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Cinéma

Phantom of the Paradise (1974) : horrifiquement kitsch

Relecture pop de Faust, Phantom of the Paradise (1974) de Brian de Palma est l’adaptation d’une mésaventure personnelle à travers l’opéra de façon spectaculaire.

Il est le parfait cocktail aux ingrédients étonnants : empruntant autant à la comédie musicale, avec un ton drôle et camp, saupoudré d’un sous-texte féministe. Le film reprend plusieurs mythes fantastiques, genre qui m’est cher, comme Le portrait de Dorian Gray (Oscar Wilde) ou Frankenstein (Mary Shelley) et multiplie les clins d’œil à des œuvres canoniques Dracula (Tod Browning), Le cabinet du Dr. Caligari (Robert Wiene), Sueurs Froides (Alfred Hitchcock).

Le ton kitsch et ironique participe grandement à l’artificialité recherchée par le cinéaste. La mise en scène recréée une comédie musicale à l’aspect factice : costumes flamboyants frôlant le ridicule, jeu d’acteur exagéré, emploi de pastiche musicaux (Beach Boys, Alice Cooper, David Bowie). Le montage très présent (split-screen, surimpressions…) ainsi que les nombreux mouvements de caméra ajoutent l’artificialité propre au kitsch.

Brian de Palma injecte un humour baroque dans son film. Il y a là un emprunt au camp, notamment grâce aux personnages queer coded dont Beef (Gerrit Graham) est le plus marquant. Il crève l’écran en jouant les divas aux attitudes dramatiques et impertinentes.l

L’ouverture du film cristallise toutes les problématiques. Dès cette introduction, le contraste entre la bande originale joviale et le ton sombre de l’histoire fait émaner un sentiment de malaise, entretenu tout au long film. Toutes, ou presque, les chansons sont jouées au moins deux fois comme une autre version dégradée, recyclée, nourrissant le sentiment de décalage inquiétant-édulcoré.

Il établit efficacement l’introduction des personnages. Winslow, (William Finley), le protagoniste, est déjà à la marge, seul à l’extérieur du bâtiment. Cette impression est redoublée par le travelling latéral autour de son piano où il est encore isolé. La caméra tourne autour de lui comme autour d’une proie, présageant son destin.

Tel un marionnettiste, Swan (Paul Williams) est introduit par ses mains gantées au premier plan.

Winslow (William Finley, masqué) prisonnier dans l’antre de Swan (Paul Williams, à droite) ©Phantom of the Paradise, Brian de Palma, 1974

Caché derrière un miroir, le spectateur est invité dans les coulisses en se tenant à la place de l’antagoniste. Swan est intangible, il appartient déjà à une autre dimension comme on le comprend plus tard. Cette mise en scène est prolongée par la suite, ce qui renforce son aura de mystère : filmé en hauteur par rapport aux autres personnages, en contre-plongée, dans l’ombre, voire de dos.  Paul Williams incarne un personnage de l’ombre et fait partie du véritable envers du décor hollywoodien, en tant que compositeur du film.

De Palma traite de la part d’ombre d’Hollywood, tous les personnages ont un comportement de prédateur et abusent de leur pouvoir pour servir leurs intérêts. Il aborde la question des abus sexuels et du harcèlement de façon acerbe, incarné par des personnages masculins toujours méprisables. Les musiciens, les premiers que l’on voit à l’écran, agressent le public. Winslow se laisse corrompre à partir du moment où il est dépossédé de son œuvre par Swan.

L’artificialité, portée par le kitsch et l’humour, fait ressortir les différentes strates de l’industrie hollywoodienne. Le cinéaste réalise une lettre d’amour au cinéma à travers un procès flamboyant au excès d’Hollywood.  

Ce film est une fantasmagorie parfois effrayante, un cauchemar brodé de paillettes dont les chansons nous emportent.