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Remember : no man is a failure who has friends

Alors que la télévision française s’apprête à diffuser une énième fois Le Père Noël est une Ordure, l’Amérique programme son classique à la notoriété locale équivalente : It’s A Wonderful Life de Frank Capra.

Voici une fable que ses détracteurs prennent plaisir à considérer comme hypocrite. Car les américains montrés à l’écran sont aux antipodes des vrais américains ; certes, en ce sens le film peut apparaître comme une lubie de l’Amérique W.A.S.P* d’après-guerre. 

Cependant ceux qui connaissent Frank Capra savent qu’il est un idéaliste hors-pair et nul idéaliste ne dispense ses leçons de bien commun dans le but d’améliorer la condition de son seul pays. It’s A Wonderful Life est un film à destination de tout humain, il ne prétend pas que chaque américain soit généreux et bienveillant mais nourrit l’espoir qu’en chaque individu se trouve encore une once d’humanité. Il n’est pas pro-américain mais américain malgré lui. Frank Capra ne considère pas sa population comme suprême mais comme faisant partie d’un tout.

George Bailey (James Stewart) et sa famille © It’s a Wonderful Life, 1946, Frank Capra

It’s A Wonderful Life ramène le principe de l’existence à ses aspects les plus fondamentaux : l’amour, l’amitié et la vie, tout simplement. Des choses naïves qui font pleurer dans les chaumières mais qui sont pourtant essentielles, car ce sont elles qui donnent du sens à notre présence.

Les derniers mots de Chaplin dans Le Dictateur me reviennent. Dans un cas comme dans l’autre, les deux créateurs ont pris le risque de croire en l’unité des individus quelle que soit leur identité ou nationalité, à une époque où l’équilibre mondial vacillait. Chaque œuvre met un point d’honneur aux liens qui nous unissent les uns aux autres. Ces liens peuvent parfois être la source de nos problèmes et, paradoxalement, sont souvent la solution qui nous permet de les surmonter.

Croire en un idéal nécessite plus de courage qu’il n’y paraît. Il faut potentiellement accepter que notre idéal soit raillé en public, qu’on lui crache dessus, il faut accepter d’être traité d’idéaliste (car dans certains milieux, l’idéalisme est une insulte) et d’être le bouffon des repas de Noël.

Frank Capra a pris le risque de l’idéalisme. Sans chercher à savoir si son film changerait le monde, il s’est probablement dit qu’en tout cas, il méritait d’être vu. It’s A Wonderful Life connut d’abord un maigre succès lors de sa sortie en salles, aujourd’hui nous le regardons et il nous émeut. Capra disait à son sujet : « C’était mon type de film pour les gens que j’aime. Un film pour ceux qui se sentent las, abattus et découragés. Un film pour les alcooliques, les drogués et les prostituées, pour ceux qui sont derrière les murs d’une prison ou des rideaux de fer. Un film pour leur dire qu’aucun homme n’est un raté.« 

Tout ça pour dire que l’idéalisme est un pari audacieux et croire est un risque qui vaut parfois le coup d’être pris.

Pour finir il y a, à mon sens, quatre histoires de fiction qui dépassent de loin toutes les autres :

  • Celle d’une Amérique envahie par le nazisme en 1945 et d’un microfilm qui contient les images de notre monde et des alliés remportant la guerre. (1)
  • Celle d’un squelette lassé de fêter Halloween chaque année et dont la découverte de Noël bouleverse son existence(2)
  • Celle d’un ange tombé amoureux à Berlin-ouest qui fait le voeu de devenir humain (3)
  • Celle d’un homme prêt à se suicider, dont l’ange gardien descend du ciel pour lui montrer la vie telle qu’elle aurait été s’il n’avait jamais existé(4)

Je vous recommande vivement chacune d’entre elles en cette période comme en toute période. Héloïse, notre rédactrice en chef, nous a demandé de bannir les Je de nos articles, histoire de ne pas donner l’impression de juste offrir notre avis inintéressant mais de le développer avec des tournures de phrases plus professionnelles. Exceptionnellement j’ai failli à la règle. Mais c’était important. Je suis persuadé que vous comprenez et je suis persuadé qu’elle me pardonnera, après tout c’est Noël.

Joyeuses fêtes à tous et bonne chance pour la suite.

*White Anglo Saxon Protestant ou sous sa dénomination moderne : mâle blanc cisgenre hétérosexuel de 40 ans.

(1)Le Maître du Haut Château, Philip K. Dick (1962)

(2) L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Henry Selick (1993)

(3) Les Ailes du Désir, Wim Wenders (1987)

(4) It’s a Wonderful Life, Frank Capra (1946)