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Rocky Horror Picture Show (1975) : déclaration d’amour au cinéma de genre, ode à la transgression

Give yourself over to absolute pleasure” c’est là la prometteuse devise du long-métrage culte de Jim Sharman. Ce célèbre film est adapté de la comédie musicale éponyme écrite par Richard O’Brian en 1973. Si le show britannique a remporté un franc succès à Londres, cela n’a pas été le cas lors de son arrivée à Broadway.

L’affiche du Rocky Horror Picture Show (1975) ©Rocky Horror Picture Show (1975), Jim Sharman

Malgré cette réception très mitigée, les créateurs du Rocky Horror Show ont réussi à convaincre la 20th Century Fox de distribuer leur adaptation cinématographique qui a donc été renommée le Rocky Horror Picture Show (RHPS).

Si la Fox a envisagé de proposer un rôle à Elvis Presley (Eddy), Mick Jagger (Dr. Franck’n’Furter) ou encore David Bowie (Riff Raff), le film est un flop économique. (1.) Afin de rentabiliser leur investissement, un employé de 20th Century Fox propose de diffuser le film durant les séances de minuit, inspiré par le succès monétaire de Pink Flamingos (1972, John Waters). C’est ainsi que le phénomène des midnight movies se propage, concernant surtout des films à petit budget. On considère aujourd’hui que Eraserhead (1977, David Lynch) ou El Topo (1970, Alejandro Jodorowsky) font partie de la liste des midnight movies cultissimes aux Etats-Unis.

Très rapidement les spectateurs des séances de minuit se mettent à chanter par-dessus le film, à rejouer des scènes devant l’écran et le Rocky Horror Picture Show obtient une aura culte. Un ensemble de coutumes, toujours d’actualité, s’instaure auprès des fans qui n’hésitent pas à se déguiser à chaque séance. Le film est toujours joué non-stop tous les weekends depuis 1978 au Studio Galande à Paris, avec des troupes burlesques d’amateurs qui animent les séances.

Mais comment résumer ce scénario farfelu, proche d’un trip hallucinatoire ? Brad (Barry Bostwick) et Janet (Susan Sarandon), jeune couple américain stéréotypé, se rendent chez un ancien professeur afin de lui annoncer leurs fiançailles. Pris dans un orage en chemin, ils se réfugient dans un château inquiétant. Ils y sont reçus par des personnages hauts en couleur et sont emportés dans une étrange expérience scientifique enrobée d’un flot de paillettes et de burlesque. Personnages et spectateurs sont pris dans un tourbillon de chansons entraînantes et comiques. Le film emprunte aux codes du drag-show notamment avec le personnage flamboyant du Dr Frank’n’Furter, interprété par un Tim Curry métamorphosé. Son personnage est une ode à se libérer des carcans et des « bonnes » mœurs. Il est clairement bisexuel, et s’il se qualifie de travesti dans sa chanson « Sweet Transvestite » aujourd’hui encore il est difficile de savoir si le personnage joue avec le cross-dressing ou bien s’il est transgenre.

Brad Majors (Barry Bostwick) et Janet Weiss (Susan Sarandon) rencontrent leur hôte (Tim Curry) ©Rocky Horror Picture Show (1975), Jim Sharman

La réponse n’importe finalement pas, mais il est intéressant de noter que les personnages du château viennent de la planète « Transexual » de la galaxie « Transylvania ». Si le terme de « transsexuel » est aujourd’hui souvent péjoratif et réservé au domaine médical, il est probable que les auteurs ne l’aient pas employé dans cette optique mais plutôt dans une visée subversive. Le film est devenu un incontournable de la culture lgbtqia+. La chanson « Don’t Dream it, Be it » invite d’ailleurs à réaliser ses rêves et en l’occurrence à assumer ses désirs, elle illustre une scène où les personnages s’en donnent justement à cœur joie.

L’œuvre de J. Sharman et R. O’Brian flirte constamment entre parodie et hommage aux films de série B (comprendre, des films à petit budget) d’horreur et de science-fiction, parfois avec un sous-texte érotique. Autant à travers le scénario que les chansons ou les costumes, le RHPS est bourré de références cinématographiques ou issues de la pop-culture. Pour n’en citer que quelques-unes :

–          Lors de la scène d’ouverture, les employés de l’église ressemblent fortement au tableau American Gothic (1930, Grant Wood).

–          Le costume de Rocky, doré, rappelant le héros de bande-dessinée et séries Flash Gordon (1934, Alex Raymond).

–          La coiffure de Magenta dans la séquence finale, hommage à Bride of Frankenstein (1935, James Whale)

–          Une version de l’affiche fait références à Jaws (Les Dents de la mer, 1975, Steven Spielberg), elle montre l’iconique bouche rouge du générique, soulignée de la mention « A different set of jaws » (« Une paire de mâchoires différentes »).

Enfin, la chanson du générique « Science-fiction double feature » est une véritable déclaration d’amour au cinéma d’horreur et de science-fiction. Les paroles sont une suite de noms d’acteurs et actrices célèbres dans ses long-métrages des années 1930-1950 doublées de références aux films dans lesquels ielles jouaient : King-Kong (1933, Merian C. Cooper, Ernest B. Schoedsack), Forbidden Planet (1956, Fred M. Wilcox), The Day of the Triffids (1962, Steve Sekeley, Freddie Francis) etc. Les « double feature » correspondent à une double séance au prix d’une seule, projetant souvent des films produits à moindre coûts dont ces nombreux films de genre.

Le statut culte du film a été confirmé par son entrée dans les collections de la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis en 2005. En 2016, le film a été remis au goût du jour dans un remake de Kenny Ortega. Cette version a le mérite d’employée une actrice transgenre, la charismatique Laverne Cox, dans le rôle du Dr Frank’n’Furter.

Le casting du RHPS (2016) avec Laverne Cox trônant au centre ©Rocky Horror Picture Show (1975), Jim Sharman

Après le succès à retardement du RHPS, un film lui succède : Shock Treatment (1981, Jim Sharman). Mais ça n’est pas exactement une suite à proprement parler, plutôt un équivalent pour ses créateurs. Si Brad et Janet sont encore les personnages principaux, ils sont ici interprétés par Cliff de Young et Jessica Harper. Cette comédie musicale rassemble les autres membres du premier film. Contrairement au Rocky Horror Picture Show, Shock Treatment n’a jamais obtenu le succès escompté. (2.)

Regarder le Rocky Horror Picture Show est une expérience inoubliable – soit on l’adore, soit on le déteste – il ne laisse pas indifférent. Ses chansons dansantes, drôles et parfois absurdes vous resteront en tête longtemps. Comme Brad et Janet, il est probable que vous en sortiez rempli d’un sentiment de liberté, de bonne humeur mais lessivé par le rythme rapide de l’enchaînement des chansons. 

(1.)  – (2.) : Blow Up : Vous connaissez Shock Treatment ? – Arte.