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Cinéma

Tendre était la nuit

En Pologne il se passe les mêmes choses qu’ailleurs sauf que quelqu’un a décidé de les filmer.

All These Sleepless Nights se présente comme un documentaire empreint de fiction ou bien comme une fiction empreinte de documentaire ; c’est à celui qui regarde de décider. Une caméra se promène dans les rues de Varsovie. Elle suit les errances nocturnes de deux jeunes hommes qui se contentent de vivre. Ils dansent, s’amusent, discutent et se questionnent beaucoup à un âge où la vie qui fut un jour devant eux se rapproche. 

La caméra flotte dans les airs et chasse des instants suspendus, non linéaires et souvent sans importance. Une promenade, une pause clope dans une soirée, la marche retour d’une nuit blanche, quelques minutes durant lesquelles on se pose des questions sérieuses, comme un éloge au temps mort.

Paradoxalement, le scénario parvient à brasser autant d’air qu’il pose de questions existentielles ; aussi futiles que intrigantes. La caméra plane au-dessus du sol et virevolte dans des élans lyriques de poésie visuelle qui ne veulent rien dire et qui, pourtant, donnent l’impression d’en raconter énormément. En cela l’ambition esthétique ne dépasse pas celle d’un film fauché, filmé avec l’appareil-photo cher de son pote. 

Malgré tout, c’est une œuvre honnête qui tient sa force du fait qu’elle revendique avoir été conçue par des vieux adolescents, à destination des gens de leur tribu. À aucun moment le film ne prétend raconter quelque chose d’extraordinaire, ni même révolutionner les techniques et les couleurs. Il tient son rôle d’œuvre modeste, confectionnée avec les moyens du bord et dans sa forme apparaît en phase avec cet esprit post-pubère que l’ignorance rend parfois ridicule de maladresse et parfois tendre. En cela, il est un film honnête, admirablement honnête.

All These Sleepless Nights, Michal Marczak, 2016

Même s’il ne traverse que les appartements les plus propres de Varsovie et leurs plus beaux salons meublés Ikea et fait l’état des lieux psychologique d’une jeunesse dorée, All These Sleepless Nights tente d’élever son propos à une certaine universalité. Il rend compte d’une sensation clé de la fin de l’adolescence : la nostalgie précipitée de l’instant présent ; le moment où nous réalisons que les instants que nous vivons – ou que nous venons de vivre – sont inhérents à une période précise de notre vie et sont donc déjà en train de disparaître.

Ce ne sont rien de plus que des garçons bien coiffés en quête de filles bien coiffées qui méditent sur la solitude du célibat, la grâce de quelques minutes partagées et la tristesse du rejet, pour la seule beauté que peuvent dégager ces instants. Tout ça sur une bande son électronique omniprésente des plus délicieuses.

Finalement ce n’est pas l’histoire des personnages qui compte mais les moments qu’ils partagent. Car, jeunesse dorée ou non, ces moments sont aussi les nôtres – en tout cas pour peu que l’on aime boire et sortir. All These Sleepless Nights se présente comme un remède à la peur de perdre ses souvenirs. Il s’agit de canoniser les soirées où deux amis n’ont pas dormi, où ils se sont posés tant de questions sans réponses, où ils ont eu le sentiment d’être vivant – d’appartenir à l’existence – et tant mieux si cela touche d’autres personnes.

Tristan Grossetti