack Sennett. Doué d’un sens du comique et d’un rythme manifeste, cet aficionado de batailles de tartes à la crème réalise bientôt ses propres films et n’hésite pas à passer derrière la caméra. Il fait tourner pour la première fois Buster Keaton (dans Fatty Boucher) qui formera vite avec Al St John le trio infernal de la série des Fatty. Ce pionnier du cinéma burlesque américain fut peu à peu oublié contrairement à Charlie Chaplin. Il a en effet été condamné en 1921 pour le viol et l’assassinat de l’actrice Virginia Rappe. De cette affaire naîtra le célèbre code Hays, destiné à moraliser la profession et la production de films.
En 1914, la Première Guerre Mondiale éclate sur le continent européen et engendre une interruption des tournages mettant alors un frein conséquent à la production. À l’Ouest, les studios hollywoodiens amorcent leur ascension et imposent petit à petit leur suprématie. Un genre particulier vient alors servir cette omnipotence : le burlesque. Dans le tournant des années 1920, certains films, dont Fatty Boucher, ouvrent la voie et révèlent l’acteur Buster Keaton qui deviendra l’une des figures de proue du mouvement, l’élevant ainsi à son apogée. La concurrence s’installe — Charlie Chaplin en est l’exemple le plus évocateur — et incite le genre à s’institutionnaliser et à s’améliorer. Un vent nouveau souffle alors sur le cinéma américain.
L’âge d’or du burlesque est intiment lié à la période du cinéma muet. Le comique repose sur la gestuelle du personnage : silhouette, allure, façon d’agir, de réagir et de se mouvoir qui ne sont jamais ordinaires et provoquent les gags. Cette gestuelle dessert la compréhension de la scène, la narration étant désormais portée à l’écran : les expressions faciales traduisent un état d’âme ; les mouvements sont exagérés par des chutes à répétition ou des sauts incessants. Néanmoins, l’arrivée du parlant et de la couleur fragilisent considérablement le burlesque, si bien qu’il disparaît presque entièrement à la veille des années 1930.
Ce court métrage condense la totalité des attributs du film burlesque des années 1910. Avec Mack Sennett le burlesque devient autonome et concret : les gags prennent complètement le pas sur l’histoire. Catastrophes comiques pour le spectateur, cauchemardesques pour le personnage, ils deviennent plus irrationnels et donnent un rythme au film. La scène avec le client, interprété par Buster Keaton, venant acheter de la mélasse, une substance poisseuse, est propice à une succession de gags effrénés. De même, la séquence tombe dans l’absurde au moment où Mlle Teachem menace d’un pistolet les deux jeunes intrus en appelant la police : le drame appuie l’effet burlesque.
Le film burlesque est incomplet sans une bataille ou une poursuite. Lors de la première partie du court métrage la boutique se transforme en un véritable capharnaüm : la farine envahit l’espace, les spectateurs ne distinguent plus qu’un amas blanc poudreux flottant dans les airs. La scène de la bataille de coussins et la course poursuite infinie dans le pensionnat sont des autres occurrences de ce ressort comique.
La connivence avec le spectateur est un élément central du cinéma burlesque. Lorsque les deux hommes se travestissent afin de pouvoir entrer au sein du pensionnat, la duperie dont nous sommes témoins permet de nouer un rapport privilégié et complice avec les protagonistes. Un jeu s’instaure alors : les hommes ne doivent pas se faire prendre. Le baiser entre Fatty et Amanda est risqué mais suscite le rire car le public est le seul à connaître la véritable identité des personnages. Par ailleurs, le fait de se travestir rend la scène cocasse par une exagération des caractères, mettant en abyme le jeu d’acteur. Fatty aime faire des clins d’œil au public, parfois même au sens littéral, l’invitant en quelque sorte à rire avec lui. Il cherche ainsi à s’approprier la complicité des spectateurs.
La création d’une identité forte autour du physique et du tempérament du personnage est essentielle au succès d’un film burlesque. Le physique rondouillard de Fatty jumelé à sa jovialité manifeste appuient le caractère enfantin de son personnage. Il s’épuise en mauvaises blagues, en bagarres et en poursuites, sans jamais aller à l’encontre des conventions. Cette importance du physique peut être aisément démontrée : le chapeau melon, la canne, les grandes chaussures, le pantalon trop large, les cheveux frisés et la petite moustache ont fait de Charlot une icône l’art cinématographique. Cette recette du film burlesque inventée par Mack Sennett va longuement influencer le cinéma : les Monty Python ou encore, les cartoons, en reprendront les ingrédients principaux.
L’année 1917 est également celle de la sortie de The Immigrant par Charlie Chaplin. Charlot est sur un bateau en direction de New York avec d’autres émigrés quittant la pauvreté de leur pays d’origine pour plus de liberté et d’espoir. Chaplin amorce un tournant significatif dans sa carrière : tout en conservant la forme burlesque, il inscrit explicitement son film dans l’histoire contemporaine en faisant référence à la migration massive des Européens vers les États-Unis. Ce court métrage mêle acuité documentaire, romance et burlesque, permettant de traiter un sujet politique brûlant et délicat.
Fatty Boucher et The Immigrant sont deux exemples illustrant la variété des jeux d’acteurs et des thèmes du cinéma burlesque des années 1910-1920.