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The Batman : un Bat-regard peu féministe

Mercredi 2 mars 2022 : The Batman sort en France, dix ans après The Dark Knight Rises, de Christopher Nolan, dernier film entièrement dédié au justicier de Gotham (omettons Batman v Superman, sorti en 2016). La barre est haute après la trilogie de Nolan, tant en termes d’effets spéciaux que de casting (rappelons la performance légendaire de Heath Ledger en tant que Joker dans The Dark Knight). On peut même ajouter que cette barre a été encore relevée par la sortie de Joker en 2019.

Pour celles et ceux qui n’ont pas vu le film, posons les bases : on retrouve Batman aka Bruce Wayne, jeune milliardaire traumatisé par la mort de ses parents, assurant une justice manu militari dans les rues de Gotham. Dans ce nouvel épisode, l’antagoniste principal est l’Homme-Mystère, un fan d’énigmes prêt à tout pour révéler la corruption et les mensonges qui intoxiquent la ville. On tient ici l’un des principaux points forts du film : la proposition d’un véritable univers.

Gotham fourmille ici de personnages : mafieux, politiques, juges… Les crimes médiatisés de l’Homme-Mystère nous font entrevoir le passé de la ville, ainsi que les toiles de pouvoir qui s’y tissent. A cela s’ajoute le développement d’une identité spatiale, avec la mise en scène de nombreux lieux tels que le bar « Iceberg Lounge » ou encore l’orphelinat Wayne.

Le méchant de cet opus est assez intelligemment développé, même si on peut regretter une ultime invocation de la « folie » qui ne fait que reprendre grossièrement les traits du Joker et évacue les questions soulevées par les interventions de ce terroriste-lanceur d’alertes (« ce n’est qu’un fou, ce qu’il dit n’a pas d’importance »). Le sous-texte social et politique, allant des inégalités de naissance aux manipulations de la vérité par les agents du gouvernement, reste à vrai dire un sous-texte, et la « morale » de l’histoire est étonnamment éloignée de tout ce que le film propose. Morale que l’on peut simplement résumer ainsi : « Attention à l’image que tu donnes ».

Mais là n’est pas le principal problème que je souhaite évoquer. Que le film ne réinvente pas les codes du genre, qu’il surfe sur une vague d’engagement politique purement artificielle et que la fin ne soit pas révolutionnaire ne m’a pas tant dérangé. Ce qui m’a vraiment sorti du film, c’est son sexisme.

Parlons maintenant du personnage secondaire de l’histoire, j’ai nommé : Catwoman, cambrioleuse féline combattant aux côtés de Batman. Le personnage est introduit au bout d’une trentaine de minutes, elle travaille au « Iceberg Lounge », où Batman enquête sur la disparition d’une serveuse. Après avoir compris que Selina Kyle, alias Catwoman, sait quelque chose sur cette dernière, il la suit jusque chez elle, et… l’observe avec des jumelles.Il est temps pour nous d’introduire la notion de male gaze. Théorisé en 1975 par la réalisatrice et critique Laura Mulvey, le male gaze (ou regard masculin) correspond à une façon de représenter le corps féminin comme un objet, que ce soit dans la publicité ou au cinéma. Par exemple, un plan qui s’attarde sur les fesses, les jambes ou les seins d’un personnage féminin participe à faire de lui un objet de regard réduit à son corps, en plus de le sexualiser.

Soyons précis, peu de plans dans The Batman renvoie à un male gaze qui morcelle le corps féminin. Pour autant, on y trouve un imaginaire du voyeur ainsi qu’une forte mise en scène sexiste. Imaginaire du voyeur évident quand Batman observe à travers des jumelles Selina Kyle en train de se changer, pénétrant dans son intimité et dans sa nudité, tout en réduisant à néant toute question d’identité secrète, si importante pour les super-héros et super-héroïnes, avant même que le personnage ne soit introduit. Mise en scène sexiste quand, lors d’un duel, Batman plaque Catwoman sur une table et l’y bloque pendant plusieurs longues secondes, convoquant grossièrement un imaginaire sexuel. On peut aussi évoquer les scènes de discussion (et baiser) durant lesquelles Batman regarde systématiquement de haut Catwoman, suggestion d’une forme de domination, l’argument de la taille est purement fallacieux, il n’existe pas qu’une seule façon de filmer une discussion ou un baiser, et quand une scène est filmée trois fois de la même façon, difficile de ne pas y voir un thème récurrent.

Un combat évocateur ©The Batman, Matt Reeves, 2022

La mise en scène fait donc de Catwoman un objet de regard. En parallèle, le scénario fait d’elle un personnage impuissant. Tout au long du film, la cambrioleuse échoue. Lors de son combat avec Batman, c’est finalement lui qui prend l’ascendant. Lorsqu’elle cherche à tuer le policier qui a mis à mort sa petite amie, Annika, le chevalier noir l’empêche de se venger, apparaissant comme celui qui modère les actions impulsives d’une femme (notons d’ailleurs que la relation lesbienne de Selina Kyle avec Annika est à peine sous-entendue, vite remplacée par le beau justicier masqué qui vient de débarquer dans sa vie). Lorsque Selina cherche à tuer son père qui l’a abandonnée et a ordonné l’assassinat d’Annika, elle se fait à nouveau battre, mais est heureusement sauvée par Batman (qui, bien sûr, l’empêche ensuite de tirer sur son père). A la fin du film, un renversement paraît s’opérer, lorsque c’est enfin Catwoman qui protège son partenaire, mais l’ordre est bien vite rétabli quand c’est cette dernière qui se retrouve à nouveau en position de faiblesse et a besoin de son aide.

Bref, si vous souhaitez regarder un film qui évoque de façon plus poussée les problématiques qui entourent la figure du vigilante (justicier solitaire qui applique la loi à sa manière) et qui traite d’une société névrosée, penchez-vous sur Watchmen, de Zack Snyder (adapté du comics d’Alan Moore) dans lequel une équipe de super-héros et héroïnes aux valeurs morales variées tente de démasquer un tueur de justiciers.

Si vous cherchez un film de super-héroïne, dans lequel un personnage féminin est actif et n’est pas soumis à un regard masculin, Birds of Prey (and the Fantabulous Emancipation of One Harley Quinn), réalisé par Cathy Yan, pourra sûrement vous intéresser. On assiste dans ce long-métrage aux aventures excentriques de Harley Quinn qui se met à dos toute la ville de Gotham.